Je ne pourrai malheureusement pas répondre à toutes vos questions dans le temps qui m'est imparti. Je répondrai à chacun d'entre vous au moins sur un sujet et je prends l'engagement de vous adresser des réponses écrites plus complètes pour prolonger le dialogue.
La question des cépages résistants est une formidable aventure scientifique, sociale et sociétale, portée par l'INRA depuis vingt ans et que nous sommes en train de diffuser. Les cépages résistants au mildiou et à l'oïdium permettent de réduire de 80 % l'apport en produits phytosanitaires. Nous diffusons ces cépages dans l'ensemble des bassins viticoles français - à Bordeaux, à Cognac, en Alsace, dans le Languedoc, etc. - afin de voir comment les croiser avec les cépages traditionnels. Nous devons bien entendu conserver la force de nos terroirs.
Sans jeter la pierre à nos prédécesseurs en recherche et en agriculture, durant les Trente Glorieuses de l'agriculture, l'augmentation de la production était le maître mot. L'apport en engrais se faisait à des coûts concurrentiels : il n'y avait donc pas le souci d'entretenir les sols. La matière organique, la couverture des sols, l'agriculture de conservation des sols sont des préoccupations qui se sont développées ces dernières années. L'Inrae est très active sur ces sujets, y compris sur des sujets sensibles comme le glyphosate afin d'améliorer notre capacité à enrichir les sols français, en se passant progressivement d'herbicides.
La question de la neutralité des fonctionnaires et des chercheurs est un sujet très important. Nos chercheurs doivent pouvoir présenter leurs travaux, sans censure, dans toutes les enceintes. Nous apportons parfois de mauvaises nouvelles - par exemple, l'effet cancinogène du dioxyde de titane, présent dans certains ingrédients alimentaires -, mais il faut que nos chercheurs puissent le dire, car cela fait partie de nos missions. Nous devons avoir le souci de l'intégrité scientifique et de la déontologie. En tant qu'expert scientifique, si je m'exprime dans l'enceinte publique, cela doit être dans le cadre de mes compétences. Mais le chercheur est aussi citoyen, il peut s'exprimer sur une cause, mais s'il sort de son domaine de compétence, il faut que cela soit clair. Nous travaillons sur ces sujets et l'Inrae est dotée d'une charte sur la déontologie et l'intégrité scientifique.
La question de l'adaptation des forêts au changement climatique est un sujet majeur. Nous avons eu longtemps l'impression que les arbres traversaient le temps et qu'ils avaient une capacité de résistance plus forte que les cultures annuelles. Ce n'est malheureusement pas le cas. Nous menons depuis plusieurs années des travaux pour étudier l'impact du changement climatique, du stress hydrique et des maladies sur la croissance des arbres. Nous avons investi le champ de la recherche sur toutes les espèces ligneuses, les feuillus comme les résineux. Nous avons une unité de recherche à Bordeaux qui travaille avec la profession à l'adaptation de notre production de résineux au stress hydrique et au changement climatique. Nous avons également une coopération internationale avec tous les pays de l'arc atlantique, mais aussi le Brésil et la Chine sur la question des forêts de plantation. Nous réfléchissons avec le Cirad à un programme prioritaire de recherche sur « forêt et changement climatique » pour les forêts tempérées, mais aussi les forêts tropicales outre-mer.
La dépendance aux protéines végétales est un sujet stratégique. Il s'agit de la souveraineté alimentaire de la France et de l'Europe. Les fruits et légumes, les agroéquipements, mais surtout les protéines végétales font partie des secteurs dans lesquels nous sommes dépendants. C'est pour nous une priorité en termes de recherche et cela concerne tout le continuum depuis l'amélioration variétale jusqu'à la transformation. L'Inrae a eu des résultats exceptionnels sur le colza. Mais les autres protéagineux ont été moins travaillés : il fallait faire des choix compte tenu du montant des investissements en génomique et le nombre d'espèces étudiées a donc été resserré. Cela pose la question des espèces dites mineures ou orphelines en recherche génétique. C'est ainsi que nous travaillons sur de nouvelles farines blé-pois qui sont optimales au plan nutritionnel et intéressantes pour les agriculteurs.
Nous sommes très engagés sur le sujet de la méthanisation. Notre laboratoire des biotechnologies de l'environnement situé à Narbonne est l'un des meilleurs laboratoires au monde sur ce sujet. Il fut inauguré en 1936 par le député Léon Blum et travaillait à l'époque sur les effluents vitivinicoles. Je vous transmettrai l'ensemble de ses axes de recherche actuels. Le traitement des boues et des effluents doit toujours tenir compte de la sécurité sanitaire, notamment du retour au sol du reliquat azoté, sans laisser de côté des volumes importants.
Les chercheurs ont tendance à dire qu'ils n'ont jamais assez de moyens. Comme tous les autres opérateurs publics, nous avons fait des efforts d'économies et d'efficacité. Cela s'est traduit pour l'INRA par la perte de 1 % de l'emploi scientifique par an pendant dix ans : nous avons donc perdu 10 % d'emplois. Cela a d'abord touché les fonctions supports, mais cela commence à atteindre nos laboratoires et les 42 unités expérimentales que nous comptons sur le territoire. Nous connaissons des tensions sur les ressources humaines. Mais faire des choix n'engage pas que l'Inrae, cela engage toute l'agriculture française.
J'espère que le projet de loi de programmation de la recherche et le projet de loi de finances nous donneront des moyens supplémentaires pour arrêter l'érosion de l'emploi scientifique dans notre pays - les défis que nous avons évoqués ne vont pas se réduire, ils vont augmenter - et pour mieux considérer nos chercheurs. J'étais co-rapporteur d'un des groupes de travail de préparation du projet de loi de programmation ; nous avons comparé les rémunérations des chercheurs dans le monde et les chercheurs français sont payés 30 % en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE. Nous avons donc proposé à Édouard Philippe et Frédérique Vidal une augmentation très significative. Les chercheurs ne choisissent pas ce métier pour l'argent, mais moins de 1,5 SMIC à bac + 8, c'est parfois compliqué en région parisienne ou ailleurs... Un protocole signé entre les organismes de recherche, la ministre et les organisations syndicales prévoit une revalorisation.
Il faut aussi de l'argent pour faire tourner les laboratoires et financer les programmes de recherche. Les dotations de base devraient être revalorisées et l'Agence nationale de la recherche (ANR) devrait disposer également de crédits supplémentaires. Aujourd'hui, les chercheurs travaillent beaucoup, mais le taux d'espérance de réussite dans les appels d'offres est de 15 %. Beaucoup de bons projets ne passent pas la rampe ! Cela n'est plus soutenable. Avec le projet de loi de programmation, ce taux devrait remonter à 30 %, ce qui remotivera les chercheurs. Nous devons aussi avoir la capacité de donner des coups d'accélérateur sur des sujets prioritaires au niveau national, comme les alternatives aux produits phytosanitaires ou les forêts et le changement climatique. J'ai plusieurs idées de projets prioritaires de recherche à soumettre au Gouvernement.
Le pastoralisme est un sujet sensible et nous avons d'excellentes équipes qui étudient la situation des bergers et des troupeaux et qui évaluent de la manière la plus objective possible l'efficacité des techniques. Nous sommes dans une situation paradoxale : nous sommes un des pays dans lesquels on investit le plus dans les mesures de protection, mais qui connaît beaucoup de prédations. Nos chercheurs travaillent sur un sujet simple à énoncer, mais difficile à travailler : comment faire progresser la crainte de l'homme chez le loup ?
Les situations de handicap économique et de déprise de nos territoires agricoles sont bien documentées par nos chercheurs, mais nous avons besoin d'outils pour freiner ces évolutions. Cela peut être des perspectives de filières économiques. La piste des paiements pour services environnementaux (PSE) est à cet égard très intéressante. Nous avons fait nos propositions pour la réforme de la politique agricole commune (PAC) et je suis fier que les équipes de l'Inrae aient été sélectionnées pour conseiller le Parlement européen sur l'évaluation de la PAC. Nous allons donc pouvoir porter notre message sur les PSE.
Lorsque je parle d'agroécologie, je pense bien sûr au bio qui est au coeur de notre stratégie. Nous sommes très actifs sur le secteur du bio. Nous avons décidé de lancer un métaprogramme afin que nos chercheurs travaillent de manière transversale et interdisciplinaire. Comment réussir le changement d'échelle du bio ? Cela pose de nombreuses questions : écologiques, économiques, les paysages agricoles, la protection des plantes, etc. Le modèle économique tient-il si l'on augmente la part de marché ? J'ai travaillé sur les appellations d'origine protégée (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP) et je sais qu'à partir d'une certaine part de marché, le consentement à payer des consommateurs se réduit. Il faut donc travailler à la fois sur l'écologique, le technique et l'économique.
Je pense que notre stratégie de communication est plutôt performante. Nous ne serons jamais à armes égales avec les réseaux sociaux. Nous essayons d'être extrêmement présents, d'abord avec des moyens classiques, mais utiles, comme la fête de la science, l'ouverture des laboratoires, le salon de l'agriculture - malheureusement reporté en 2021 -, etc. Ce sont des vitrines et des moments d'échanges fabuleux. Nous avons une stratégie volontariste avec la presse. Nos dossiers de presse font l'état de l'art de manière accessible sur de nombreux sujets : les produits phytosanitaires, le bien-être animal, la biodiversité, etc. Nos chercheurs sont présents à la télévision, à la radio, dans la presse. Je vous invite à vous abonner à notre compte Twitter.
A-t-on des moyens de veille sur les futurs risques bactériologiques ? Nous avons de bonnes coopérations dans le monde sur les impacts climatiques potentiels du dégel du permafrost. Mais nous avons une forme de carence internationale sur la question des risques sanitaires et des moyens de détection. Il y a des échanges scientifiques pour des publications, mais il n'existe pas de système d'épidémio-surveillance ou de détection précoce des risques émergents de type virologique. Je plaide pour que nous constitutions un réseau international. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères y réfléchit et la France pourrait porter une proposition au niveau des agences onusiennes. Nous sommes très volontaristes sur cette question.
Nos chercheurs ont éclairé les enjeux environnementaux et économiques du traité de libre-échange avec le Mercosur. Leurs travaux ont été rendus publics. Il revient désormais au politique de prendre des positions. À titre personnel, je considère qu'il ne serait pas raisonnable de souscrire à cet accord dans son état actuel. La position française sera probablement d'essayer de faire bouger la Commission européenne et le Mercosur pour qu'il y ait des réponses.
Y a-t-il une fuite des cerveaux en France ? Non, pas à ma connaissance. Nos chercheurs sont d'excellent niveau, très féconds et très engagés. Nous accueillons 30 % de chercheurs étrangers : nos laboratoires restent donc attractifs. Mais il y a aussi des chercheurs qui partent, comme nous l'avons vu dans le cas de notre récent prix Nobel. Il faut trouver le bon équilibre et rester attentifs. C'est pour cela que nous avons plaidé sur les rémunérations, les moyens des laboratoires et le cadre réglementaire.
Nous sommes présents à un bon niveau dans la recherche sur l'utilisation du CRISPR-Cas9 dans le secteur végétal. Nous l'avons utilisé en laboratoire, dans des serres, et nous avons participé à des essais en champs, pas en France, mais au Royaume-Uni. Comment ces techniques pourront-elles passer la barre de l'acceptation sociale ? Il faut avant tout viser le bien commun, c'est-à-dire une valeur ajoutée pour la société, au-delà de l'agriculteur. Il faut se demander ce qu'on apporte de plus par rapport aux techniques classiques de sélection génomique et comment on évalue le risque, dans un débat transparent. Nous avons des projets pour réduire les pesticides, apporter des facteurs nutritionnels supplémentaires aux plantes ou pour accélérer la transition agro-écologique.
Nous sommes aussi présents dans les outre-mer, notamment aux Antilles et en Guyane - La Réunion accueille nos collègues du Cirad. Notre centre de recherche sert de plateforme, pour les Caraïbes, sur la transition agroécologique, avec une activité très connectée aux filières locales pour promouvoir cette transition dans le contexte des Antilles, mais aussi en correspondance avec toutes les Caraïbes. En Guyane, nous avons une très belle unité de recherche forestière qui travaille sur le changement climatique et l'adaptation des forêts.
Concernant enfin votre question, madame la présidente, je m'engage à y apporter une réponse écrite, comme à l'ensemble des questions posées qui mériteraient des éclaircissements complémentaires.