En accord avec le Conseil de questure et à la suite de la Conférence des présidents du 7 octobre dernier, des aménagements ont été apportés aux conditions de déroulement de nos réunions de commission. Nous retrouvons, dès aujourd'hui, le fonctionnement qui a été le nôtre avant la suspension estivale de nos travaux à savoir une jauge d'un sénateur sur deux en réunion afin de respecter les règles de distanciation, dans le cadre strict de la proportionnalité des groupes politiques de notre assemblée.
Pour les sénateurs présents, le port du masque est obligatoire dans l'ensemble de nos salles de réunion, y compris pour les orateurs. Pour les autres, nous recourons à la visioconférence pour permettre aux absents de participer à la réunion. Priorité sera donnée aux prises de parole résultant d'une inscription préalable.
Je rappelle qu'en cas d'avis émis sur une désignation proposée par l'exécutif au titre de l'article 13 de la Constitution, comme c'est le cas ce matin, la règle est qu'aucune délégation de vote n'est autorisée. Ce sont les termes de l'article 3 de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Ces règles de procédure étant rappelées, notre commission doit rendre un avis préalable à une nomination envisagée par le Président de la République. Nous auditionnons aujourd'hui M. Philippe Mauguin, personnalité pressentie pour occuper les fonctions de président-directeur général de l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Cette audition est publique et fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site internet du Sénat.
L'article 13 de la Constitution dispose que « le Président de la République ne peut procéder à une nomination, lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions » compétentes, c'est-à-dire celle de l'Assemblée nationale et celle du Sénat.
La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale vous ayant déjà auditionné, nous procéderons au dépouillement immédiatement à l'issue du vote. Le dépouillement sera effectué par deux scrutateurs et aura lieu simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat, conformément à l'article 5 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.
Cette nomination est valable pour une durée de quatre ans.
Monsieur Mauguin, vous êtes ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, avec une formation d'ingénieur agronome. Après avoir été directeur de l'agriculture et des bioénergies à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), vous êtes devenu directeur de l'Institut national des appellations d'origine (Inao), puis directeur régional et interdépartemental de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt d'Île-de-France avant de devenir directeur des pêches maritimes et de l'aquaculture. Votre carrière a été, bien entendu, enrichie d'expériences au sein de cabinets ministériels : conseiller technique au cabinet d'Hubert Curien, ministre de la recherche et de l'espace, en 1992-1993 ; conseiller technique pour les questions agricoles au cabinet du Premier ministre, Lionel Jospin, entre 1997 et 2002 ; et enfin directeur de cabinet de Stéphane Le Foll de 2012 à 2016.
En 2016, recueillant l'aval des deux commissions permanentes compétentes en matière agricole, vous avez succédé à M. François Houllier à la tête de l'INRA. Depuis, cet établissement public à caractère scientifique et technologique, premier institut de recherche agronomique en Europe et deuxième dans le monde, a fusionné avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) que certains connaissent encore sous le nom de Cemagref.
La structure qui en résulte rassemble plus de 10 000 agents, 18 centres de recherche, 14 départements scientifiques et 166 projets de recherche européens avec un budget de plus de 1 milliard d'euros. Cette nouvelle architecture permet de créer un organisme de référence qui a développé de nombreux partenariats avec les entreprises et le monde agricole.
Cette fusion a donné naissance non plus à l'Institut national de la recherche agronomique, autrement dit Inra, mais à l'Inrae, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. Cette évolution sémantique du nom de la structure est, sans aucun doute, porteuse d'un changement de stratégie que vous nous présenterez, replaçant la recherche publique davantage au service de l'agriculture, tout en l'orientant vers les attentes de la société en matière d'alimentation et d'environnement. Nous estimons, au sein de la commission, que la recherche est la clé pour réussir à relever les défis écologiques, tout en conservant la place de notre agriculture dans notre société. L'Inrae aura un rôle essentiel à jouer.
À cet égard, pouvez-vous, monsieur Mauguin, premièrement, nous présenter rapidement le bilan de votre dernier mandat ? Quelles sont les réalisations dont vous êtes fier et les points sur lesquels vous pensez avoir encore du travail à accomplir ? Deuxièmement, quels sont les sujets sur lesquels vous souhaiteriez vous investir lors d'un éventuel deuxième mandat, autrement dit quel est votre projet pour l'Inrae au cours des quatre prochaines années ?
Au-delà de la recherche fondamentale sur les systèmes agricoles se pose la question de l'articulation entre vos travaux et ceux des instituts techniques notamment, principalement dans la recherche d'alternatives à des produits phytopharmaceutiques, qu'elles soient chimiques, naturelles, génétiques ou agronomiques.
J'insiste sur ce point, tant l'actualité législative offre l'occasion d'une séance de « travaux pratiques » - je pense bien sûr aux dérogations proposées par le Gouvernement pour l'utilisation de néonicotinoïdes. Quelle vision l'Inrae porte-t-elle sur ce sujet, notamment au travers du plan que vous avez mis en place avec l'Institut technique de la betterave ? Comment expliquez-vous l'absence d'apparition d'alternatives à ces substances depuis l'annonce de leur interdiction en 2016 ? Pouvez-vous nous présenter les différentes alternatives crédibles à ce stade ? Pensez-vous qu'en 2023 l'une d'entre elles sera opérationnelle ?
Je vous laisse la parole, Monsieur Mauguin, et, au terme de votre propos, je laisserai les commissaires vous poser des questions de deux minutes, en donnant la priorité aux membres s'étant inscrits préalablement.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très honoré d'être devant vous pour solliciter votre soutien. Mme la présidente a très bien tracé le cadre de mon intervention. J'évoquerai tout d'abord le bilan de mes années passées à la tête de l'Inra, puis les grandes orientations que je propose pour les années à venir.
Pour la période 2016-2020, j'avais proposé des priorités que j'ai essayé de déployer avec l'ensemble de la communauté de travail de l'Inra.
Premièrement, conforter la qualité et la visibilité scientifiques de l'Institut. Pendant cette période, l'Inrae est resté au premier plan de la recherche mondiale : le nombre des publications a progressé de 25 % et celles réalisées avec des auteurs étrangers représentent près de 60 % du total. Nous avons renouvelé l'animation scientifique interne et les défis de recherche pour favoriser l'interdisciplinarité.
Deuxièmement, renforcer et renouveler l'innovation. Nous avons fixé des domaines prioritaires, nous avons soutenu des instituts Carnot, qui sont des lieux privilégiés pour les relations entre la recherche publique et les entreprises, et nous avons mis en place des outils pour accélérer le transfert des résultats de la recherche vers les agriculteurs, en particulier en matière de pesticides, de protéines végétales et de changement climatique. Nous avons aussi développé nos partenariats avec les PME et suscité la création de start-up - onze ont récemment vu le jour.
Troisièmement, développer les partenariats avec l'enseignement supérieur - il s'agit à la fois des écoles d'agronomie et vétérinaires et des universités. L'Institut travaille ainsi sur trente sites universitaires et d'écoles.
Quatrièmement, déployer une stratégie internationale plus visible et ambitieuse. L'Inra avait un rayonnement international, mais il ne disposait pas véritablement d'outils forts dans ce domaine. Au niveau européen, nous avons renforcé notre présence dans le programme-cadre de recherche et les financements communautaires de nos laboratoires ont augmenté de 15 %. Hors Union européenne, nous avons multiplié les associations avec des laboratoires étrangers ; nous sommes dorénavant associés à 17 laboratoires contre 3 auparavant, notamment dans de grands pays (États-Unis, Chine, Inde, Brésil, Argentine, Australie...).
Cinquièmement, développer des partenariats avec d'autres organismes et instituts techniques - cette priorité fera la transition avec le rapprochement qui a eu lieu avec l'Irstea.
L'Inra et l'Irstea étaient deux établissements sous tutelle des ministères de l'agriculture et de la recherche travaillant dans le secteur de l'agriculture, dont les missions étaient complémentaires. Il n'existait pas vraiment de chevauchements, mais il était possible de faire mieux. Par exemple, l'Irstea était excellent sur les agroéquipements, les pulvérisateurs ou les capteurs ; l'Inra l'était sur l'agronomie, la génétique ou la résistance aux maladies. Nos forces étaient également complémentaires sur l'eau et la forêt. Mais il existait finalement peu de synergies et de partenariats.
Nous avons donc engagé, en 2016, une réflexion scientifique sur un éventuel rapprochement et nous avons décidé d'avancer. Il faut dire que la France n'avait jamais fusionné deux organismes de recherche de cette taille. Nous n'avions pas pour but de faire des économies de bout de chandelle, mais de répondre encore mieux aux défis contemporains du développement durable. Nos deux maisons se sont mobilisées à tous les niveaux, elles ont engagé un travail commun assis sur le dialogue social et scientifique ; la fusion est effective depuis le 1er janvier 2020 et je pense qu'elle est réussie.
Aujourd'hui, le nouvel établissement est encore plus visible : au niveau mondial, nous sommes classés parmi les quatre ou cinq premiers organismes de recherche en agriculture et alimentation et au dixième rang en matière d'environnement. Nous sommes de fait le premier organisme de recherche spécialisé en matière d'agriculture, d'alimentation et d'environnement.
Ce résultat est évidemment une fierté, mais c'est aussi une responsabilité, et l'objectif de ma candidature est de transformer l'essai. Ainsi, nous devons déployer notre stratégie de recherche dans le cadre du périmètre du nouvel institut, pas seulement additionner les deux stratégies précédentes. Nous devons répondre aux attentes de notre société et conforter la communauté de recherche, en particulier dans le contexte actuel du covid-19. Je salue d'ailleurs la mobilisation des équipes, alors même que l'épidémie est apparue quelques semaines après la fusion. Près de 80 % des agents ont basculé en télétravail, en maintenant les activités scientifiques, et la reprise de nos activités est progressive depuis le mois de mai.
Les priorités pour mon nouveau mandat, si vous m'accordez votre confiance, s'orientent autour de quatre grandes orientations.
Premièrement, concevoir et déployer une stratégie de recherche ambitieuse. Pour cela, nous avons déjà engagé des travaux, ainsi qu'une concertation auprès de l'ensemble des agents pour que chacun puisse participer à l'élaboration des choix collectifs. Cinq grands défis scientifiques ont déjà émergé.
Il nous faut d'abord répondre aux grands changements globaux, que ce soit le dérèglement climatique ou la crise de la biodiversité, ce qui inclut les impacts de ces phénomènes sur l'agriculture, l'alimentation et la forêt et les risques naturels dans les territoires - l'Irstea avait une compétence forte en matière de prévention des inondations, de feux de forêt ou d'avalanche et nous ne l'oublierons pas. Nous devrons traduire les scénarios climatiques du GIEC en scénarios de transition pour notre agriculture et nos forêts. Nous devons rassembler nos forces sur la base de ces scénarios qui sont scientifiquement établis. Nous avons commencé ce travail, très fécond, avec le secteur viticole et nous devons le généraliser à l'ensemble des secteurs agricoles.
Deuxième grand défi scientifique, l'accélération de la transition agroécologique, en tenant compte de la compétitivité des filières et des revenus des acteurs. J'insiste d'ailleurs sur ce point : si nous n'intégrons pas d'éléments socio-économiques dans la transition, elle restera au niveau de projet. Nous devons donc changer d'échelle et réfléchir à la manière de passer de quelques milliers d'agriculteurs qui se sont engagés dans la transition agroécologique à plusieurs centaines de milliers. Les questions de recherche constituent l'un des éléments de ce changement d'échelle et, pour réussir, nous devons embarquer toutes les filières et les systèmes alimentaires de manière globale. Nous devons être capables d'aligner les attentes des consommateurs et les besoins des agriculteurs. Cette transition ne concerne pas seulement les filières végétales, mais aussi l'élevage. Nous avons besoin d'élevage - nous ne ferons pas d'agriculture durable sans élevage -, mais les filières doivent évoluer dans le sens du bien-être animal, d'une meilleure autonomie protéique, etc. C'est pourquoi, de la même manière que nous travaillons sur les alternatives aux phytosanitaires, nous étudions des alternatives aux antibiotiques.
Troisième défi, penser la bioéconomie de façon circulaire et durable. En effet, nous allons connaître des tensions croissantes sur des ressources naturelles - le carbone, l'azote, le phosphore et l'eau - qui sont critiques au niveau mondial. Nous devons donc imaginer des filières bioéconomiques adaptées. On parle souvent du défi de nourrir dix milliards d'habitants à l'horizon 2050, alors que les sols sont dégradés et en tension, mais nous ne devons pas oublier le défi de décarboner l'économie, c'est-à-dire se passer du carbone issu de la pétrochimie. Il y aura donc une compétition entre les usages. Le cycle de l'eau est l'un des points critiques du développement durable des prochaines années et nos compétences nous permettent désormais de suivre l'ensemble de ce cycle - économiser l'irrigation, diminuer les pertes liées à l'évapotranspiration, améliorer la réutilisation des eaux usées. Gérer au mieux la ressource en eau est un enjeu majeur.
Quatrième défi, favoriser une approche globale de la santé. La pandémie qui affecte actuellement la planète a remis au premier plan l'importance des zoonoses et les risques de transmission de maladies des animaux aux humains - d'ailleurs, il a été montré que la baisse de la biodiversité pouvait accélérer de tels phénomènes. Nous devons donc développer une approche plus globale de la santé à l'échelle des écosystèmes et améliorer la détection précoce des nouveaux risques. Nos équipes sont très bien positionnées sur ces sujets, mais nous devrons travailler avec d'autres organismes - je pense notamment à l'Inserm, au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et à l'Institut de recherche pour le développement (IRD).
Le lien entre santé globale et agriculture ne se limite pas à la prévention des crises sanitaires. Il passe aussi par la nutrition préventive. On connaît de mieux en mieux le rôle de l'alimentation sur notre santé, notamment grâce à d'excellentes recherches menées au sein de l'Inrae, par exemple sur la compréhension du rôle du microbiote et de son lien avec la santé. Nous devons donc aller vers ce qu'on pourrait appeler une nutrition préventive. Il s'agit de concevoir des régimes alimentaires qui sont à la fois sains pour l'homme et durables, en prenant en compte, dans la conception des aliments et des régimes alimentaires, l'impact sur la santé et sur l'environnement.
Cinquième et dernier défi, le numérique et l'intelligence artificielle. Il s'agit d'ailleurs d'un défi scientifique transversal qui concerne toute la recherche mondiale. Je m'efforcerai de mobiliser le numérique au mieux, au service de toutes ces transitions. L'intelligence artificielle aidera à traiter les masses de données énormes qui arrivent dans nos laboratoires, mais aussi chez les agriculteurs : données climatiques, données liées aux bio-agresseurs ou au pilotage fin des systèmes de production... Nous devons investir ce champ, y compris au profit du secteur des agroéquipements, stratégique pour la réussite de la transition agroécologique.
Je souhaite aussi poursuivre, dans les prochaines années, le travail engagé par l'Inrae sur les partenariats avec l'enseignement supérieur, en France comme au niveau mondial. En France, nous pouvons franchir un nouveau cap. La loi de programmation de la recherche doit nous donner une meilleure visibilité, pluriannuelle, sur nos moyens. Dès lors, nous pourrons programmer des investissements stratégiques avec les universités et les écoles, ce qu'on ne faisait pas vraiment jusqu'à présent. Quelle stratégie de recrutement des chercheurs et des enseignants-chercheurs à dix ans pour anticiper les départs et favoriser les nouvelles compétences ? Quels investissements dans les équipements stratégiques de recherche qui doivent être partagés ?
En ce qui concerne la stratégie internationale, nous continuerons à conforter notre réseau de partenariats. Nous souhaitons aussi, avec humilité et détermination, mettre en place une alliance mondiale de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement avec nos grands homologues des différents continents - Europe, Amérique du Nord, Amérique latine, Asie, Afrique - pour essayer de partager au moins une programmation des grands sujets de recherche. De tels lieux de coordination manquent actuellement, même s'il existe des lieux de rencontre.
Il y a aussi un nouveau virage que l'Inrae doit prendre, qui est de s'investir en Afrique. Traditionnellement, l'Inrae représentait la recherche pour les pays du Nord et le Cirad et l'IRD s'occupaient de la recherche pour les pays du Sud. Pour autant, certains sujets, comme la séquestration du carbone dans les sols, la lutte contre le dérèglement climatique ou la question de l'alimentation, sont transversaux. Avec le Cirad, nous avons décidé de travailler encore davantage ensemble, en proposant un programme de recherche ambitieux pour la transition des agricultures en Afrique. C'est une priorité de la politique de développement française, comme vous le savez. Nous ferons donc des propositions prochainement dans ce domaine.
Troisième orientation, l'innovation, encore et toujours ! Nous souhaitons notamment développer de nouvelles approches dans les territoires. Certains d'entre vous connaissent les territoires d'innovation. L'Inrae est le premier organisme de recherche français impliqué dans ces projets. L'appel d'offres a été lancé par le Premier ministre, et 24 projets ont été retenus dans tous les secteurs. Sept de ces projets associent l'Inrae et touchent les grands sujets qui vous préoccupent : alternatives aux phytosanitaires, bien-être animal dans les filières d'élevage, forêt... Nous aurons autour de la table, dès la conception du projet, l'ensemble des acteurs, et non les seuls chercheurs. Ceux-ci seront mis en interaction avec les entreprises, avec les collectivités locales, bref avec toutes les parties prenantes. Je pense que cela produira des résultats intéressants.
Nous allons aussi accentuer notre engagement sur la création de start-up. Nous venons de remporter un label de la French Tech et nous pilotons le consortium Agri'Eau, qui va favoriser le développement des start-up dans ce qu'on appelle les Food Tech. Nous nous engagerons davantage dans l'expertise et l'appui aux politiques publiques. Beaucoup de questions traitées par l'Inrae, en effet, sont à l'interface entre la science et les politiques publiques. L'une de nos directions leur sera consacrée. Tout en garantissant l'indépendance des chercheurs, nous essayons de favoriser l'interface entre les questions que la société pose et les données issues de la science, ce qui est un travail compliqué, qui diffère de l'activité normale et naturelle de recherche.
La quatrième et dernière orientation concerne la cohésion du nouvel établissement. Je propose de lancer une démarche mobilisatrice en matière de responsabilité sociétale et environnementale. Nous avons déjà beaucoup oeuvré ces dernières années dans le domaine de la qualité de vie au travail, de la lutte contre les discriminations ou pour l'égalité des chances et la diversité. Nous sommes le premier organisme de recherche français à avoir été labellisé en la matière - c'était début 2020. Nous devons passer encore une étape, en intégrant la responsabilité environnementale, ce qui fait l'objet d'une forte attente dans notre communauté de travail : réduire l'impact carbone des activités de recherche, c'est possible, et les agents, pour la plupart d'entre eux, ont envie de s'y engager.
L'Inrae est une chance pour notre pays, pour notre agriculture, pour notre secteur alimentaire, pour notre forêt. C'est une chance aussi, plus globalement, pour nos concitoyens. Je souhaite accompagner le déploiement et l'épanouissement de ce nouvel établissement dans les prochaines années avec une exigence de qualité scientifique qui est la base de la crédibilité et une exigence sur l'impact et l'utilité des travaux au service de la société.
Sur la question des néonicotinoïdes, je rappelle que nous avons eu un hiver 2020 exceptionnellement doux, notamment au mois de mars, avec de forts vents de sud, ce qui a occasionné des infestations de pucerons porteurs de virose sur les betteraves, en tout cas dans la partie méridionale de la zone de production. L'impact a été très significatif, ce qui a conduit le Gouvernement à proposer ce projet de loi portant dérogation à la loi sur la biodiversité. J'ai entendu dire beaucoup de choses, et notamment mettre en cause la recherche. Par esprit de transparence, et pour défendre le travail des chercheurs, aussi bien dans le secteur public que privé, je souhaite remettre un certain nombre de choses au clair. L'Inrae a été l'un des premiers organismes de recherche au monde à faire des publications sur l'impact des néonicotinoïdes sur les pollinisateurs. C'était avant qu'il y ait des lois en France sur le sujet. D'ailleurs, c'est sur la base des travaux de l'Inrae que les premières décisions ont été prises pour instaurer un moratoire sur l'utilisation des néonicotinoïdes sur les plantes oléoprotéagineuses. Nous avions discuté avec la profession et il y avait des éléments avérés qui ont conduit à cette suspension.
Pendant ce temps-là, les chercheurs de l'Inrae ont travaillé sur des alternatives. Je rappelle que l'Inrae est le premier organisme qui a publié, au niveau international, sur les viroses dans les betteraves, contribuant ainsi à la connaissance de la maladie et à la caractérisation des quatre virus impliqués. Nos chercheurs, avec ceux de l'Institut technique de la betterave, ont lancé le programme AKER, avant même les débats parlementaires, pour redonner de la diversité génétique à la betterave. Nous avons récemment rendu publics ses résultats dans un livre que je vous ai apporté. Ce programme a permis de mettre au point plus de 3 000 lignées de betteraves avec une diversité génétique qu'on n'avait jamais connue. Ces lignées comportent des variétés qui présentent des résistances.
Malheureusement, la jaunisse de la betterave est une maladie complexe qui implique quatre virus différents. Certaines lignées sont résistantes à l'un d'entre eux, voire à deux, mais nous n'avons pas encore toute la panoplie. Des recherches ont aussi été menées sur des pistes de réponse en termes de biocontrôle ou d'agronomie. Bref, la recherche n'a pas été inactive. En 2016, la loi est votée, pour application en 2018. Elle prévoit d'envisager des alternatives chimiques. Les chercheurs continuent à travailler, mais pas dans une urgence absolue. Malheureusement, comme il arrive souvent pour les alternatives aux phytosanitaires, des résistances se sont développées, avec des contournements des produits homologués. Nous nous en sommes assez rapidement rendu compte.
La première année sans néonicotinoïdes, le contexte climatique n'ayant pas été trop défavorable, les traitements par les molécules homologuées ont suffi et personne ne s'est ému. C'est cet hiver exceptionnel qui, tout d'un coup, sonne le branle-bas de combat. Mais, je le répète, beaucoup de travail a été fait, ce qui va nous permettre, grâce au plan recherche et innovation, de trouver des solutions.
Pourquoi allons-nous parvenir à trouver en trois ans des solutions qui n'ont pas été trouvées à un niveau opérationnel jusqu'à présent ? Comme je l'ai dit au ministre de l'agriculture, M. Julien Denormandie, avec le président de l'Institut technique de la betterave, M. Alexandre Quillet, nous n'avons pas la prétention de trouver en trois ans un équivalent, à 100 %, aux néonicotinoïdes. Mais nos chercheurs sont convaincus qu'ils vont progresser de façon significative. L'enjeu, en fait, est de réduire le risque à un niveau acceptable pour la filière betterave-sucre. Le risque de perte de récolte ne doit plus être, en cas d'hiver exceptionnel, supérieur à 40 %. Si nous le ramenons dans une marge plus raisonnable de 15 %, nous aurons fait le travail. Pour cela, nous allons accélérer le phénotypage de toutes les lignées que nous avons mises au point et rebalayer tout le catalogue des variétés de betteraves déjà homologuées qui n'étaient pas forcément sélectionnées à l'époque sur le critère de la résistance au virus, puisqu'il y avait les néonicotinoïdes. Je pense qu'en deux ans nous aurons identifié un certain nombre de variétés qui auront un meilleur profil de résistance.
Le deuxième axe sera de travailler sur l'écologie chimique et le biocontrôle. Il s'agit d'utiliser, y compris en co-culture, le fait que les plantes peuvent émettre des molécules répulsives pour les insectes. Nous avons des pistes intéressantes. On a signalé des expérimentations d'agriculteurs - nous travaillons aussi en direct avec eux - qui, en semant de l'avoine, ont observé une absence d'infestation des pucerons dans leurs champs et, après avoir récolté l'avoine, les ont vu revenir. Nous allons donc examiner toute une série de plantes en fonction de leur production de molécules pour chercher celles qui sont répulsives. Il semble aussi que des enfouissements de graminées ou de certaines cultures pouvaient aboutir à ce que la dégradation du sol émette des molécules ayant un impact sur les pucerons, comme la loline. Nous avons déjà des projets avec certaines entreprises sur ce point.
Enfin, la question des régulateurs naturels des pucerons est posée. Nous allons travailler, avec l'Institut technique de la betterave, à faire non des mosaïques paysagères, mais des alternances de bandes fleuries, utiles pour que les abeilles, qui sont des insectes opportunistes, aillent de préférence y butiner au lieu d'aller chercher des résidus de néonicotinoïdes au sol. Il convient aussi de favoriser le retour des régulateurs biologiques. Bref, il faut trouver un équilibre entre l'écologique et l'économique, qui soit soutenable pour les betteraviers.
Pour les expérimentations que nous allons conduire à l'Institut technique de la betterave, nous avons prévu de mobiliser jusqu'à 1 000 hectares de champs de betteraves pilotés par des agriculteurs. En tout cas, c'est en mobilisant une combinaison de solutions - des variétés plus résistantes, des solutions de biocontrôle, de l'agronomie et le retour des régulateurs biologiques - que nous allons ramener le risque à un niveau soutenable et acceptable.
Je voudrais tout d'abord vous remercier. Il y a quatre ans, je vous avais posé quelques questions sur la recherche, notamment sur les cépages résistants en matière viticole. Vous vous étiez engagé à ce que les recherches de l'Inrae soient communiquées aux professionnels, ce qui a été fait. Merci d'avoir tenu vos engagements ! Pensez-vous que l'appauvrissement des sols vienne d'un modèle agricole axé sur une agriculture intensive qui a impliqué, implique et impliquera la diminution des intrants et l'usage des produits phytosanitaires ? Ne faudrait-il pas expliquer aux professionnels et aux agriculteurs qu'il faut impérativement changer de modèle agricole ?
Merci pour la clarté de vos propos. Je suis séduit par une très grosse partie de votre discours.
D'abord, j'entends quelqu'un qui ne pratique pas l'agriculture tous les jours, comme moi, prendre enfin en compte le critère essentiel de l'acceptabilité économique par le monde agricole. Vous n'êtes pas dans les incantations, vous n'êtes pas dans l'obscurantisme, ce qui vous démarque de tout ce qu'on peut entendre à longueur de journée. Vous êtes, et cela me plaît, un pragmatique. Vous n'avez pas non plus le regard fixé sur le rétroviseur. L'innovation, la recherche, le progrès ont toujours fait la force du monde agricole. Nous avons connu des famines, mais nous n'en connaissons plus aujourd'hui, parce que l'agriculture a progressé, a su se rénover, être inventive. L'agroécologie, l'intelligence embarquée seront demain, j'en suis sûr, les éléments qui permettront non pas d'interdire aveuglément certains produits phytosanitaires, mais de les utiliser le moins possible, avec les quantités les plus faibles possible. Voilà l'intelligence et le pragmatisme qu'on devrait mettre en avant plutôt que d'être dans les incantations et les interdictions !
Surtout, vous êtes l'un des seuls qui ne nous parlent pas uniquement du réchauffement climatique, de l'agroécologie et du changement de modèle, mais aussi des évolutions démographiques. La population mondiale est passée de 2,5 milliards d'habitants il n'y a que 50 ans à près de 7 milliards aujourd'hui et elle risque d'atteindre plus de 10 milliards demain.
Je vois dans cette évolution un parallèle avec ce que nous avons vécu pendant des décennies, dans la parole politique, à propos de la dette. Depuis trente ans, on nous répète chaque jour, en matière de décision publique, qu'il faut travailler sur notre dette, ce qui nous a poussés à prendre des décisions qui nous ont entraînés dans des situations difficiles, en particulier sur la diminution des lits de réanimation. Et voilà qu'en quelques mois, ce discours a complètement disparu à la suite d'une chose que nous n'avions pas prévue, la pandémie de covid-19. En clair, nous avons mis 40 ans pour constituer 2 300 milliards d'euros de dettes et en cinq mois nous en ajoutons 560 milliards, sans que nul ne s'en offusque !
Ainsi, nous pouvons être amenés à regarder uniquement une partie du problème, comme le réchauffement climatique ou l'évolution du système agricole, mais si nous ne prenons pas en compte l'évolution de la population, tous les efforts que nous aurons faits pendant des années peuvent s'écrouler du jour au lendemain, parce que des migrations forcées nous imposeraient une agriculture différente de celle que nous avons souhaité mettre en place.
Je veux bien vous apporter ma confiance, monsieur Mauguin, mais je veux que vous me fassiez une promesse : que les fonctionnaires de l'Inrae respectent tous la neutralité qui leur incombe. Je vois trop dans la fonction publique des gens qui, s'exprimant au nom de l'État, alors qu'ils devraient être neutres, laissent transpirer leur vision personnelle et leurs conceptions politiques.
Je salue votre présentation globale et votre enthousiasme qui visiblement ont su convaincre. Le changement climatique pousse à une transformation accélérée des modèles agricoles et forestiers qui va beaucoup plus vite que ce qu'on a connu jusqu'à maintenant, en tout cas beaucoup plus vite que l'évolution naturelle. L'approche One Health implique la prise en compte d'attentes sociétales puissantes. La collaboration étroite avec les professionnels des différents secteurs d'activités sur lesquels vous travaillez est plus nécessaire que jamais.
En matière de changement climatique en forêt, sur quoi travaillez-vous ? Je suppose que vous adaptez des essences et développez des mélanges propices et vertueux. Vous avez évoqué la reconquête d'un certain nombre de territoires forestiers, notamment en montagne, pour éviter les risques. Abordez-vous la problématique des résineux ? S'ils ne suscitent pas l'enthousiasme ni l'intérêt de nos populations, ils sont nécessaires à notre économie ; or, nous en importons, ce qui n'est pas très bon en termes de stratégie globale pour la planète. Comment faire pour évoluer ?
Vos liens avec les écoles et les organisations professionnelles sont essentiels. Travaillez-vous avec les organismes professionnels sur les projets d'installation des jeunes agriculteurs ? Au-delà des néonicotinoïdes, d'autres grandes cultures sont dans l'impasse. Bourguignonne, je pense au colza ou à la moutarde de Bourgogne : nous allons bientôt importer de la moutarde du Canada ou des pays de l'Est ! Travaillez-vous aussi sur ce sujet ?
Je salue vos propos porteurs de vision et d'avenir pour notre agriculture, basée sur l'innovation et le progrès. Que fait l'Inrae sur la question de notre trop grande dépendance aux protéines ? La fragilité de la France risque encore de s'accentuer dans ce domaine avec une impasse grandissante dans le domaine des oléagineux, notamment du colza. La durée de dérogation pour les néonicotinoïdes est-elle suffisante pour permettre des avancées significatives ? Certaines nouvelles technologies de semence ne sont pas autorisées en Europe, mais se développent. Quelles recherches menez-vous sur la question ? Quel est le risque de l'utilisation des néonicotinoïdes sur une plante non mellifère, qui ne fleurit pas, et sachant que le temps de persistance dans le sol est bien connu ? Ne pourrions-nous pas sécuriser l'utilisation des néonicotinoïdes sur la betterave, en assurant une succession de cultures non mellifères ?
Vous avez parlé d'économie circulaire et de bioéconomie, mais vous n'avez pas évoqué la question de la méthanisation. La réglementation actuelle, qu'elle soit nationale ou européenne, tend à freiner des projets locaux ambitieux en interdisant, d'une part, de mélanger les boues des stations d'épuration urbaines avec des biodéchets triés à la source et, d'autre part, d'envoyer des effluents chargés en sous-produits animaux, tels que le lactosérum, dans les réseaux d'eaux usées. Les enjeux en termes de réduction de gaz à effet de serre sont pourtant réels. L'Inrae travaille-t-elle sur ces sujets ? Quelle est votre position ?
Merci pour le programme ambitieux que vous nous proposez. Mais quels sont les moyens correspondants ? Vous ne nous avez pas parlé de l'évolution de votre budget, notamment avec la loi de programmation de la recherche. Vous avez évoqué la prévention des risques. En ce qui concerne le pastoralisme, avez-vous envisagé une étude d'impact du renoncement des éleveurs face à la prédation ? Vous l'avez dit, nous avons besoin de l'élevage. Mais le phénomène de la prédation s'amplifie et se déploie sur une bonne partie du territoire national. En montagne, tout particulièrement, l'abandon du pastoralisme inquiète beaucoup, notamment pour ses impacts sur l'augmentation des risques naturels. Êtes-vous prêt à produire une étude sur ce sujet ? Cela permettrait enfin de mettre d'accord le ministère de l'agriculture et celui de l'environnement.
Merci pour votre présentation et la qualité de votre travail au cours des quatre années passées. Je souhaite aborder les questions de politique territoriale agricole. Dans de grands pans du territoire national, par exemple dans le Gers, on se pose des questions sur l'avenir agricole de certains territoires mal dotés sur les plans agronomique, climatique, topographique... Une démarche a été conceptualisée par le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux : celle des zones intermédiaires. L'Inrae procède-t-elle à des analyses et des réflexions sur ces questions ? Elles relèvent de la macroéconomie agricole. Laurent Duplomb parlait de la nécessité de nourrir plus de 7 milliards de personnes. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser des pans entiers de territoire agricole à l'abandon, même s'il est difficile de cultiver sur ces territoires.
Beaucoup d'agriculteurs vont partir à la retraite, souvent des éleveurs. Cela soulève la question de l'avenir des systèmes de polyculture-élevage. Les territoires sur lesquels ces personnes exerçaient vont revenir à la nature, avec davantage d'incendies, etc. Travaillez-vous sur ces questions ? Avec vos collaborateurs, j'ai eu l'occasion de travailler sur la question des prestations pour services environnementaux, qui nous avaient été presque promises pour 2019. Où en êtes-vous sur ce point ? Il est grand temps qu'à travers ce dispositif la société dans son ensemble reconnaisse ce que l'agriculture lui apporte. Le développement des outils de gestion des risques en agriculture, dont l'assurance fait partie, doit être poursuivi. Vous en préoccupez-vous ? Travaillez-vous aussi sur le volet pédagogique de l'acceptabilité et de l'acculturation des agriculteurs et de l'agriculture sur ces questions ?
Merci de votre présentation. Je vais moi aussi attendre des engagements de votre part, qui ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de notre collègue Duplomb ! Depuis la loi sur l'avenir agricole, l'agroécologie doit être au coeur des futures perspectives. Dans votre présentation, vous avez trop peu parlé de l'agriculture biologique. Pourtant, l'agriculture biologique est le mode le plus abouti de l'agroécologie. Tous les pesticides chimiques actuels, qu'ils soient classés cancérigènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction ou perturbateurs endocriniens, ne pourront pas durer. Il va bien falloir trouver des alternatives. Or pour moi, les alternatives ne seront pas chimiques ou, s'il y a de la chimie, celle-ci doit s'accompagner d'une remise en cause des systèmes.
Il y a quelques années, quelque 10 % du budget était consacré à l'agriculture biologique. Où on est-on ? Quelles sont les perspectives ? Nous avons besoin de recherche fondamentale en écologie sur le fonctionnement des écosystèmes et de recherches finalisées en lien avec le monde agricole, notamment biologique, qui démontrent qu'on peut travailler sans les pesticides. L'Institut technique de l'agriculture biologique doit être véritablement associé à vos travaux, et je sais qu'il l'a déjà été.
Enfin, pour ma part, je ne dirai pas que des chercheurs sortent de leur réserve. Il y a des chercheurs citoyens. Je suis en relation avec une association qui s'appelle Recherche citoyenne : ses membres n'ont pas de raison de ne pas partager leurs connaissances, tout en observant leur devoir de réserve.
Quelle stratégie de communication et de vulgarisation envisagez-vous, au plus près des citoyens ? Ma région héberge l'un des sites les plus importants de l'Inrae en France, qui abrite une importante recherche sur l'alimentation et sur le recyclage des plastiques, avec en particulier des partenariats avec Limagrain sur les plastiques biodégradables ou encore sur les ennemis des cultures, sur l'eau... Outre les publications scientifiques qui en émanent, il y a des journées portes ouvertes, mais elles restent assez confidentielles. Certes, des agriculteurs viennent s'informer sur les résultats de cette recherche, mais le grand public n'est pas sensibilisé aux résultats. Un effort de vulgarisation et de communication vers les citoyens paraît absolument indispensable, surtout que nombre de résultats tordent le cou à certaines affirmations que l'on peut entendre sur les grands médias ou les réseaux sociaux.
À mon tour de vous remercier pour le travail que vous avez effectué ces dernières années - nous vous avons d'ailleurs entendu à plusieurs reprises. La pandémie actuelle nous rappelle que la fonte du permafrost nous expose peut-être à des bactéries ou à des virus qui y sont conservés et attendent, pour ainsi dire, au garde-à-vous. Avez-vous une cellule de veille ? Y a-t-il une veille internationale pour prévenir cette éventualité et peut-être tordre le cou à des scénarios catastrophes ? On entend tout et son contraire, par exemple sur l'impact de cette fonte en termes de gaz à effet de serre.
En matière budgétaire, il y a de nombreux défis. Sur les accords de libre-échange, un rapport vient d'être remis, auquel un certain nombre d'experts de l'Inrae ont contribué. Ce rapport est assez accablant et la protection de nos normes sociales et environnementales semble extrêmement fragile. Allons-nous, ou non, remettre en cause ces accords de libre-échange ? La lecture du rapport y incite. Jamais des normes sociales et environnementales de niveau assez élevé ne seront garanties. De plus, la crise montre bien le besoin de relocaliser notre agriculture et de la protéger.
Assiste-t-on, ou non, à un appauvrissement des cerveaux dans la recherche de notre pays par rapport à d'autres pays plus ouverts à la mise en oeuvre des pratiques récemment découvertes ? L'existence de nombreux interdits en France donne-t-elle effectivement envie à des jeunes d'aller voir ailleurs ? Sur la forêt, on court après les solutions et on est pris de court. Estimez-vous nécessaire, utile, urgent de mettre en place une politique sanitaire sur la forêt, comme nous l'avons fait sur les productions et prophylaxies animales ? Cela nous permettrait d'être plus offensifs. Nous assistons à des conflits d'usage, non seulement avec l'urbanisation, mais comme me l'a bien montré la campagne sénatoriale, entre l'agriculture nourricière et l'agriculture productrice d'énergie. Je pense notamment à la méthanisation. Le débat a lieu dans nos territoires et nos campagnes. Existe-t-il une recherche qui permettrait de rendre compatibles les deux ? Où en êtes-vous sur l'acceptation sociétale de la recherche génétique ? Pensez à l'échec des OGM : aujourd'hui on nourrit les Français avec des productions non OGM, et le prix est le même que pour ceux qui alimentent les Français, sans le dire, avec des productions OGM...
Je vous remercie de votre intervention pleine d'espoir. Je suis originaire des outre-mer et j'ai suivi avec attention votre discours : vous avez parlé de réchauffement climatique, d'ouverture sur la mondialisation... Avec ses outre-mer, la France est représentée dans tous les océans. Ceux-ci représentent 80 % de la biodiversité, ce qui donne matière à faire de la recherche ! Envisagez-vous de développer des pôles de recherche et d'innovation dans les outre-mer ?
Je vais poser une dernière question, à titre personnel. Il existe un certain nombre de productions orphelines, sur lesquelles il y a peu de volumes, des spécificités particulières et des dérogations qui ne sont plus possibles sur les néonicotinoïdes depuis quelques mois. Je pense aux navets, à la noisette, aux figues...
Les volumes n'ont rien à voir avec ceux du sucre, par exemple, mais il en va de la diversification de l'agriculture. Comment l'Inrae traite-t-il ces productions plus confidentielles ?
Je ne pourrai malheureusement pas répondre à toutes vos questions dans le temps qui m'est imparti. Je répondrai à chacun d'entre vous au moins sur un sujet et je prends l'engagement de vous adresser des réponses écrites plus complètes pour prolonger le dialogue.
La question des cépages résistants est une formidable aventure scientifique, sociale et sociétale, portée par l'INRA depuis vingt ans et que nous sommes en train de diffuser. Les cépages résistants au mildiou et à l'oïdium permettent de réduire de 80 % l'apport en produits phytosanitaires. Nous diffusons ces cépages dans l'ensemble des bassins viticoles français - à Bordeaux, à Cognac, en Alsace, dans le Languedoc, etc. - afin de voir comment les croiser avec les cépages traditionnels. Nous devons bien entendu conserver la force de nos terroirs.
Sans jeter la pierre à nos prédécesseurs en recherche et en agriculture, durant les Trente Glorieuses de l'agriculture, l'augmentation de la production était le maître mot. L'apport en engrais se faisait à des coûts concurrentiels : il n'y avait donc pas le souci d'entretenir les sols. La matière organique, la couverture des sols, l'agriculture de conservation des sols sont des préoccupations qui se sont développées ces dernières années. L'Inrae est très active sur ces sujets, y compris sur des sujets sensibles comme le glyphosate afin d'améliorer notre capacité à enrichir les sols français, en se passant progressivement d'herbicides.
La question de la neutralité des fonctionnaires et des chercheurs est un sujet très important. Nos chercheurs doivent pouvoir présenter leurs travaux, sans censure, dans toutes les enceintes. Nous apportons parfois de mauvaises nouvelles - par exemple, l'effet cancinogène du dioxyde de titane, présent dans certains ingrédients alimentaires -, mais il faut que nos chercheurs puissent le dire, car cela fait partie de nos missions. Nous devons avoir le souci de l'intégrité scientifique et de la déontologie. En tant qu'expert scientifique, si je m'exprime dans l'enceinte publique, cela doit être dans le cadre de mes compétences. Mais le chercheur est aussi citoyen, il peut s'exprimer sur une cause, mais s'il sort de son domaine de compétence, il faut que cela soit clair. Nous travaillons sur ces sujets et l'Inrae est dotée d'une charte sur la déontologie et l'intégrité scientifique.
La question de l'adaptation des forêts au changement climatique est un sujet majeur. Nous avons eu longtemps l'impression que les arbres traversaient le temps et qu'ils avaient une capacité de résistance plus forte que les cultures annuelles. Ce n'est malheureusement pas le cas. Nous menons depuis plusieurs années des travaux pour étudier l'impact du changement climatique, du stress hydrique et des maladies sur la croissance des arbres. Nous avons investi le champ de la recherche sur toutes les espèces ligneuses, les feuillus comme les résineux. Nous avons une unité de recherche à Bordeaux qui travaille avec la profession à l'adaptation de notre production de résineux au stress hydrique et au changement climatique. Nous avons également une coopération internationale avec tous les pays de l'arc atlantique, mais aussi le Brésil et la Chine sur la question des forêts de plantation. Nous réfléchissons avec le Cirad à un programme prioritaire de recherche sur « forêt et changement climatique » pour les forêts tempérées, mais aussi les forêts tropicales outre-mer.
La dépendance aux protéines végétales est un sujet stratégique. Il s'agit de la souveraineté alimentaire de la France et de l'Europe. Les fruits et légumes, les agroéquipements, mais surtout les protéines végétales font partie des secteurs dans lesquels nous sommes dépendants. C'est pour nous une priorité en termes de recherche et cela concerne tout le continuum depuis l'amélioration variétale jusqu'à la transformation. L'Inrae a eu des résultats exceptionnels sur le colza. Mais les autres protéagineux ont été moins travaillés : il fallait faire des choix compte tenu du montant des investissements en génomique et le nombre d'espèces étudiées a donc été resserré. Cela pose la question des espèces dites mineures ou orphelines en recherche génétique. C'est ainsi que nous travaillons sur de nouvelles farines blé-pois qui sont optimales au plan nutritionnel et intéressantes pour les agriculteurs.
Nous sommes très engagés sur le sujet de la méthanisation. Notre laboratoire des biotechnologies de l'environnement situé à Narbonne est l'un des meilleurs laboratoires au monde sur ce sujet. Il fut inauguré en 1936 par le député Léon Blum et travaillait à l'époque sur les effluents vitivinicoles. Je vous transmettrai l'ensemble de ses axes de recherche actuels. Le traitement des boues et des effluents doit toujours tenir compte de la sécurité sanitaire, notamment du retour au sol du reliquat azoté, sans laisser de côté des volumes importants.
Les chercheurs ont tendance à dire qu'ils n'ont jamais assez de moyens. Comme tous les autres opérateurs publics, nous avons fait des efforts d'économies et d'efficacité. Cela s'est traduit pour l'INRA par la perte de 1 % de l'emploi scientifique par an pendant dix ans : nous avons donc perdu 10 % d'emplois. Cela a d'abord touché les fonctions supports, mais cela commence à atteindre nos laboratoires et les 42 unités expérimentales que nous comptons sur le territoire. Nous connaissons des tensions sur les ressources humaines. Mais faire des choix n'engage pas que l'Inrae, cela engage toute l'agriculture française.
J'espère que le projet de loi de programmation de la recherche et le projet de loi de finances nous donneront des moyens supplémentaires pour arrêter l'érosion de l'emploi scientifique dans notre pays - les défis que nous avons évoqués ne vont pas se réduire, ils vont augmenter - et pour mieux considérer nos chercheurs. J'étais co-rapporteur d'un des groupes de travail de préparation du projet de loi de programmation ; nous avons comparé les rémunérations des chercheurs dans le monde et les chercheurs français sont payés 30 % en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE. Nous avons donc proposé à Édouard Philippe et Frédérique Vidal une augmentation très significative. Les chercheurs ne choisissent pas ce métier pour l'argent, mais moins de 1,5 SMIC à bac + 8, c'est parfois compliqué en région parisienne ou ailleurs... Un protocole signé entre les organismes de recherche, la ministre et les organisations syndicales prévoit une revalorisation.
Il faut aussi de l'argent pour faire tourner les laboratoires et financer les programmes de recherche. Les dotations de base devraient être revalorisées et l'Agence nationale de la recherche (ANR) devrait disposer également de crédits supplémentaires. Aujourd'hui, les chercheurs travaillent beaucoup, mais le taux d'espérance de réussite dans les appels d'offres est de 15 %. Beaucoup de bons projets ne passent pas la rampe ! Cela n'est plus soutenable. Avec le projet de loi de programmation, ce taux devrait remonter à 30 %, ce qui remotivera les chercheurs. Nous devons aussi avoir la capacité de donner des coups d'accélérateur sur des sujets prioritaires au niveau national, comme les alternatives aux produits phytosanitaires ou les forêts et le changement climatique. J'ai plusieurs idées de projets prioritaires de recherche à soumettre au Gouvernement.
Le pastoralisme est un sujet sensible et nous avons d'excellentes équipes qui étudient la situation des bergers et des troupeaux et qui évaluent de la manière la plus objective possible l'efficacité des techniques. Nous sommes dans une situation paradoxale : nous sommes un des pays dans lesquels on investit le plus dans les mesures de protection, mais qui connaît beaucoup de prédations. Nos chercheurs travaillent sur un sujet simple à énoncer, mais difficile à travailler : comment faire progresser la crainte de l'homme chez le loup ?
Les situations de handicap économique et de déprise de nos territoires agricoles sont bien documentées par nos chercheurs, mais nous avons besoin d'outils pour freiner ces évolutions. Cela peut être des perspectives de filières économiques. La piste des paiements pour services environnementaux (PSE) est à cet égard très intéressante. Nous avons fait nos propositions pour la réforme de la politique agricole commune (PAC) et je suis fier que les équipes de l'Inrae aient été sélectionnées pour conseiller le Parlement européen sur l'évaluation de la PAC. Nous allons donc pouvoir porter notre message sur les PSE.
Lorsque je parle d'agroécologie, je pense bien sûr au bio qui est au coeur de notre stratégie. Nous sommes très actifs sur le secteur du bio. Nous avons décidé de lancer un métaprogramme afin que nos chercheurs travaillent de manière transversale et interdisciplinaire. Comment réussir le changement d'échelle du bio ? Cela pose de nombreuses questions : écologiques, économiques, les paysages agricoles, la protection des plantes, etc. Le modèle économique tient-il si l'on augmente la part de marché ? J'ai travaillé sur les appellations d'origine protégée (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP) et je sais qu'à partir d'une certaine part de marché, le consentement à payer des consommateurs se réduit. Il faut donc travailler à la fois sur l'écologique, le technique et l'économique.
Je pense que notre stratégie de communication est plutôt performante. Nous ne serons jamais à armes égales avec les réseaux sociaux. Nous essayons d'être extrêmement présents, d'abord avec des moyens classiques, mais utiles, comme la fête de la science, l'ouverture des laboratoires, le salon de l'agriculture - malheureusement reporté en 2021 -, etc. Ce sont des vitrines et des moments d'échanges fabuleux. Nous avons une stratégie volontariste avec la presse. Nos dossiers de presse font l'état de l'art de manière accessible sur de nombreux sujets : les produits phytosanitaires, le bien-être animal, la biodiversité, etc. Nos chercheurs sont présents à la télévision, à la radio, dans la presse. Je vous invite à vous abonner à notre compte Twitter.
A-t-on des moyens de veille sur les futurs risques bactériologiques ? Nous avons de bonnes coopérations dans le monde sur les impacts climatiques potentiels du dégel du permafrost. Mais nous avons une forme de carence internationale sur la question des risques sanitaires et des moyens de détection. Il y a des échanges scientifiques pour des publications, mais il n'existe pas de système d'épidémio-surveillance ou de détection précoce des risques émergents de type virologique. Je plaide pour que nous constitutions un réseau international. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères y réfléchit et la France pourrait porter une proposition au niveau des agences onusiennes. Nous sommes très volontaristes sur cette question.
Nos chercheurs ont éclairé les enjeux environnementaux et économiques du traité de libre-échange avec le Mercosur. Leurs travaux ont été rendus publics. Il revient désormais au politique de prendre des positions. À titre personnel, je considère qu'il ne serait pas raisonnable de souscrire à cet accord dans son état actuel. La position française sera probablement d'essayer de faire bouger la Commission européenne et le Mercosur pour qu'il y ait des réponses.
Y a-t-il une fuite des cerveaux en France ? Non, pas à ma connaissance. Nos chercheurs sont d'excellent niveau, très féconds et très engagés. Nous accueillons 30 % de chercheurs étrangers : nos laboratoires restent donc attractifs. Mais il y a aussi des chercheurs qui partent, comme nous l'avons vu dans le cas de notre récent prix Nobel. Il faut trouver le bon équilibre et rester attentifs. C'est pour cela que nous avons plaidé sur les rémunérations, les moyens des laboratoires et le cadre réglementaire.
Nous sommes présents à un bon niveau dans la recherche sur l'utilisation du CRISPR-Cas9 dans le secteur végétal. Nous l'avons utilisé en laboratoire, dans des serres, et nous avons participé à des essais en champs, pas en France, mais au Royaume-Uni. Comment ces techniques pourront-elles passer la barre de l'acceptation sociale ? Il faut avant tout viser le bien commun, c'est-à-dire une valeur ajoutée pour la société, au-delà de l'agriculteur. Il faut se demander ce qu'on apporte de plus par rapport aux techniques classiques de sélection génomique et comment on évalue le risque, dans un débat transparent. Nous avons des projets pour réduire les pesticides, apporter des facteurs nutritionnels supplémentaires aux plantes ou pour accélérer la transition agro-écologique.
Nous sommes aussi présents dans les outre-mer, notamment aux Antilles et en Guyane - La Réunion accueille nos collègues du Cirad. Notre centre de recherche sert de plateforme, pour les Caraïbes, sur la transition agroécologique, avec une activité très connectée aux filières locales pour promouvoir cette transition dans le contexte des Antilles, mais aussi en correspondance avec toutes les Caraïbes. En Guyane, nous avons une très belle unité de recherche forestière qui travaille sur le changement climatique et l'adaptation des forêts.
Concernant enfin votre question, madame la présidente, je m'engage à y apporter une réponse écrite, comme à l'ensemble des questions posées qui mériteraient des éclaircissements complémentaires.
Merci de nous avoir exposé votre vision stratégique sur un organisme qui fait la fierté française en matière de recherche. Au-delà de vos talents personnels, je souhaite témoigner notre reconnaissance à l'ensemble des chercheurs qui oeuvrent au sein de l'Inrae. Le salon de l'agriculture ayant été annulé, pourquoi n'irions-nous pas vous rendre visite dans l'un de vos centres, à Narbonne ou à Bordeaux par exemple ?
Avec plaisir. Je me permets de reprendre la parole pour vous remercier chaleureusement, au nom de toutes les collaboratrices et de tous les collaborateurs de l'Inrae. C'est bien eux qu'il faut féliciter.
Nous avons procédé à l'audition de M. Philippe Mauguin, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.
Nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de la loi du 23 juillet 2010, il ne peut y avoir de délégation de vote.
Nous procéderons ensuite au dépouillement ; nous sommes en contact avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale afin de procéder de manière simultanée.
L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.
Voici le résultat du scrutin :
nombre de votants : 35
pour : 33
bulletins blancs : 2
La commission donne un avis favorable à la nomination de M. Philippe Mauguin aux fonctions de président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.