Intervention de Jean-François Rapin

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 octobre 2020 à 15h30
Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, rapporteur pour avis :

Après avoir repoussé à plusieurs reprises sa présentation, le Gouvernement a finalement déposé le 22 juillet dernier un projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030.

Au regard de l'impact de ces articles sur nos finances publiques, la commission des finances a souhaité s'en saisir pour avis.

Cette loi entend donner de la visibilité aux acteurs de la recherche, en dessinant une trajectoire à même de porter nos dépenses de recherche à 3 % du PIB à l'horizon de 2030, pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés dans le cadre de la stratégie de Lisbonne en 2000.

En effet, notre pays est confronté à un risque bien réel de décrochage par rapport aux autres pays à la pointe de la recherche. Je me contenterai de vous donner un chiffre que je trouve extrêmement parlant : la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) française représente 2,21 % du PIB, tandis qu'elle se situe en moyenne à 2,37 % dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais encore à 3,04 % en Allemagne, 3,21 % au Japon et même 4,55 % en Corée du Sud. Faisons-nous encore partie des grands pays de la recherche ? Il me semble que oui. Pourrons-nous en dire de même dans dix ans ? Si nous ne prenons pas aujourd'hui le sujet à bras-le-corps, rien n'est moins sûr.

En effet, alors que nos principaux concurrents consacrent une part croissante de leur richesse nationale à l'effort de recherche, nos dépenses publiques de recherche stagnent depuis une dizaine d'années, avec une croissance en volume de l'ordre de 1,3 % entre 2008 et 2018. La dépense de recherche des administrations a même reculé de 2,2 % entre 2015 et 2018.

Pendant ce temps, la concurrence internationale s'intensifie, avec notamment l'essor des dépenses de recherche de l'Inde ou de la Chine. Dès lors, un sursaut est nécessaire : si nous voulons conserver notre rang de grande puissance scientifique, il nous faut désormais investir massivement dans la recherche.

C'est l'objet du présent texte, qui entend rompre avec des années de stagnation budgétaire.

En pratique, l'article 1er prévoit d'approuver le rapport annexé au projet de loi, qui fixe les grandes orientations de notre politique de recherche pour les années à venir, tandis que l'article 2 définit la trajectoire budgétaire des programmes rattachés au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Je partage, dans les grandes lignes, les orientations de ce texte. Il s'agit, en premier lieu, de revaloriser les métiers de la recherche, pour engager un choc d'attractivité des carrières scientifiques.

Dans la compétition internationale actuelle, nous peinons à attirer les plus grands talents, mais surtout, et cela me semble encore plus alarmant, nous peinons à retenir nos chercheurs les plus prometteurs. L'exemple récent d'Emmanuelle Charpentier, lauréate française du prix Nobel 2020 de chimie ayant effectué l'intégralité de ses travaux à l'étranger, illustre bien cette fuite des cerveaux.

Le projet de loi vise également à consolider les outils actuels de financement et d'organisation de la recherche, en procédant, notamment à un renforcement sans précédent des moyens dédiés à l'Agence nationale de la recherche (ANR).

L'ANR bénéficierait ainsi, à l'horizon de 2027, de 1 milliard d'euros supplémentaires, permettant de doubler le taux de succès aux appels à projets, en le portant à 30 % contre 17 % actuellement. Cela correspond approximativement à la hausse de crédits que je réclame depuis trois ans dans le cadre de nos travaux sur le budget de la recherche.

L'impact conjoint du projet de loi et du plan de relance permettra de dépasser ce seuil de 1 milliard d'euros dès 2021, ce dont je me réjouis.

Si le renflouement de l'ANR était donc indispensable, il ne doit pas avoir pour corollaire une attrition des moyens récurrents dont disposent les laboratoires.

Par ailleurs, le redressement de l'ANR doit s'accompagner d'une simplification des procédures. En effet, trop souvent, les équipes de recherche sont confrontées à un véritable parcours du combattant quand elles candidatent auprès des différentes agences de financement. Je prends note des efforts d'ores et déjà engagés par l'ANR pour faciliter la participation des candidats aux appels à projets. À terme, la mise en place d'un portail unique de financement me semble néanmoins incontournable.

Des synergies pourraient également être trouvées avec les appels à projets régionaux ; à cet égard, les résultats des premières expérimentations d'appels à projets menées conjointement par l'ANR et certaines régions sont très encourageants.

Pour conclure sur les grandes orientations de ce texte, je regrette que certains pans de la politique de recherche soient passés sous silence. Je pense notamment au devenir du crédit d'impôt recherche (CIR), à l'articulation avec les échelons infra et supranationaux, à la participation française aux appels à projets européens. Le rapport annexé mentionne succinctement ces points, mais dans des termes qui me semblent trop flous et peu opérationnels.

J'en viens maintenant à l'article 2 et à la programmation budgétaire. Je vous l'ai dit, je partage les grandes orientations définies par le Gouvernement ; je suis en revanche nettement plus dubitatif quant à la traduction budgétaire de ces orientations.

En effet, sur le papier si j'ose dire, la trajectoire pourrait paraître satisfaisante : un investissement de 26 milliards d'euros dans la recherche française permettant d'augmenter de 5,1 milliards d'euros, à l'horizon de 2030, la dotation annuelle des programmes de recherche. Cependant, les choix programmatiques réalisés par le Gouvernement jettent un doute sérieux quant à la crédibilité et la sincérité de cette trajectoire.

J'attire votre attention sur le fait que la programmation ne tient pas compte des effets de l'inflation. Or, en euros constants, c'est-à-dire une fois neutralisés ces effets, la hausse prévue par la loi de programmation serait cinq fois inférieure à ce qui est annoncé à l'horizon de 2030. Les crédits annuels destinés à la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES) progresseraient donc de 1 milliard d'euros, et non de 5 milliards d'euros.

Ainsi, en cumulé sur la période, la recherche publique ne bénéficiera in fine que de 7,2 milliards d'euros, soit seulement un quart de l'effort annoncé ! Les 19 milliards d'euros restants seront en réalité destinés à maintenir stables les dotations du ministère au regard de l'inflation.

Bien évidemment, étant donné l'instabilité qui caractérise la conjoncture économique actuelle, ces prévisions n'ont qu'une valeur indicative. Elles mettent cependant en lumière le caractère très incertain de la trajectoire retenue.

De toute évidence, cette trajectoire ne permettra pas de porter les dépenses de recherche des administrations (Dirda) à 1 % du PIB. En effet, selon les projections que j'ai réalisées, il aurait fallu garantir une progression de 15 milliards d'euros de la Dirda à l'horizon de 2030 pour atteindre cet objectif. Or la loi de programmation prévoit un abondement de l'ordre de 5 milliards d'euros, soit le tiers de cette somme.

En réalité, la trajectoire du Gouvernement se borne donc à stabiliser la part des dépenses de recherche dans le PIB. Cette stabilisation constituerait déjà une avancée notoire, si elle était garantie par la loi. Mais la trajectoire me semble peu crédible au regard de la durée de la programmation retenue, à savoir dix ans. Le Conseil d'État l'a rappelé dans son avis : jusqu'à présent, aucune loi de programmation n'est allée au-delà de sept ans.

La trajectoire présentée par le Gouvernement est ainsi inutilement exposée à de nombreux aléas politiques et économiques, puisque les sous-jacents ayant servi de base à sa construction sont susceptibles de varier sensiblement durant la période.

L'Assemblée nationale a certes inséré une clause de revoyure afin d'actualiser la programmation au moins tous les trois ans. Il s'agira cependant d'ajuster de manière marginale la trajectoire budgétaire, pas de la corriger réellement.

Enfin, le choix d'une programmation sur dix ans se traduit également par des marches budgétaires annuelles relativement faibles et peu susceptibles de provoquer le sursaut dont notre recherche a tant besoin. Je présenterai donc un amendement visant à ramener à sept ans cette trajectoire, afin de concentrer l'effort budgétaire sur les deux prochaines années.

Concrètement, alors que le Gouvernement prévoit d'investir 1,26 milliard d'euros d'ici à la fin du quinquennat, l'amendement que je défends portera cet effort à 3,3 milliards d'euros.

Je voudrais conclure en évoquant le plan de relance. En effet, ce dernier devrait abonder à hauteur de 2,77 milliards d'euros la politique de recherche au cours des deux prochaines années.

Je regrette que les crédits budgétaires qui viendront abonder les crédits de la recherche dans les années à venir soient éclatés entre plusieurs textes : loi de programmation, plan de relance... Cette imbrication nuit à la clarté et à l'intelligibilité de la programmation budgétaire. Il demeure très difficile d'établir avec certitude le budget des programmes de la recherche en 2021 et 2022.

Je suis conscient des contraintes budgétaires actuelles. J'estime néanmoins que les deux premières années de la programmation seront essentielles pour notre recherche, et qu'il faut à tout prix prévoir une accélération conséquente de la trajectoire ; dans ce contexte, je serais favorable à ce qu'une partie supplémentaire des crédits dédiés à la relance vienne abonder la loi de programmation.

Pour conclure, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis témoigne d'une prise de conscience bienvenue quant à l'urgence de réarmer la recherche française. Il s'inscrit dans un effort de prospective inédit, et s'engage fermement en faveur d'une hausse durable des moyens dédiés à la recherche. Je partage très largement les grandes orientations de ce texte, et plus généralement, l'ambition qui l'anime. Mais justement, parce que je partage cette ambition, il me semble crucial d'aller plus vite et plus fort en ce qui concerne l'augmentation du budget de la recherche. Si la trajectoire qui nous est présentée a le mérite d'exister, il apparaît très clairement qu'elle ne pourra provoquer le sursaut dont notre recherche a tant besoin.

Je vous invite donc à voter les deux amendements visant à ramener cette trajectoire à sept ans. Ainsi amendée, la programmation budgétaire gagnera en crédibilité et en lisibilité, tout en permettant une montée en charge plus rapide et efficace des moyens dévolus à la recherche.

Je vous propose également d'émettre un avis favorable sur le projet de loi ainsi amendé.

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