Intervention de Marc-Philippe Daubresse

Réunion du 14 octobre 2020 à 15h00
Code de la sécurité intérieure — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Marc-Philippe DaubresseMarc-Philippe Daubresse :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé à juste titre, la France est confrontée depuis maintenant plusieurs années à une menace terroriste élevée, durable, qui s’est malheureusement concrétisée par plusieurs attentats spectaculaires entraînant de très nombreuses victimes blessées, tuées, voire massacrées de manière barbare, comme cela s’est produit au Bataclan.

Le dernier exemple en date est l’attaque perpétrée – vous y avez fait allusion, monsieur le ministre – contre les anciens locaux de Charlie Hebdo, à la suite de laquelle deux personnes ont été blessées.

La menace est multiple, soudaine ou organisée, individuelle ou groupée, bien armée ou non. Grâce à l’efficacité de nos services et aux mesures exceptionnelles qui ont été prises par le Gouvernement, avec l’appui du Parlement, de nombreux attentats ont pu être déjoués. Je veux m’associer, monsieur le ministre, à la gratitude que vous avez exprimée vis-à-vis des services de police, de gendarmerie et, bien sûr, de la DGSI. Je suis moi-même fils d’un policier qui était spécialisé dans le renseignement : je sais la part d’abnégation et de dévouement qu’il faut pour exercer ce type de métier.

Partant de ce constat, ce n’est vraiment pas le moment de baisser la garde. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du risque d’une nouvelle attaque terroriste qui plane tous les jours sur la France. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, en 2018, 30 % des Français estimaient que le terrorisme était le problème le plus important de notre société, classant cette préoccupation en tête de toutes les autres.

Aujourd’hui encore, malgré la période exceptionnelle d’épidémie que nous traversons, cette préoccupation reste prégnante dans notre pays. Le Gouvernement et la représentation nationale doivent donc prendre la mesure de la demande et y répondre. Bien évidemment, nous sommes en phase sur cette question.

Pour faire face à cette menace, au cours des dernières années, nous nous sommes dotés d’un arsenal législatif renforcé en matière pénale comme administrative. Et puisque le Sénat est une assemblée sensible, en premier lieu, aux libertés individuelles, le recours aux outils qui ont été proposés n’a été autorisé, vous le savez bien, qu’à titre expérimental.

L’échéance était fixée depuis longtemps : il en est ainsi des quatre mesures de la loi, dite loi SILT, du 30 octobre 2017. Ces mesures ont fait leurs preuves : grâce aux périmètres de protection qui permettent aux préfets de sécuriser un lieu exposé à une menace terroriste, bien des problèmes ont pu être évités lors des grands événements organisés dans nos communes ou dans les grandes métropoles ; les fermetures de lieux de culte ont connu des résultats significatifs que vous avez rappelés, monsieur le ministre ; les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, permettent l’assignation d’une personne sur le territoire d’une commune ; enfin, les visites domiciliaires se sont substituées aux perquisitions et, à la suite de l’état d’urgence, les résultats furent également notoires.

Ces quatre mesures temporaires – et c’est bien sur l’initiative de la Haute Assemblée qu’elles ont ce caractère – arrivent à échéance le 31 décembre prochain. Cette échéance était connue depuis longtemps. Vos services – le président de la commission des lois et moi-même les avons rencontrés à plusieurs reprises – et nous-mêmes avons beaucoup travaillé sur le sujet, monsieur le ministre. Nous avons évalué sérieusement la question et avons beaucoup réfléchi à la meilleure manière d’optimiser et de pérenniser lesdites mesures, puisque nous étions d’accord sur l’objectif à atteindre.

À la même date arrivera à son terme l’expérimentation de la technique dite « de l’algorithme », technique de renseignement qui consiste à imposer la mise en œuvre sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques de programmes informatiques qui analysent les flux de données, en vue de détecter les connexions susceptibles de révéler une menace terroriste ou du prosélytisme. Cette technique ayant suscité beaucoup de craintes lors de son adoption, elle n’a donc, elle aussi, été autorisée par le législateur qu’à titre expérimental.

Le débat sur la nécessité de pérenniser ou non ces dispositions aurait dû intervenir dans le courant de l’année 2020. Je vous l’ai dit, nous nous y étions préparés. Pour ma part, j’ai remis deux rapports d’évaluation très explicites de ces dispositifs. Vous l’avez indiqué il y a quelques minutes, le Gouvernement a estimé que la crise sanitaire que nous traversons depuis plusieurs mois risquait de bousculer le calendrier parlementaire et d’empêcher la tenue d’un débat serein au Parlement. Objectivement, nous pensons que ce n’est pas le cas, et c’est là une divergence que nous avons avec vous.

L’objet du projet de loi que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui est de procéder à une prorogation « sèche » des dispositions que je viens de présenter dans l’attente d’un texte plus ambitieux. Vous aviez initialement prévu une prorogation d’un an jusqu’au 31 décembre 2021. L’Assemblée nationale, qui a examiné le projet de loi à la fin du mois de juillet, a porté cette durée à sept mois, ce qui supposerait que le Parlement se prononce de nouveau avant l’été 2021, avant le 31 juillet 2021 pour être précis.

Lors de la réunion de la commission des lois du 7 octobre, nous avons souscrit au principe du maintien de ces différents outils juridiques. Je sais que cette position ne fait pas l’unanimité sur les travées de cet hémicycle, certains collègues ayant déposé des amendements de suppression. Je pense pourtant qu’il s’agit d’une nécessité pour maintenir un niveau de vigilance renforcée face à une menace de plus en plus difficile à détecter et nous prémunir face aux risques d’attentats terroristes.

Sur le volet relatif au renseignement, nous n’avons pas de divergences avec vous, monsieur le ministre : la commission a adopté sans modification l’article 2 relatif à la prolongation de la technique de l’algorithme. Cette prolongation nous a paru justifiée, moins par le contexte sanitaire et par la conjoncture que par les premiers éléments d’évaluation de l’expérimentation, qui ont été transmis au Parlement à la fin du mois de juin, faisant état de premiers résultats encourageants.

Évidemment, sur ce type de sujet très sensible, il faut trouver le bon équilibre pour préserver les libertés. Ainsi, les trois algorithmes déployés par les services de renseignement auraient permis d’identifier des individus qui leur étaient jusqu’alors inconnus.

Cela étant, le rapport ne met pas le voile sur le fait que la technique de l’algorithme est encore en phase de développement. Comme vous l’avez souligné, une épée de Damoclès pèse sur l’ensemble de ces techniques depuis la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est donc plutôt de la sagesse, et une bonne mesure, que de reporter l’examen de ces dispositifs à la discussion d’un texte relatif au renseignement beaucoup plus complet sur lequel, d’ailleurs, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a beaucoup travaillé.

Sur le second volet du projet de loi, la commission des lois n’a en revanche pas suivi la position du Gouvernement et de nos collègues députés. Nous ne nous opposons évidemment pas au maintien des mesures de la loi SILT, mais nous estimons que le report du débat sur leur pérennisation, ainsi que sur les éventuels ajustements à y apporter, n’est pas justifié, d’une part, parce que l’important travail d’évaluation auquel j’ai fait allusion a été réalisé et, d’autre part, parce que le président de la commission des lois, plusieurs collègues de la majorité sénatoriale et moi-même avons déposé une proposition de loi très détaillée, connue depuis longtemps, qui permettait de travailler tranquillement et sereinement avec le Gouvernement.

Nos travaux concluent tous à l’efficacité des quatre outils que j’ai cités dans le dispositif de lutte contre le terrorisme. Après deux années d’auditions et de déplacements, j’ai moi-même dressé un bilan très positif de l’application de ces mesures.

Je souhaite répondre par anticipation à certaines des critiques que la position de la commission des lois, qui a consisté à réécrire l’article 1er du projet de loi en y apportant des modifications, pourrait susciter. Nous ne voulons évidemment pas porter une atteinte disproportionnée aux droits et aux libertés : ce n’est certainement pas la vocation du Sénat.

Le Conseil constitutionnel a d’ores et déjà validé de nombreuses dispositions sur le plan juridique. Notre commission, tout en pérennisant les mesures de la loi SILT, a souhaité proposer quelques évolutions qui sont, somme toute, assez consensuelles pour l’ensemble des acteurs de la lutte contre le terrorisme, afin de les rendre plus efficaces.

Elles sont au nombre de trois : premièrement, nous souhaitons étendre le champ de la mesure de fermeture administrative des lieux de culte aux lieux connexes – on sait bien que, aujourd’hui, le prosélytisme se manifeste dans des lieux comme des librairies, des salles de sport ou des centres de loisirs –, pour éviter le déport des discours radicaux vers d’autres lieux ; deuxièmement, nous voulons renforcer l’information des autorités judiciaires sur les Micas, de manière à assurer une bonne articulation avec les mesures de contrôle judiciaire, par exemple ; enfin, troisièmement, nous désirons élargir les possibilités de saisie informatique dans le cadre d’une visite domiciliaire au cas où l’occupant des lieux ferait obstacle à l’accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatique.

Monsieur le ministre, ces modifications, qui ont d’ailleurs fait l’objet d’un large consensus avec vos services

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