Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 14 octobre 2020 à 15h00
Code de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe est à l’aise vis-à-vis de ce projet de loi et des conclusions issues du débat devant la commission des lois.

La menace terroriste est toujours là ! Vous avez eu la pertinence, monsieur le ministre, de mettre les choses en perspective : vous avez rappelé les 11 attaques et 20 morts depuis 2017, tout en mettant en balance les 32 attaques qui auraient été déjouées. Nous comprenons donc bien les difficultés et le niveau du péril.

Pour une fois, nous avons pu, sur ce sujet, travailler sinon en anticipation, du moins largement en amont. La loi de 2017, qui prévoyait la durée d’expérimentation, prévoyait également un suivi tout particulier par le Parlement et vous avez rappelé la communication régulière par vos services des éléments relatifs à la mise en œuvre de ces mesures sur l’ensemble du territoire.

Travailler en amont est toujours une bonne méthode. Sous l’égide de notre collègue M. Marc-Philippe Daubresse, une mission de contrôle a pu être mise en place ; elle nous a permis de mesurer la pertinence, ou non, des quatre mesures adoptées – dans le cas précis, la pertinence est clairement avérée.

C’est donc une bonne méthode de travail pour le Parlement, et c’est ce qui nous permet, au moment où vous revenez devant nous pour nous proposer une prorogation de l’expérience, de vous suggérer, plutôt, une pérennisation.

Celle-ci nous paraît souhaitable pour les quatre mesures, qui, par ailleurs, donnent aujourd’hui lieu à une utilisation tout à fait homéopathique. Quand, par exemple, vous avez fait référence à un volume de quelque 330 Micas, monsieur le ministre, il s’agit pour l’essentiel de mesures intervenues dans la foulée de la loi de 2017. Aujourd’hui, l’utilisation est très raisonnable, puisque vous avez mentionné 60 mesures encore en cours.

Nous pensons par conséquent souhaitable pour ces quatre dispositions, correspondant à des besoins de la pratique, très contrôlées sur le plan juridique et ayant reçu l’aval du Conseil constitutionnel, d’en assurer la pérennisation.

Mon groupe n’est pas opposé aux mesures très précises, et qui ont été ajustées, figurant dans les propositions de la mission de contrôle, notamment l’extension de la fermeture aux lieux connexes lorsque l’on a la preuve d’éléments de radicalisation au niveau d’un lieu de culte. Le renforcement de l’information des parquets sur les autorisations prises par les préfets nous paraît plutôt une bonne méthode. Quant à l’élargissement de la possibilité de saisir les moyens informatiques lors des perquisitions, nous savons que c’est un sujet.

Reste donc, en définitive, la question soulevée préalablement, monsieur le ministre, à savoir votre souhait de maintenir une prorogation de cette expérience au 31 décembre 2021 et de ne pas retenir notre proposition d’inscrire les mesures concernées dans le droit commun.

J’aurais tendance à rester sur la logique adoptée par la commission des lois et à défendre, encore, l’idée d’une consolidation du droit.

D’abord, voilà trois ans que l’expérience est menée. En quoi quatre années seraient-elles de nature à changer notre regard sur ces mesures ? Je suis un peu dubitatif… Le délai actuel me paraît convenable.

Par ailleurs, le bilan est robuste. Je ne vois pas très bien, sur l’une ou l’autre de ces mesures, où se situeraient les points de débat.

Enfin, deux motifs de fond conduisent mon groupe à privilégier la pérennisation à la prorogation sèche.

Premièrement, notre préférence pour le recours au droit commun. Nous sommes en général très réticents à des mesures d’exception. La loi de 2017 avait fait l’objet d’amples débats ; dès lors que nous disposons aujourd’hui d’éléments stabilisés, nous préférons voir ces mesures fixées dans le droit commun plutôt que traitées de manière dérogatoire.

Deuxièmement, la sérénité du débat public, que vous-même, monsieur le ministre, appelez de vos vœux. Nous partageons, bien sûr, cet objectif. Nous nous permettons simplement d’observer qu’une prorogation au 31 décembre 2021 impliquerait la tenue du débat à l’automne prochain. Or une élection majeure dans notre pays sera alors dans tous les esprits. Pour le coup, nous pourrions craindre un manque de sérénité et une possible instrumentalisation du sujet.

S’agissant des algorithmes, nous avons en revanche suivi votre proposition de nouveau délai, car un travail d’évaluation reste à faire.

J’ai pris la peine de lire le rapport dit d’évaluation au 30 juin 2020, très récent, mais antérieur à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agit d’un document extrêmement technique, expliquant comment ont été sélectionnés les trois algorithmes et exprimant un certain nombre de demandes, notamment sur les données IP et URL.

Il est clair que, sur ces sujets, les choses ne sont pas du tout stabilisées juridiquement et que les conséquences de l’arrêt de la CJUE, notamment au regard des demandes d’extension des données émanant de vos services – c’était bien le sens des demandes formulées dans le rapport d’évaluation… – exigent une poursuite des travaux. À l’évidence, ces dispositions trouveront assez aisément leur place dans le texte relatif au renseignement auquel le président Christian Cambon faisait référence.

S’agissant des libertés publiques, mon groupe y est, bien sûr, extrêmement attaché. Mais nous avons tout de même le sentiment qu’en matière de terrorisme tout est maintenant bordé : il s’agit – heureusement – d’un segment tout à fait particulier, et non d’atteintes générales auxdites libertés.

Autant, donc, nous sommes extrêmement attentifs à la problématique des libertés publiques, autant, sur ce point-là, nous n’avons pas le sentiment que le texte soit critiquable.

C’est la raison pour laquelle j’ai indiqué, en préambule, que mon groupe était à l’aise sur ces sujets. S’il restait pour le ministère de l’intérieur, ou pour le Gouvernement au sens large, des points de discussion, comme l’a suggéré Alain Richard, il me semble que les jours dont nous disposons avant la réunion de la commission mixte paritaire permettront de lever les dernières difficultés et de pouvoir, ainsi, nous orienter directement vers une pérennisation, dans les conditions de sérénité que vous avez appelées de vos vœux.

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