Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 14 octobre 2020 à 15h00
Code de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Que ce soit 2015 ou 2016, nous avons tous vécu, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces années dans la douleur, dans la colère aussi, tant le terrorisme nous a frappés dans nos cœurs et dans nos chairs. Ce n’était pas les premiers attentats que nous avions à connaître et la France, cette année-là, ne fut pas la seule touchée. Mais nous fûmes, toutes et tous, stupéfaits par cette violence et par cette haine.

Au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous sommes fiers de l’action que menèrent, alors, François Hollande et Bernard Cazeneuve. Jamais ils n’ont dévié d’une ligne de fermeté républicaine dans le cadre de l’État de droit. Car la victoire du terrorisme, mes chers collègues, serait que nous changions, que nous ne chérissions plus notre liberté par peur pour notre sécurité, que nous renoncions à « être Charlie », que nous renoncions à être nous-mêmes.

Au nom de mon groupe, je souhaite d’abord rendre hommage à celles et ceux qui se sont engagés et qui s’engagent dans cette lutte contre le terrorisme, dans les services de police et de renseignement, dans nos armées hors de nos frontières, mais également au sein de notre justice, celle-ci constituant, dans un État de droit, un axe fondamental de cette lutte.

En 2014, nous avons créé de nouvelles infractions, qui permettaient de judiciariser de manière plus précoce des actes susceptibles d’amener à la violence, tout en assurant dans les meilleurs délais un contrôle réel, par le juge judiciaire, des atteintes aux libertés que cela pouvait entraîner.

En 2015, avec la loi relative au renseignement et la création de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, nous avons encadré les actions des services de renseignement, en leur donnant des moyens et en adoptant la possibilité de faire des expérimentations par algorithme des données de connexion.

En 2016, enfin, une proposition d’introduction de l’état d’urgence dans la Constitution aurait pu permettre d’inscrire dans une loi organique les dispositions dont celui-ci permettait la mise en œuvre. Mal introduite, cette proposition n’a malheureusement pas prospéré, et c’est un regret que nous avons encore aujourd’hui, au vu de la situation.

Les mesures de la loi SILT ont été adoptées en 2017, au sortir de l’état d’urgence. En fait, nous avons procédé à une inscription dans le droit commun et à un changement de nom : nous avons remplacé « perquisitions » par « visites domiciliaires » et « assignations à résidence » par « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance », les Micas. Nous avons en outre mis en place des possibilités administratives de fermeture de lieux de culte et des périmètres de protection.

Compte tenu de la nature de ces mesures administratives, c’est le Sénat, sur l’initiative du président de la commission des lois de l’époque, Philippe Bas, qui a émis le souhait d’une application expérimentale pour trois ans, et le Conseil constitutionnel s’est prononcé dans ce cadre de mesures strictement contrôlées par le Parlement et provisoires.

Par le présent projet de loi, tel qu’il nous parvient de l’Assemblée nationale, il nous est proposé de proroger ces mesures de sept mois, tout comme l’expérimentation d’algorithmes, qui, après avoir été autorisée, en 2015, jusqu’en 2018, a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2020, sous le contrôle de la CNCTR.

Les mesures de la loi SILT et les mesures concernant les algorithmes s’éteignent effectivement au 31 décembre 2020 et, faute d’avoir pu débattre cette année d’un texte législatif plus large, compte tenu des circonstances sanitaires, mais aussi de la nouveauté créée par la décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conservation des données de connexion, il aurait pu sembler raisonnable d’en rester à la proposition du Gouvernement.

En effet, monsieur le rapporteur, on trouve tout de même, dans le texte issu des travaux de la commission des lois, deux contradictions.

D’une part, alors que le Sénat, voilà trois ans, a demandé un renforcement des outils de contrôle parlementaire et imaginé un dispositif s’éteignant au bout de trois ans, eu égard à la menace que pouvait représenter l’usage de telles mesures administratives, c’est en son sein, aujourd’hui, que l’on propose de pérenniser ces mêmes mesures, et ce sans conserver à l’identique les outils de contrôle parlementaire.

D’autre part, monsieur le rapporteur, vous acceptez de changer la première partie du texte pour aller vers une pérennisation, mais, dès lors que l’on vous fait des propositions de simplification de la saisine de la CNCTR ou de conservation des données entre la voix et l’image, vous n’en voulez pas dans la deuxième partie. C’est un peu paradoxal !

Sur la question, déjà évoquée, des personnes sortant de prison, les mesures que nous envisageons d’adopter, les Micas, sont plus fortes que celles qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel, après avoir été votées, dans cette enceinte et à l’Assemblée nationale, pendant l’été.

Dans ce contexte, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain défendra la suppression de l’article 1er, au motif que la commission des lois nous propose une inscription définitive dans la loi, sans conserver les mêmes outils de contrôle parlementaire.

Nous proposerons, par amendement, de préciser certaines mesures portant sur les périmètres de protection et de renforcer les exigences relatives aux motivations de mise en œuvre d’une visite domiciliaire.

Enfin, nous refuserons la suppression des mesures permettant un contrôle parlementaire effectif.

S’agissant de la deuxième partie du texte, nous proposerons d’autoriser la CNCTR à accéder aux fichiers de souveraineté dans le cadre de sa mission de contrôle et de simplifier des dispositions relatives à la conservation des données et aux décisions de la CNCTR, propositions qui sont inspirées des récents rapports d’activité de cette Commission.

L’article 2, même non modifié par nos propositions, ne nous poserait en définitive pas trop de problèmes – c’est la suite logique de la loi relative au renseignement – et nous pourrions être prêts à accepter une pérennisation des mesures évoquées à l’article 1er, qui sont et restent néanmoins exorbitantes du droit commun tant elles constituent des mesures administratives susceptibles de porter atteinte aux libertés, si nous avions toutes les garanties d’une mise en œuvre correcte et d’un contrôle parlementaire très pointilleux. Mais il est probable, malheureusement, que nos propositions ne soient pas retenues…

Ainsi, sauf bonne surprise – c’est toujours possible dans un débat parlementaire –, il est également probable que mon groupe soit contraint de voter contre ce texte, à l’issue de nos débats. Mais… espérons une bonne nouvelle !

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