Lors de la discussion du projet de loi relatif aux musées de France, en 2001, Philippe Richert avait considéré que, s'agissant des collections publiques, la loi devait « s'en tenir aux règles de droit commun de la domanialité publique », qui « permet de conserver une certaine souplesse en ménageant la possibilité de déclassements » et que « la gestion d'une collection ne peut se réduire à une stricte mission de conservation et pour certains types de collections doit être un exercice dynamique ». De fait, si la distinction entre la res privata et la res publica date de l'Empire romain, la Révolution française a donné à la nation la possibilité de constituer un patrimoine national et à la représentation nationale le pouvoir de sortir des pièces des collections. Il est important de comprendre que permettre la constitution de collections, c'est aussi permettre d'en sortir des pièces.
Le droit permet de protéger les collections contre le fait du prince, c'est-à-dire la tentation que pourrait avoir l'exécutif de choisir des pièces dans les collections publiques pour servir une politique diplomatique, tout en faisant des conservateurs du patrimoine de simples gardiens des collections. Les collections sont nationales et, en dernier ressort, la représentation nationale doit pouvoir décider que, pour des raisons politiques d'importance, des pièces puissent en sortir.
Je vous le dis sans ambages : autant l'argumentaire développé par l'ambassade du Bénin m'a convaincu, autant j'ai des doutes sur la restitution du sabre, modèle 1820 de l'officier d'infanterie français, dont le musée de l'Armée détient sans doute une centaine d'exemplaires. Par ailleurs, la France aurait pu tout aussi bien envisager de le remettre au Mali de manière parfaitement légitime, puisque l'Empire toucouleur qu'El Hadj Omar Tall a constitué était étendu sur l'actuel Mali bien plus que sur le Sénégal. Enfin, d'après ce que j'ai compris de nos interlocuteurs à l'ambassade du Sénégal, ce qui est célébré aujourd'hui en la personne d'Omar Tall, c'est aussi le dignitaire religieux qui a introduit au Sénégal une forme de soufisme sunnite très intéressant, que je trouve très mal représenté par le symbole d'un sabre d'infanterie. En réalité, j'ai le sentiment que le Sénégal n'a pas été extraordinairement associé dans le choix de cet objet, qui figure aujourd'hui dans la loi par le résultat d'un circuit de décision que nous n'avons pas réussi à comprendre exactement, ce qui est un souci majeur.
Je comprends la nature des restitutions qui sont liées à des spoliations. Malheureusement, les spoliations continuent... À cet égard, le marché de l'art parisien, qui a permis la revente d'un certain nombre de pièces provenant des pillages réalisés par Daech en Syrie, n'est pas exemplaire. Ce qui a été pillé ailleurs ne doit pas arriver aussi facilement sur le marché de l'art parisien. Si la France doit s'engager aujourd'hui, c'est en ce sens.
Hélas, les pillages du patrimoine africain continuent, notamment lors des travaux d'aménagement. Les entreprises françaises qui interviennent en Afrique devraient s'engager à réaliser de l'archéologie préventive avant de réaliser de tels travaux. Elles apporteraient ainsi la preuve que la France est aussi en capacité de défendre le patrimoine africain sur place, en Afrique.