Madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie d'excuser le président de notre commission, Laurent Lafon, qui, étant cas contact, a dû se confiner. Nous lui souhaitons de revenir en pleine forme le plus vite possible.
La commission de la culture, de l'éducation et de la commission du Sénat ne peut passer sous silence l'assassinat, à Conflans-Sainte-Honorine, d'un professeur d'histoire-géographie et d'éducation morale et civique qui voulait transmettre à ses élèves la liberté d'expression, l'esprit critique, lequel est indissociable de l'esprit civique, et les valeurs de notre République, qui sont inséparables de la construction de notre école.
Laurent Lafon nous a indiqué son souhait d'organiser une audition commune de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, et de Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, avec nos collègues de la commission des lois. Notre commission aura certainement, dans les mois à venir, à apporter sa pierre à l'édifice des réflexions que le pays doit avoir sur la laïcité comme enjeu essentiel de notre école, afin de permettre aux enseignants de travailler en toute sérénité. En ces temps troublés, la belle formule de Jean Zay est plus que jamais d'actualité : l'école de la République doit « rester l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ».
chers collègues, je vous propose de procéder à la nomination des rapporteurs pour les avis budgétaires du projet de loi de finances pour 2021, les groupes politiques ayant été consultés.
Ont été désignés :
Mission Action extérieure de l'État
Claude Kern
Mission Culture
Patrimoines : M. Philippe Nachbar
Création et transmission des savoirs et démocratisation de la culture : Mme Sylvie Robert
Mission Enseignement scolaire
Enseignement scolaire : M. Jacques Grosperrin
Enseignement technique agricole : Mme Nathalie Delattre
Mission Médias, livre et industries culturelles
Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public : M. Jean-Raymond Hugonet
Presse : M. Michel Laugier
Cinéma : M. Jérémy Bacchi
Livre et industries culturelles : M. Julien Bargeton
Mission Recherche et enseignement supérieur
Recherche : Mme Laure Darcos
Enseignement supérieur : M. Stéphane Piednoir
Mission Sport, jeunesse et vie associative
Sport : M. Jean-Jacques Lozach
Jeunesse et vie associative : M. Jacques-Bernard Magner
Mes chers collègues, nous poursuivons notre travail législatif avec, cette semaine, le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.
Ce texte fait suite à la réflexion lancée par le Président de la République voilà bientôt trois ans autour du retour du patrimoine africain en Afrique. Il sera examiné en commission la semaine prochaine, avant sa discussion en séance publique le mercredi 4 novembre prochain.
En votre nom à tous, je remercie Mme la ministre d'avoir accepté de répondre à notre invitation à venir nous présenter ce texte. L'Assemblée nationale en a achevé l'examen en première lecture il y a quinze jours.
Madame la ministre, vous conviendrez avec moi qu'il s'agit d'un sujet complexe, où se croisent de nombreux enjeux, à la fois culturels, éthiques, historiques, juridiques, scientifiques et diplomatiques.
Cela dit, il ne s'agit pas d'un sujet tout à fait nouveau pour le Sénat. Ce sont deux sénateurs qui ont été à l'origine des deux seules lois de restitution que notre pays a adoptées à ce jour : Nicolas About, pour la loi de restitution de la « Vénus hottentote », et Catherine Morin-Desailly, pour la loi de restitution des têtes maories.
Les restitutions auxquelles il pourrait être procédé dans le cadre du présent projet de loi portent non pas sur des restes humains « patrimonialisés », comme ce fut le cas par le passé, mais sur des objets d'art. C'est la raison pour laquelle notre commission a souhaité lancer, dès janvier dernier, une réflexion sur ce sujet, avec la création d'une mission d'information consacrée à la question de la restitution des objets d'art. Celle-ci, sous la présidence de Catherine Morin-Desailly, devrait achever ses travaux dans les semaines à venir et nous présenter ses préconisations avant la fin de l'année.
Madame la ministre, après votre exposé liminaire, je donnerai la parole à notre rapporteure, Catherine Morin-Desailly. J'inviterai ensuite un représentant de chaque groupe à prendre la parole, avant de laisser l'ensemble des collègues qui le souhaiteraient s'exprimer sur ce texte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux à mon tour évoquer la mémoire de Samuel Paty et m'associer à l'hommage que vous avez rendu à ce professeur, monsieur le président. Le ministère de la culture s'y associe d'autant plus naturellement qu'il a pour mission de défendre l'exception culturelle française, dont la caricature a toujours fait partie. Qu'il me soit permis d'évoquer les grands noms de Casati, de Numa, de Philipon, de Le Petit, de Daumier, ainsi que les liens qui unissaient Daumier et Baudelaire ou Philipon à Balzac.
Le ministère de la culture est aussi chargé de la protection de la presse, notamment de la presse écrite. Ce n'est pas devant n'importe quelle caricature que Samuel Paty a fait son oeuvre d'éducation : c'est devant une caricature de Charlie Hebdo. Je ne peux m'empêcher d'évoquer la mémoire de Tignous, de Charb, de Cabu, de Wolinski. C'est donc véritablement du fond du coeur que je m'associe à cet hommage.
Je veux adresser mes sincères félicitations à ceux d'entre vous qui ont été élus ou réélus au mois de septembre dernier et saluer votre nouveau président, Laurent Lafon, à qui je souhaite pleine réussite dans la mission particulièrement exigeante, mais aussi passionnante qui est la sienne.
M'exprimant devant votre commission pour la première fois, je veux vous témoigner mon profond respect pour le travail que vous effectuez. Ayant moi-même une grande expérience de parlementaire, je sais votre implication au service des Français, au-delà de tous les clivages. Cette implication est absolument essentielle au bon fonctionnement des institutions républicaines. Vous pouvez donc compter sur moi pour m'appuyer, chaque fois que cela sera possible, chaque fois que cela sera utile, chaque fois que vous le souhaiterez, sur vos travaux, dans un esprit toujours ouvert et constructif.
Le sujet que nous abordons aujourd'hui rencontre d'ailleurs un écho particulier parmi vous, puisque vous vous êtes saisis depuis plusieurs années des enjeux entourant les restitutions d'oeuvres d'art. Je veux vraiment saluer le travail et l'implication, dans ce domaine, de Catherine Morin-Desailly, qui a conduit au lancement d'une mission d'information au début de l'année. Je souhaite que le travail qui a été mené par les deux corapporteurs, Alain Schmitz et Pierre Ouzoulias, puisse contribuer à éclairer un débat complexe et indispensable.
J'en viens au projet de loi lui-même. Ce texte marque l'aboutissement d'un long travail, qui trouve son origine dans la volonté exprimée par le Président de la République dans le discours qu'il a prononcé à Ouagadougou en novembre 2017. Il y proposait de réunir les conditions pour des restitutions du patrimoine africain dans le cadre d'un partenariat approfondi entre la France et les pays du continent africain.
Le projet de restitution de 26 oeuvres issues de ce que l'on appelle communément le « Trésor de Béhanzin » à la République du Bénin et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall et de son fourreau à la République du Sénégal s'inscrit dans le cadre d'une politique de coopération culturelle déjà engagée avec ces deux pays.
Ce projet de loi prend également place dans un contexte général de réflexion sur le rôle et les missions des musées en Europe et dans le monde, et sur la nécessité de mieux connaître l'histoire des collections et leur provenance, notamment lorsque ces oeuvres sont issues du continent africain.
Il s'agit d'un texte important, qui incarne une nouvelle ambition dans nos relations culturelles avec celui-ci.
Les oeuvres et les objets que nous souhaitons restituer aux deux pays sont exceptionnels à tous égards. Leur valeur est à la fois esthétique et historique. Arrivés en France à la suite de faits violents, qui ont conduit à leur appropriation, ils sont devenus les symboles d'une culture, d'un peuple, d'une nation. Ils sont de véritables « lieux de mémoire », au sens où l'entend Pierre Nora.
Le trésor des rois d'Abomey incarnait la continuité et la grandeur de cette dynastie pluriséculaire quand il a été saisi en 1892 par le général Dodds lors des combats opposant le roi Béhanzin aux troupes françaises. Ces 26 oeuvres sont devenues, pour le peuple béninois, le symbole d'une indépendance perdue. Alors qu'elles étaient conservées par différents musées français, puis, à partir de sa création, en 1999, par le musée du Quai Branly-Jacques Chirac, leur retour sur le sol béninois en 2006, dans le cadre d'une exposition temporaire, a suscité une émotion considérable, prélude à la demande officielle de restitution adressée, en 2016, par la République du Bénin à la République française.
De même, le sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall incarnent l'aventure exceptionnelle qu'ont été la fondation et l'extension de l'Empire toucouleur par ce chef militaire et religieux, qui s'est finalement lui aussi heurté aux forces françaises. Il a été donné au musée de l'Armée il y a plus d'un siècle par le général Louis Archinard et il est actuellement exposé au musée des civilisations noires de Dakar, dans le cadre d'une convention de prêt de longue durée.
En restituant ces objets au Bénin et au Sénégal, nous contribuons à ce que la jeunesse africaine puisse avoir accès à des éléments majeurs de son propre patrimoine, conformément à l'objectif qui avait été défini par le Président de la République.
Je souhaite à présent vous préciser le sens, la portée et les conséquences du projet de loi. Rappelons tout d'abord que la restitution par un État à un autre État de biens culturels et plus généralement d'objets n'a rien d'inédit, y compris dans la période récente. Parmi les restitutions les plus récentes consenties par la France figurent notamment une statue volée à l'Égypte, en 1981, en application d'un jugement d'un tribunal français, 21 têtes maories, rendues à la Nouvelle-Zélande en vertu de la loi votée en 2010 sur l'initiative de Catherine Morin-Desailly, ou encore 32 plaques d'or, restituées à la Chine en application de la convention de l'Unesco pour la lutte contre le trafic illicite des biens culturels de 1970, qui a été ratifiée par la France en 1997. Ces différents cas illustrent la diversité des voies offertes par le droit français pour procéder à des restitutions.
S'agissant des objets dont nous traitons aujourd'hui, c'est une initiative du législateur qui permettra d'apporter une réponse aux demandes du Bénin et du Sénégal. À la différence d'une décision judiciaire, cette procédure n'aura pas pour effet de créer de jurisprudence. J'y insiste : le projet de loi n'a pas de portée générale. Il ne vaut que pour le cas spécifique de l'ensemble d'objets qu'il énumère expressément. Ainsi, quand bien même les objets concernés seraient considérés comme des « prises de guerre », le vote du texte n'aurait pas pour effet de remettre en cause la légalité de la propriété de notre pays sur tout bien acquis dans le contexte d'un conflit armé.
Par ailleurs, la voie législative s'impose à nous dans la mesure où la restitution des objets au Bénin et au Sénégal implique de déroger au principe d'inaliénabilité des collections publiques inscrit dans le code du patrimoine. Ce principe est, de fait, au coeur de la conception française du musée, qui charge nos institutions publiques de constituer des collections, afin qu'elles soient étudiées, conservées et présentées au public. Le projet de loi propose de déroger à ce principe d'inaliénabilité, mais il ne le remet pas en cause - à l'instar des précédentes lois du même type, comme celle de 2010.
L'adoption d'un amendement de la députée Constance Le Grip, lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, a d'ailleurs permis d'inscrire dans celui-ci la référence à ce principe, de telle sorte que les restitutions en sont explicitement désignées comme des dérogations.
Au-delà des modalités de leur encadrement législatif, ces restitutions sont au coeur de débats très vifs. Elles nourrissent de nombreux questionnements éthiques, philosophiques, politiques.
Je veux être claire : en procédant à la restitution de ces oeuvres au Bénin et au Sénégal, nous ne remettons pas en cause le rôle joué par les musées français qui en ont assuré la conservation. Au contraire ! Le musée du Quai Branly-Jacques Chirac et le musée de l'Armée en ont non seulement permis la conservation, mais ils ont aussi contribué, par les études approfondies qu'ils ont menées à leur sujet, à en révéler les valeurs historique et esthétique. Ils en ont également assuré la présentation au public, en France comme à l'étranger, notamment dans les pays concernés par les restitutions, dans le cadre de prêts. Nous devons leur en être reconnaissants.
Il est encore moins question pour nous de remettre en cause l'approche universaliste des musées, que la France promeut depuis plus de deux cents ans. Dans un monde fracturé par les positions identitaires de toutes sortes, nous avons plus que jamais besoin de musées universels pour réunir des oeuvres provenant de tous les continents, de toutes les époques, pour faire dialoguer les cultures dont elles sont le témoignage. L'actualité immédiate nous le rappelle de façon impérieuse et tragique.
C'est aussi pour cela que la France n'accepte de restituer des oeuvres à d'autres États que si ces derniers s'engagent à ce que celles-ci conservent leur valeur patrimoniale, autrement dit à ce qu'elles continuent à être conservées et présentées au public dans des lieux consacrés à cette fonction. Dans le cas du Bénin et du Sénégal, de telles garanties ont été données - elles l'ont même été par avance par le Sénégal.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis n'est pas un acte de repentance ni une condamnation du modèle culturel français : c'est un acte d'amitié, de confiance envers le Bénin et le Sénégal, pays auxquels nous lient une longue histoire commune et des projets d'avenir.
Le soutien unanime que le texte a reçu lors de son examen à l'Assemblée nationale témoigne de l'unité qui doit prévaloir sur ce sujet. S'ils peuvent susciter des questionnements légitimes, auxquels je répondrai, ces actes de restitution doivent nous rassembler, au-delà des clivages politiques, autour des valeurs universelles qui fondent notre République.
Je rappelle que le Sénat a voté deux propositions de loi sur ces sujets au cours des vingt dernières années. Cependant, celles-ci concernaient des restes humains patrimonialisés. Notre mission d'information formulera un certain nombre de propositions sur cette question, à la suite de l'excellent travail réalisé par le groupe spécifique de la Commission scientifique nationale des collections (CSNC).
Pour avoir été l'auteure de la proposition de loi de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande, je sais à quel point cette question est très délicate et très complexe. Il est très difficile de faire la part des choses entre ce qui est légal - le droit en vigueur -, ce qui est vrai - la vérité historique et scientifique - et ce qui est bon - le sens de l'histoire, de l'évolution du monde et de la connaissance mutuelle dans le contexte de la mondialisation.
En 2012, j'avais contribué, avec Philippe Richert, qui a été le rapporteur, pour le Sénat, des deux textes de restitution, à mettre en place la CSNC, dont la première ébauche remontait à la loi relative aux musées de France de 2002. Par la suite, nous avons tous les deux regretté que ces outils n'aient pas été pleinement exploités. Avec cette commission, notre pays avait l'occasion de s'emparer pleinement du sujet des restitutions, dont on voyait bien qu'il n'allait faire que rebondir, pour y réfléchir de manière lucide, prospective et proactive.
Je déplore que rien n'ait été fait de la part du ministère de la culture pour faciliter l'installation de cette commission. Il a fallu trois ans pour qu'elle se mette en place, et sa composition n'offrait pas assez de souplesse et de fluidité pour qu'elle puisse travailler de façon efficace. Elle a par ailleurs elle-même refusé de jouer son rôle en matière de restitution, ce qui nous conduit aujourd'hui à nous retrouver dans une position défensive et à avoir pour seul élément de référence le rapport Sarr-Savoy, qui, s'il a le mérite d'énoncer un certain nombre de vérités et de donner un coup de pied dans la fourmilière, est contesté, pour comporter un certain nombre d'inexactitudes et pour n'avoir peut-être pas assez associé nos conservateurs et un certain nombre de scientifiques et de chercheurs.
Je veux vous interroger, madame la ministre, sur le rôle que doivent pleinement jouer nos chercheurs, nos scientifiques, nos conservateurs dans cette réflexion, pour éviter notamment que des atteintes fondamentales ne puissent, à terme, être portées au principe d'inaliénabilité des collections, et sur la manière dont le ministère de la culture compte s'y prendre, à l'avenir, pour éclairer le politique si l'on convient aujourd'hui que ce sont des lois de circonstances qui permettront de régler les questions de restitution. Je rappelle que l'origine de notre droit en la matière remonte à l'Édit de Moulins, qui, dès le XVIe siècle, a permis d'éviter que les restitutions ne s'apparentent au fait du prince.
Ne croyez-vous pas qu'un comité national de réflexion sur les restitutions, qui serait composé de conservateurs, de scientifiques, mais aussi d'historiens d'art et de juristes, pourrait être le meilleur moyen d'orienter quelque peu notre réflexion, au-delà du travail accompli par les musées ?
Avez-vous par ailleurs des précisions à nous donner sur les instructions concernant le travail scientifique de recherche de provenance, de recherche archivistique que vous comptez donner pour permettre d'avancer sur le sujet ? Des moyens particuliers seront-ils alloués à ce vaste chantier ? En Allemagne, pas moins de 1,9 million d'euros sont consacrés à un fonds chargé de telles recherches. Les conservateurs présents à la réunion organisée par Icom-France « Restituer ? Les musées parlent aux musées » évoquent tous une carence en personnels dédiés, en historiens d'art spécialisés. Le manque de moyens est crucial.
Je veux, madame la rapporteure, rendre hommage à votre travail très complet sur ces questions.
Effectivement, le Gouvernement propose, dans le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), la suppression de la Commission scientifique nationale des collections. Cette commission, qui avait été créée dans le cadre d'une loi procédant à une restitution - celle des têtes maories -, n'est, en réalité, pas compétente dans ce domaine, comme l'a d'ailleurs précisé son président, M. Jacques Sallois, dans un rapport de 2015. Elle n'est compétente qu'en matière de déclassement, procédure qui ne peut être engagée qu'en cas de perte d'intérêt public d'un bien. Or les oeuvres qui font l'objet de restitutions ont, par nature, un intérêt esthétique et historique majeur. Il s'ensuit que la suppression de la CSNC n'a aucune incidence sur les restitutions et donc sur le projet de loi qui vous est soumis.
Par ailleurs, dans la perspective de la commission mixte paritaire sur le projet de loi ASAP, le Sénat a proposé le remplacement de la CSNC par une nouvelle procédure de déclassement des biens conservés dans les collections patrimoniales, en en confiant la compétence au Haut Conseil des musées de France pour les collections muséales. J'y suis tout à fait favorable.
La CSNC ne répondait pas à votre préoccupation qu'un travail scientifique de spécialistes accompagne l'examen des demandes de restitution. D'autres pays, qui ont un droit patrimonial complètement différent du nôtre, ont pu envisager la mise en place d'une commission sur le sujet. Ce n'est pas le choix du Gouvernement, qui privilégie l'étude au cas par cas et le passage par le débat parlementaire. Nous estimons que seul le dialogue politique direct du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, éclairé par une analyse scientifique, historique, diplomatique, peut permettre de déterminer si la restitution doit ou non avoir lieu. C'est la voie que nous privilégions avec ce projet de loi.
Chaque demande de restitution est un cas particulier. Chaque objet a une histoire particulière, qu'il convient d'étudier pour donner une réponse adéquate. Il va de soi que les demandes de restitution sont étudiées avec beaucoup d'attention au plan scientifique. Nous associons les établissements muséaux concernés, leurs équipes de conservateurs et de chercheurs. En l'espèce, les responsables scientifiques des collections du musée du Quai Branly-Jacques Chirac et du musée de l'Armée ont été consultés.
La création d'une commission impliquerait que celle-ci se prononce sur la base de critères. Nous considérons que l'édiction de critères constituerait un carcan et qu'elle serait illusoire au regard de la diversité d'histoires et de cas. Les raisons qui peuvent amener à restituer une oeuvre sont d'ordre historique ou éthique. Elles découlent de l'histoire de chaque cas. Elles ne peuvent faire l'objet d'un texte général, et une commission ne saurait être compétente pour statuer sur tous les cas.
Le rapport Sarr-Savoy a suscité la polémique. Nous l'avons intégré à la réflexion que nous avons menée, au même titre que d'autres éléments de réflexion, portés notamment par les professionnels du patrimoine et des musées et par des échanges avec nos partenaires africains. Toutefois, ce rapport a eu le mérite de permettre que l'opinion publique prenne conscience du sujet. Il était sans doute nécessaire, mais je répète que, s'il a contribué à notre orientation, il ne pouvait constituer l'alpha et l'oméga de notre réflexion.
Vous m'avez interrogée sur les moyens que le ministère de la culture met en oeuvre pour la recherche de provenance dans les musées. Nous avons renforcé notre action pour fédérer les scientifiques autour des indispensables recherches de provenance des collections. Il convient de contextualiser les oeuvres exposées, de porter leur histoire à la connaissance du public. Cette mobilisation prend la forme de différentes actions. Ainsi, des journées d'étude sont organisées sur les collections extra-occidentales, à destination des professionnels des musées de France, pour partager les bonnes pratiques et les connaissances et définir des projets communs. A aussi été lancé, à la fin du mois de septembre dernier, un séminaire de recherche intitulé « Parcours d'objets », organisé par la direction générale des patrimoines et l'Institut national d'histoire de l'art pour étudier de manière approfondie le cas d'objets de tous les continents issus de collections françaises et européennes.
Enfin, je veux préciser que les deux établissements concernés par le projet de loi ont également renforcé leurs équipes pour assurer cette recherche sur l'histoire des collections. Au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, des bourses de recherche dédiées ont été créées et un poste de recherche de provenance vient d'être pourvu, sur l'initiative du président du musée, Emmanuel Kasarhérou. De même, au musée de l'Armée, la recherche de provenance fait l'objet d'une attention particulière et de moyens renforcés. Ainsi, deux des établissements les plus concernés par le sujet montrent l'exemple, en renforçant leur action et en proposant leur accompagnement, aux côtés de mon ministère, aux musées français qui en ont besoin. Nous avons là deux centres de ressources et deux pôles d'animation qui ont vocation à diffuser leurs connaissances sur l'ensemble des établissements français qui détiennent des collections extra-européennes.
D'après les recherches scientifiques, le sabre restitué au Sénégal n'a jamais appartenu à El Hadj Omar Tall. Dès lors, quelle est la portée du symbole ? Alors que le projet de loi est sans doute fondateur d'autres textes à venir, n'y a-t-il pas un vrai problème à restituer un objet qui ne correspond pas tout à fait à l'authenticité de la démarche ?
Par ailleurs, le texte prévoit la restitution du sabre au Sénégal dans un délai d'un an après son entrée en vigueur. Or le sabre a déjà été remis à ce pays par l'ancien Premier ministre Édouard Philippe, en novembre 2019. Il est exposé au musée des civilisations noires de Dakar dans le cadre d'une convention de dépôt. Dans ce contexte, quel est le sens de cette disposition du projet de loi ?
Le ministère de la culture et le musée de l'Armée n'ont jamais caché que l'histoire du sabre n'était pas absolument certaine et qu'elle était enveloppée de mystère. Cela montre le soin qu'il faut donner à la recherche de la provenance, mais aussi la difficulté que posent parfois les traditions orales, qu'il n'est pas toujours aisé de conserver, et l'absence de sources.
Quoi qu'il en soit, ce sabre a été donné au musée de l'Armée par Louis Archinard, militaire qui a participé à des campagnes en Afrique occidentale à la fin du XIXe siècle. Il vient incontestablement de la famille de El Hadj Omar Tall - un certain nombre d'éléments l'attestent -, probablement de son fils, fondateur de l'Empire toucouleur, dont la mémoire est très vive au Sénégal. La restitution officielle de cet objet au Sénégal est un geste symbolique fort que fait la France pour qu'il puisse continuer à être présenté au public à Dakar.
Le délai d'un an a été retenu par parallélisme des formes par rapport au Bénin. Ce délai maximal, inspiré par un souci de cohérence, s'appliquera non à la restitution physique du sabre, mais au transfert de sa propriété, qui suit la remise physique de plusieurs années. L'effet sera donc immédiat. S'agissant des 26 oeuvres du Trésor de Béhanzin, ce délai va permettre au Bénin de préparer leur accueil dans un espace temporaire, en attendant l'achèvement de la construction du futur musée d'Abomey.
Lors de la discussion du projet de loi relatif aux musées de France, en 2001, Philippe Richert avait considéré que, s'agissant des collections publiques, la loi devait « s'en tenir aux règles de droit commun de la domanialité publique », qui « permet de conserver une certaine souplesse en ménageant la possibilité de déclassements » et que « la gestion d'une collection ne peut se réduire à une stricte mission de conservation et pour certains types de collections doit être un exercice dynamique ». De fait, si la distinction entre la res privata et la res publica date de l'Empire romain, la Révolution française a donné à la nation la possibilité de constituer un patrimoine national et à la représentation nationale le pouvoir de sortir des pièces des collections. Il est important de comprendre que permettre la constitution de collections, c'est aussi permettre d'en sortir des pièces.
Le droit permet de protéger les collections contre le fait du prince, c'est-à-dire la tentation que pourrait avoir l'exécutif de choisir des pièces dans les collections publiques pour servir une politique diplomatique, tout en faisant des conservateurs du patrimoine de simples gardiens des collections. Les collections sont nationales et, en dernier ressort, la représentation nationale doit pouvoir décider que, pour des raisons politiques d'importance, des pièces puissent en sortir.
Je vous le dis sans ambages : autant l'argumentaire développé par l'ambassade du Bénin m'a convaincu, autant j'ai des doutes sur la restitution du sabre, modèle 1820 de l'officier d'infanterie français, dont le musée de l'Armée détient sans doute une centaine d'exemplaires. Par ailleurs, la France aurait pu tout aussi bien envisager de le remettre au Mali de manière parfaitement légitime, puisque l'Empire toucouleur qu'El Hadj Omar Tall a constitué était étendu sur l'actuel Mali bien plus que sur le Sénégal. Enfin, d'après ce que j'ai compris de nos interlocuteurs à l'ambassade du Sénégal, ce qui est célébré aujourd'hui en la personne d'Omar Tall, c'est aussi le dignitaire religieux qui a introduit au Sénégal une forme de soufisme sunnite très intéressant, que je trouve très mal représenté par le symbole d'un sabre d'infanterie. En réalité, j'ai le sentiment que le Sénégal n'a pas été extraordinairement associé dans le choix de cet objet, qui figure aujourd'hui dans la loi par le résultat d'un circuit de décision que nous n'avons pas réussi à comprendre exactement, ce qui est un souci majeur.
Je comprends la nature des restitutions qui sont liées à des spoliations. Malheureusement, les spoliations continuent... À cet égard, le marché de l'art parisien, qui a permis la revente d'un certain nombre de pièces provenant des pillages réalisés par Daech en Syrie, n'est pas exemplaire. Ce qui a été pillé ailleurs ne doit pas arriver aussi facilement sur le marché de l'art parisien. Si la France doit s'engager aujourd'hui, c'est en ce sens.
Hélas, les pillages du patrimoine africain continuent, notamment lors des travaux d'aménagement. Les entreprises françaises qui interviennent en Afrique devraient s'engager à réaliser de l'archéologie préventive avant de réaliser de tels travaux. Elles apporteraient ainsi la preuve que la France est aussi en capacité de défendre le patrimoine africain sur place, en Afrique.
Un certain nombre d'inquiétudes s'expriment et une certaine confusion se fait jour.
Comment être sûr, madame la ministre, que l'exception ne va pas devenir la règle ? Vous avez déclaré que chaque demande était particulière. Nous le comprenons tout à fait, mais comment envisager l'avenir ? Quels seront les critères ? Le critère de l'appropriation violente, qui figure dans le rapport controversé qui a été évoqué, va-t-il être retenu ?
Quelle différence faire entre les prises de guerre napoléoniennes et les restitutions d'objets d'appropriation récente ? Ce sont des questions que se pose le grand public.
L'usage de lois spécifiques, l'approche au cas par cas limitent à l'extrême les possibilités de restitution. Une question d'efficacité va finir par se poser, puisque bien d'autres pays que le Bénin ou le Sénégal vont frapper à notre porte pour demander la restitution d'un certain nombre de biens considérés comme mal acquis. Pourrait-on sortir de ces démarches législatives d'exception et instaurer un mécanisme global ou plus efficace permettant de concilier le principe d'inaliénabilité avec les revendications légitimes des pays africains, qui vont se multiplier ?
Ce projet de loi fait suite à un engagement du Président de la République que nous ne remettons en cause en aucun cas. Cela dit, nous souhaiterions attirer votre attention sur la future conservation de ces biens culturels.
Quelles dispositions seront prises pour assurer la bonne et digne conservation de ces oeuvres, afin qu'elles continuent d'être source d'inspiration et qu'elles s'inscrivent dans une démarche visant à favoriser l'accès au patrimoine historique et culturel de la jeunesse africaine ?
Les collections publiques possèdent un caractère inaliénable. D'une certaine manière, la promesse présidentielle et ce projet de loi l'altèrent. Ne risquons-nous pas d'ouvrir une boîte de Pandore qui remettrait en cause l'acquisition d'une grande partie des oeuvres des collections nationales et, par extension, la légitimité des collections nationales dans le monde ?
L'art est un témoin de l'histoire, qui est parfois douloureuse. Nous devons trouver un juste équilibre entre restitutions légitimes et conservation de nos biens culturels, lesquels ne profitent pas qu'aux seuls Français. En 2013, 69 % des visiteurs du musée du Louvre étaient étrangers. Nos musées sont aussi une vitrine pour l'art africain, grâce à des politiques culturelles ambitieuses et d'excellentes conditions de conservation des oeuvres.
Nous reconnaissons, bien sûr, la légitimité des demandes de la République du Bénin et de la République du Sénégal. Nous souhaitons que ces restitutions se fassent dans les meilleures conditions possibles, dans l'intérêt de la conservation des oeuvres, sans précipitation.
Notre groupe soutiendra le projet de loi.
La France n'est pas un cas isolé parmi les anciennes puissances coloniales. Quels contacts avez-vous avec vos homologues européens sur ces questions de restitution ? Quels ont été les résultats des deux réunions qui se sont déjà tenues à Paris et à Londres ?
Vos questions sont très cohérentes et elles démontrent que le sujet est plus complexe qu'il n'y parait - dès lors qu'on ne s'en tient pas à la seule déclaration de l'inaliénabilité des collections publiques.
Monsieur Ouzoulias, le débat sur la restitution du sabre d'El Hadj Oumar Tall n'est pas rendu plus clair par les questions liées au fait que ce sabre ait appartenu à un chef religieux relevant du soufisme sunnite - car le religieux et le politique étaient alors tellement intriqués, en Afrique aussi bien qu'en Europe, voyez l'Ancien Régime, qu'on ne peut guère en inférer quelque chose de précis en l'occurrence. Vous soulignez que des spoliations continuent et vous avez raison, mais ce sont des vols, qui doivent être traduits par voie pénale : des moyens existent, par exemple contre les marchands d'art qui introduiraient sur le marché des oeuvres issues de pillages par Daesh.
Pour la restitution, il faut procéder par dérogation - et c'est la procédure législative qui garantit contre la jurisprudence. Si demain des critères étaient établis, par telle ou telle commission d'experts, vous seriez dessaisis de votre pouvoir de législateur et de contrôle. En réalité, la restitution doit faire l'objet d'une demande initiale, il ne s'agit pas, pour nous, de restituer l'ensemble des oeuvres venues de pays étrangers, le débat d'une restitution générale est derrière nous.
La France a réceptionné des demandes précises, dont je vous présente sommairement la liste. Il y a la demande du Bénin et du Sénégal, dont nous parlons aujourd'hui ; la Côte d'Ivoire, le 10 septembre 2019, a demandé la restitution du tambour parleur du peuple « Atchan », conservé au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac ; le 20 février 2019, l'Éthiopie a demandé la restitution de 3081 biens culturels conservés dans les collections du même musée ; le 17 mai 2019, le Tchad a demandé la restitution de l'ensemble des pièces tchadiennes présentes sur notre territoire, soit environ 10 000 objets ; le 29 janvier 2020, le Mali a demandé la restitution de seize biens culturels ; le 20 février 2020, le président malgache a demandé au président de la République, pour le soixantième anniversaire de l'indépendance, prévu le 26 juin 2020, la restitution du dais de la couronne de la dernière reine malgache, conservé au musée de l'Armée ainsi que l'intégralité des biens culturels malagasy présents sur le territoire français.
Cette liste montre que des demandes sont recevables, identifiées, mais que d'autres sont plus compliquées, par exemple la restitution de dix mille objets culturels. Nous avons choisi la procédure d'un examen au cas par cas, c'est le cas pour les vingt-sept objets visés par ce projet de loi. Cet examen consiste en une recherche approfondie sur l'histoire des objets et la procédure requiert un dialogue bilatéral, une coopération entre les deux États. Avec le Bénin et le Sénégal, la coopération culturelle fait l'objet d'un cadre bien défini et de conventions ; un programme de travail commun a été établi avec le Bénin pour la coopération muséale, avec un accompagnement par l'Agence française de développement (AFD) pour la construction du Musée de l'épopée des amazones et des rois du Dahomey. Avec le Sénégal, une déclaration commune du 17 novembre 2019 entend renforcer le partenariat culturel entre les deux pays, impliquant des établissements muséaux au Sénégal et en France.
La restitution ne consiste donc pas à rendre des oeuvres en masse et à s'en désintéresser, elle prend place dans une coopération bilatérale plus large, qui comprend tout un ensemble de mesures dont le projet de loi qui vous est soumis constitue un volet essentiel.
Avec ce projet de loi, nous préservons évidemment la vitrine française, notre capacité de montrer des objets au public ; nos musées disposent d'objets très nombreux, ils en ont bien plus en réserve qu'ils n'en montrent et ils ne seront pas dépossédés par les restitutions. Nous voulons aussi éviter d'instituer des mécanismes qui menaceraient le principe d'inaliénabilité du patrimoine public. Nous voulons également, c'est très important, nous garder de toute arrogance par rapport aux pays demandeurs, nous recherchons un partenariat équilibré et égalitaire, nous n'avons pas à considérer que telle restitution serait illégitime parce que le pays demandeur n'aurait pas notre compétence muséale - attention à tout néocolonialisme, qui serait profondément condamnable.
Je me réjouis, madame la ministre, que le rapport Sarr-Savoy ne soit pas l'alpha et l'oméga de votre réflexion. La liste des demandes de restitution me fait m'interroger sur le nombre de lois que nous aurons à prendre. C'est cette interrogation qui nous avait conduits, avec Philippe Richert, à demander une loi claire sur les restes humains patrimonialisés, précisément pour éviter des lois de circonstance. La Commission nationale scientifique des collections, voulue par le Parlement dès 2002, était loin d'être inutile, elle était la structure idoine pour documenter la procédure de déclassement de pièces appartenant à des collections publiques - mais elle s'est autocensurée, refusant toute prospective, je regrette que les conservateurs se soient ainsi mis la tête dans le sable, alors qu'ils auraient pu éclairer le Gouvernement et le Parlement. Je déplore que cette commission n'ait pas été prise au sérieux, sa composition pléthorique l'a empêchée de fonctionner, d'autant qu'on ne l'a pas dotée suffisamment de crédits, nous nous sommes privés d'un regard dynamique sur nos collections - et nous avons perdu dix ans.
J'ai omis de répondre à M. Levi sur la coopération européenne. Mon déplacement à Berlin a été l'occasion de constater que des coopérations intenses existent entre les professionnels, des rencontres ont lieu régulièrement entre des musées européens conservant des collections issues de contextes coloniaux, un forum « Patrimoines africains : réussir ensemble notre nouvelle coopération culturelle » s'est tenu à Paris le 4 juillet 2019, organisé par le ministère de la culture et celui des affaires étrangères. Cependant, la coopération a ses limites, car chacun des pays européens n'a pas la même histoire - la colonisation allemande, par exemple, n'a pas donné lieu à l'usage de l'allemand comme il en a été avec le français dans les colonies françaises -, le droit patrimonial n'est pas partout le même et nous butons vite sur des caractéristiques nationales.
Je vous accorde volontiers, Madame Morin-Desailly, que nous avons du travail à faire. Mais réfléchir ensemble sur la façon dont ces oeuvres sont arrivées dans nos musées, alors que l'opinion publique est secouée par ces histoires occultés ou niées, faire une démarche non pas de repentance mais de réappropriation d'une histoire qui doit être commune : nous ne perdons pas notre temps en creusant ensemble ces histoires pour qu'elles deviennent un patrimoine commun.
Ce texte, qui fait suite au discours que le président de la République a prononcé à Ouagadougou, donne une nouvelle impulsion aux relations culturelles entre la France et l'Afrique. Quel rôle ces restitutions peuvent-elles jouer auprès des jeunes africains, quelle vous paraît être leur portée symbolique auprès des jeunes générations dans leur relation avec la France ?
La recherche sur la provenance des oeuvres d'art me semble une question éthique, ce n'est pas la même chose si une oeuvre a été volée, pillée, ou bien si elle a été achetée ou offerte. Je comprends la logique de la loi dérogatoire, mais peut-on envisager une loi-cadre qui ouvrirait la restitution des oeuvres mal acquises ? Peut-on voir des liens avec les biens spoliés aux Juifs pendant la deuxième guerre mondiale ?
Je salue le vote à l'unanimité de ce texte à l'Assemblée nationale, cela démontre l'importance des enjeux mémoriels, nous pouvons en espérer l'amorce d'un nouveau partenariat avec les pays africains. Cependant, après le rapport Sarr-Savoy, peu de pays ont demandé la restitution de biens culturels, et l'argument a été avancé d'un manque de structures muséales adaptées pour accueillir ces biens culturels. Le Bénin, par exemple, a repoussé toute restitution à l'automne 2021, le temps d'aménager un musée. Cela démontre l'importance de renforcer la coopération : comment la France peut-elle aider à la construction de l'écosystème nécessaire à une circulation des oeuvres ?
Parmi les questions que je voulais vous poser et que la mauvaise connexion ne m'a pas permis de vous poser : où en est le projet d'un nouveau musée d'Abomey, au Bénin ?
Le discours du président de la République à Ouagadougou était volontariste, nous procédons avec ce projet de loi à deux restitutions : d'autres restitutions interviendront-elles d'ici à 2022 ? Comment s'articule le volontarisme et les demandes croissantes de restitutions ?
Une loi-cadre est-elle souhaitable pour distinguer les oeuvres selon les modalités dans lesquelles elles sont entrées dans notre patrimoine ? Je crois que le contexte de la colonisation rend contestables les notions d'achat ou de cadeaux, ce qui rendrait fragile une construction juridique dans ce sens.
Je crois aussi qu'il ne faut pas mélanger ces dossiers avec la restitution des biens juifs spoliés, pour lesquels une procédure judiciaire est applicable, qui n'a rien à voir avec la procédure interétatique dont nous parlons aujourd'hui. Je souhaite d'ailleurs que les musées qui détiennent des biens spoliés soient plus dynamiques pour la restitution. Il y a des cas où le sentiment d'appropriation est si fort que les procédures sont bien trop lentes.
Où en est le nouveau musée d'Abomey ? Le chantier n'a tout simplement pas commencé, tout est à faire, dans des conditions climatiques difficiles ; nous sommes aux côtés des autorités béninoises, nous participons au travers de l'AFD à hauteur de 12 millions d'euros, le chantier pourrait prendre au moins trois ou quatre années.
D'autres restitutions sont-elles prévues d'ici 2022 ? Je ne vois aucun dossier suffisamment avancé - peut-être le dais de la couronne de la dernière reine de Madagascar, que je vous ai cité... Le sujet est complexe, toute restitution demande une étroite coopération interétatique, une étude approfondie sur l'origine des oeuvres, tout cela prend du temps.
Parmi les oeuvres demandées à la restitution, combien sont exposées dans nos musées, et quelle est la proportion de celles qui sont dans les réserves ?
Je n'ai pas ces chiffres avec moi : je vous les communiquerai par écrit.
Madame la ministre, nous vous remercions chaleureusement.
La réunion est close à 18 h 30.