Intervention de Claude Malhuret

Réunion du 19 octobre 2020 à 17h00
Prééminence des lois de la république — Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce qui est en question ce soir, c’est l’unité de la République. C’est elle qui a été piétinée vendredi à Conflans, comme elle l’a été à Charlie Hebdo et au Bataclan en 2015, comme elle l’est chaque jour par ceux qui obligent Sonia Mabrouk, Mila, Zineb El Rhazoui, Salman Rushdie et tant d’autres à vivre sous protection policière. Comme elle est piétinée par ceux qui empêchent au quotidien des milliers de filles et de femmes musulmanes de se vêtir comme elles veulent, d’étudier à l’école publique et parfois tout simplement de sortir de chez elles.

Cet assaut, l’islamisme le mène dans le monde entier, contre les musulmans qui n’appliquent pas la charia, contre les chrétiens, les juifs, les athées. Mais en Europe, c’est la France qui est la première visée en raison, notamment, d’un des piliers de notre République que les fondamentalistes haïssent : la laïcité.

Puisque l’islamisme nous déclare la guerre, il faut d’abord parler de nos succès.

Le califat d’où partaient chaque jour des terroristes à destination de l’Europe pour y commettre des attentats majeurs a disparu, grâce à une coalition où la France a joué un rôle essentiel. Grâce à cela, les attentats d’aujourd’hui, aussi horribles soient-ils, sont commis par des loups solitaires, demi- fous livrés à eux-mêmes, à l’arme blanche, et non au fusil d’assaut en bande organisée.

La France est aussi au Sahel, quasi seule hélas, pour empêcher les djihadistes d’établir de nouvelles bases arrière pour d’autres attentats de masse. Mais, paradoxalement, cette bataille contre l’islamisme, c’est chez nous que nous risquons de la perdre. Les derniers chiffres font froid dans le dos : 74 % des musulmans de moins de 25 ans pensent que leurs convictions religieuses passent avant les lois de la République, contre 25 % des plus de 35 ans.

Ce constat effarant n’est pas le résultat de la seule propagande salafiste, il est aussi le résultat de nos propres lâchetés, qui ne datent pas d’aujourd’hui.

Le rapport Obin de 2004, soigneusement mis sous le tapis, les accommodements de tant de chefs de service avec les atteintes à la laïcité afin d’éviter les ennuis, notre incapacité à maîtriser les flux migratoires et les filières mafieuses de détournement des procédures d’asile, l’impossibilité de mettre en œuvre les mesures d’expulsion pour 85 % des personnes concernées, les 4 000 étrangers inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) encore présents sur le territoire, et les ratés de la chaîne « police-justice », dont le maillon judiciaire est aujourd’hui le plus faible, miné par le manque de moyens et par l’ultragauche judiciaire en déni de réalité.

Il ne manquait plus que l’idée, abandonnée in extremis, de faire s’agenouiller des policiers place Beauvau pour se prosterner devant les indigénistes et les décoloniaux…

Ces lâchetés, il est d’autant plus difficile de s’y opposer qu’elles sont puissamment aidées par le chœur des pleureuses du camp du bien, des victimocrates et des indignés professionnels, prêts à bondir sur toute mesure de fermeté en criant à la discrimination et à la stigmatisation.

Il est difficile aussi de s’opposer à ce qui est en train de devenir le cancer de nos sociétés démocratiques. Ce n’est plus seulement dans les mosquées salafistes ou dans les prisons que se recrutent les djihadistes, c’est sur le web, devenu l’écosystème des fake news, du complotisme, de la haine et, désormais, des influenceurs islamistes.

L’assassinat de Samuel Paty a été préparé, et peut-être programmé, par une salve d’appels aux meurtres sur les pages salafistes. La mise au pas des réseaux « antisociaux » est une urgence, et il ne faut pas compter sur les milliardaires opérateurs de ces plateformes pour le faire spontanément, eux qui voudraient nous faire croire, parce que ça fait plus de clics, donc plus de fric, que les délits que sont les appels à la haine, à la colère, au meurtre et à tout ce qui peut gangrener nos sociétés démocratiques, font partie de la liberté d’expression.

Il fut un temps où la France se posait moins de questions. Elle accompagnait, elle accueillait des vagues de migrants et elle les assimilait. C’était le mot que l’on employait à l’époque et il ne choquait personne, ni les Français ni les immigrés. Notre pays était alors sûr de son modèle républicain, de sa conception de la laïcité, de sa façon de vivre ensemble et de sa place dans le monde.

Le plus grand défi aujourd’hui n’est-il pas de réussir l’intégration dans un pays qui voit ses valeurs s’estomper, comme s’efface peu à peu « à la limite de la mer un visage de sable » ?

Le plus grand défi n’est-il pas de convaincre que ces valeurs sont non pas seulement celles du passé, mais aussi celles de l’avenir ? C’est ce à quoi nous appellent les auteurs de cette proposition de loi.

Bien sûr, cet exercice a ses limites parce que cette proposition de loi, si elle est adoptée un jour, le sera au terme forcément lointain d’une révision constitutionnelle, alors que depuis vendredi les Français attendent des actes plus que des lois. Mais le but de ses auteurs n’est sans doute pas seulement là. Il est de nous proposer un sursaut, de réveiller face au danger un pays qui s’assoupit, dans ce domaine comme dans d’autres.

Il est de rappeler, comme le faisait Samuel Paty à ses élèves, avec beaucoup de courage et de lucidité, que si nous devions abandonner les valeurs qui ont fondé notre République, la France ne mériterait plus de s’appeler la France.

C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi.

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