Intervention de Jacqueline Eustache-Brinio

Réunion du 19 octobre 2020 à 17h00
Prééminence des lois de la république — Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Photo de Jacqueline Eustache-BrinioJacqueline Eustache-Brinio :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une République laïque, la loi passe devant la foi. Cette phrase prend tout son sens après la terreur et l’horreur que nous avons vécues à Éragny, dans le Val-d’Oise, vendredi dernier. Vous me permettrez d’avoir une pensée pour Samuel Paty, sa famille, ses collègues, ses élèves, le maire de cette ville, Thibault Humbert, et ses habitants qui ont vécu ce qu’aucun d’entre nous n’aurait pu imaginer.

Depuis l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, tous les citoyens français sont également placés sous l’égide de la loi, seule norme dont ils puissent se prévaloir dans leurs rapports avec l’État. En 1905, en proclamant la République française laïque, le Parlement a affirmé le principe central de notre système républicain selon lequel l’État n’est pas fondé à intervenir dans le domaine de la foi, mais doit se borner à garantir les droits et libertés de chacun, quelles que soient nos croyances.

Cette révolution fut douloureuse à admettre pour l’Église catholique, dont l’implication dans l’exercice du pouvoir politique en France remontait à la nuit des temps. Mais la loi ne lui a pas laissé le choix : l’Église s’est donc soumise à l’autorité de la République. Le rêve de Victor Hugo – l’État chez lui et l’Église chez elle – devenait une réalité.

Depuis quelques années, la République doit faire face à la menace inédite du séparatisme islamiste, qui remet en cause un à un ses principes fondateurs et tend à éloigner certains de nos concitoyens de nos valeurs communes. En voulant fragmenter notre unité, l’islam politique constitue un danger pour l’égalité de tous les Français – hommes, femmes, croyants et non-croyants – et utilise toutes les forces et faiblesses de la philosophie des droits de l’homme.

L’émergence sur notre sol de cet islam radical déstabilise les pouvoirs publics et a trop souvent conduit à de nombreux renoncements. Qu’il s’agisse du fonctionnement des services publics, des hôpitaux, des établissements scolaires, des clubs sportifs et des entreprises, des revendications politico-religieuses tendent inéluctablement à remettre en cause les valeurs de notre République et le principe de laïcité.

En parallèle, des militants de cet islam radical investissent la vie politique locale et nationale, le plus souvent pour un projet qui n’est pas commun, s’adressant à tous leurs concitoyens, mais qui vise uniquement les membres de leur communauté religieuse.

Je tiens donc à saluer très chaleureusement la courageuse initiative prise par Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille qui ont soumis à notre assemblée cette proposition de loi constitutionnelle. Oui, il est de notre responsabilité de garantir la prééminence des lois de la République sans laquelle les Français ne pourraient pas vivre ensemble. Toute faiblesse dans l’accomplissement de notre devoir serait historiquement coupable. Il est donc grand temps d’inscrire sans ambiguïté dans la Constitution du 4 octobre 1958 le principe selon lequel nul groupe, nul individu, ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune.

En affirmant et en réaffirmant le principe de laïcité qui nous guide chaque jour, ce texte imprime une volonté politique que beaucoup de nos concitoyens attendent. La laïcité protège, elle ne s’adjective pas ; elle a donné beaucoup d’espoirs à de nombreux citoyens d’origine étrangère qui sont venus vivre en France pour la laïcité, pour la liberté de conscience, pour la liberté d’expression qui les faisaient rêver.

Ce texte permet de lutter contre la remise en cause permanente du droit au blasphème dont l’affaire de la jeune Mila est l’illustration la plus dramatique. Comme le dit souvent la courageuse républicaine Zineb El Rhazoui, la laïcité est la bête noire des salafistes et des Frères musulmans. Quand Zineb El Rhazoui s’exprime haut et fort, chacun d’entre nous sait combien elle est menacée et combien elle doit être protégée.

Il est grand temps également de réarmer la République contre la remise en cause de la liberté d’expression et de sanctuariser l’espace le plus formateur de l’émancipation qu’est l’école. Car, en effet, dans cette école de la République, nul n’est fondé à se revendiquer de ses croyances pour s’émanciper de l’enseignement de la laïcité et de l’exercice de la liberté de conscience.

En votant cette proposition de loi, nous lutterons contre tous ceux qui tentent d’imposer une tutelle religieuse à la liberté de conscience, pour laquelle des générations d’immigrés ont choisi de devenir Français. Nous permettrons la dissolution de formations politiques remettant en cause le principe de séparation de l’Église et de l’État. Nous mettrons un terme au financement public des partis communautaristes et de leurs candidats. Nous donnerons, entre autres, aux pouvoirs publics et aux chefs d’entreprise, confrontés à une situation de revendication religieuse, une base solide et indiscutable pour faire appliquer la loi de la même façon pour tous et partout.

Ainsi, aucun citoyen ne pourra, au motif que sa foi l’y oblige, se soustraire à la règle commune ou déroger à tout règlement. La République française ne saurait se résumer à la transmission non héréditaire du pouvoir politique. Elle est, en effet, ce grand acte de confiance dont parlait Jaurès, l’instrument de l’émancipation individuelle et collective de millions d’hommes et de femmes par lequel la communauté nationale concilie elle-même la liberté et la loi.

Cet héritage que nous avons reçu en partage, il nous appartient de le transmettre à nos enfants. Nous devons donc enfin cesser de reculer sur les valeurs qui ont forgé la nation française : la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité des droits de tous les citoyens et le primat de la raison universelle sur toutes les théologies. Oui, résolument, adopter cette proposition de loi, c’est protéger la République. Les générations futures nous jugeront, les Français nous regardent, sachons, mes chers collègues, nous montrer dignes du mandat qu’ils nous ont confié.

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