Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la décentralisation, les libertés locales seraient-elles une utopie dans notre pays aux gènes centralisateurs ?
La peur de rompre avec la République une et indivisible est manifeste et, en la matière, nous avons accompli une longue marche à deux temps.
Le premier a été un temps en avant, avec un pas audacieux. Il a été engagé il y a quarante ans, avec les premières lois de décentralisation, suivies par la révision de 2003 et la proclamation solennelle, dans la Constitution, de l’organisation décentralisée de la République.
Le second a été un temps en arrière, avec la reprise en main des collectivités par l’accumulation des normes et la mise sous dépendance des finances locales.
Pourtant, loin de détruire l’unité de la République, la décentralisation sert l’efficacité de l’action publique. Nous le voyons positivement, avec les dispositions spécifiques aux territoires d’outre-mer et, plus récemment, avec la création de la collectivité européenne d’Alsace, ou encore, dans ma chère Bretagne, avec la territorialisation du dispositif d’investissement locatif pour le logement.
Niez le réel, et il vous revient au visage comme un boomerang !
La crise sociale des « gilets jaunes » a révélé un besoin criant de proximité et de confiance.
La crise sanitaire a prouvé et prouve encore le sens des responsabilités, la réactivité et l’agilité des collectivités locales. Elle a également montré l’impuissance d’une gestion de crise centralisée, avec un État ankylosé par de trop grandes rigidités.
Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne cesse d’affirmer que l’action publique ne peut trouver son efficacité qu’en inversant notre logiciel : il faut construire à partir du principe de subsidiarité, décider de faire au niveau pertinent.
C’est dans cet esprit que le président du Sénat a constitué, au premier semestre, un groupe de travail réunissant tous les groupes politiques.
Je salue le travail accompli par les deux corapporteurs, M. Philippe Bas, alors président de la commission des lois, et M. Jean-Marie Bockel, alors président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Ce groupe de travail a formulé cinquante propositions ; en ont découlé trois propositions de loi visant à donner un nouvel élan aux libertés locales et à consacrer la pleine reconnaissance des responsabilités locales.
Nous examinons aujourd’hui les volets constitutionnel et organique de ces textes, qui visent à permettre un rééquilibrage des pouvoirs entre l’État et les collectivités locales sans toutefois provoquer un nouveau « big-bang territorial ». Il s’agit de permettre et non plus de contraindre.
Avant de céder la parole à Mathieu Darnaud, je tiens à exposer quelques-uns des objectifs retenus.
Le premier objectif est de consacrer dans la Constitution la représentativité équitable des territoires. Il se traduit par deux apports : inscrire le terme « territoire » dans la Constitution et redéfinir la représentation proportionnelle pour les collectivités locales, avec un écart maximal de 30 %, et de 50 % dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Cette disposition permettra une conciliation plus équilibrée entre l’égalité devant le suffrage et la prise en compte des territoires.
Le deuxième objectif est d’adapter les compétences des collectivités à leurs réalités locales en renforçant le pouvoir réglementaire local et en inscrivant dans la Constitution le droit à la différenciation. Ainsi, nous ouvrons la possibilité de pérenniser les expérimentations locales sur une partie seulement du territoire et la possibilité, pour le législateur, d’attribuer des compétences distinctes à des collectivités territoriales de même catégorie.
Quant à la proposition de loi organique, elle vise, par son article 1er, à renforcer les études d’impact – je sais que certains de nos collègues sont très sensibles à cet enjeu – afin que le législateur puisse légiférer plus sûrement et en parfaite connaissance de cause.
Enfin, ces propositions de loi visent à sécuriser les compensations financières des transferts de compétences de l’État aux collectivités, selon le principe « qui décide paie ». Nous pensons tous, et ce n’est qu’un exemple, aux difficultés engendrées, pour les départements, par le revenu de solidarité active (RSA).
L’article 5 de la proposition de loi constitutionnelle précise que la création, l’extension ou la modification de compétences sur l’initiative de l’État s’accompagnera des ressources équivalentes et que la compensation financière fera l’objet d’un réexamen régulier.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’avez compris : avec ces deux propositions de loi, le Sénat affirme sa conception de l’action publique. Elle se fonde sur le principe de subsidiarité et, parallèlement, elle exige de la part de l’État l’affirmation d’un champ d’action recentré sur les compétences régaliennes.
Toute crise offre des occasions à saisir. Tirons ensemble les leçons de la mobilisation des collectivités territoriales, fortes et responsables. N’ayons pas peur. Osons emprunter le chemin de la confiance et des libertés locales : c’est celui de la réussite, pour sortir notre pays de ses lourdes difficultés !