Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, oui, il faut faire « confiance aux territoires ». Oui, il faut « une nouvelle génération de la décentralisation ». Cette ambition, réaffirmée par le président Gérard Larcher, nous la partageons, ainsi qu’en a témoigné notre proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation adoptée par le Sénat au mois de juin.
Il semble que le Premier ministre la partage également, au moins dans les discours.
Faisant preuve d’un jacobinisme absolu au service d’un libéralisme assumé, l’exécutif, à chaque crise, tend à se rendre progressivement compte du rôle des collectivités locales et de l’impasse de la verticalité : crise des « gilets jaunes », crise sanitaire et, désormais, menace terroriste.
Pointant hier cette double crise, le Premier ministre en appelait à « travailler de concert » pour combattre le terrorisme et engager une relance « ancrée dans les territoires ».
Alors, quelle décentralisation souhaitons-nous pour que la République tienne toutes ses promesses et ne perde aucun territoire ? Quelle décentralisation souhaitons-nous pour remettre le service public au cœur de nos politiques publiques locales et redonner confiance aux citoyens ? Quelle décentralisation souhaitons-nous pour une « République jusqu’au bout » ? C’est une des questions que pose une actualité sidérante à maints égards.
Si nous partageons une culture commune des territoires, nous avons cependant une différence d’appréciation globale : le texte fait le « pari de la liberté ». Nous ne nous opposons pas à ce principe : la loi de 1982, défendue par Gaston Defferre, était intitulée « droits et libertés ». En revanche, seul, le paradigme de la liberté ne nous semble pas suffire à appréhender la décentralisation. En d’autres termes, le territoire ne peut être le lieu de la guerre de tous contre tous. Notre groupe est plus attaché aux principes d’égalité – qui ne signifie pas uniformité – et de fraternité entre les territoires qui nous a sans doute collectivement fait défaut. C’est, en tout état de cause, la condition du juste équilibre de l’aménagement du territoire.
S’agissant des deux textes que nous examinons aujourd’hui, nous nous rejoignons sur plusieurs points : la constitutionnalisation de la clause de compétence générale des communes par une reprise de la loi de 1884, l’assouplissement des modalités de l’expérimentation, la différenciation des compétences – sur ce point, la rédaction issue de la commission nous semble plus opportune et plus conforme à l’avis du Conseil d’État –, la différenciation normative – l’amendement d’Alain Rousset adopté à l’Assemblée et supprimé par le Sénat après d’âpres débats pendant l’examen de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), a manifestement fait son chemin –, l’autonomie financière, enfin, tant il convient de contrecarrer le processus de recentralisation financière à l’œuvre depuis 2017 via la suppression de la taxe d’habitation et, désormais, d’une partie des impôts de production.
En revanche, nous divergeons sur certains points, et nous considérons que le texte souffre encore de certaines incomplétudes, singulièrement parce qu’il touche à la Constitution, justifiant certains de nos amendements que je vais rapidement énumérer.
Nous entendons supprimer la constitutionnalisation du principe d’une représentation équitable des territoires à l’article 1er, car une modification de l’article 72 suffirait. Certes, la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la représentativité est trop limitative ; toutefois, l’inscription d’un « tunnel » de 50 % pour les EPCI nous semble excessive. Il n’est pas possible que l’avis d’un élu puisse avoir le poids de celui de trois autres ; cela reviendrait à déséquilibrer complètement le fonctionnement des conseils communautaires. Je rappelle, pour ceux qui l’ont oublié, qu’il s’agit d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel. Un écart maximal de représentation de 33 % nous semble suffisant, en cohérence avec nos positions précédentes.
Nous considérons également que la prise en compte de l’intérêt général est importante.
Nous proposons, pour le symbole, une loi de financement des collectivités territoriales, ainsi que le droit de vote des étrangers alors même que ceux-ci s’acquittent de la contribution publique.
Enfin, mes chers collègues, nous appelons de nos vœux l’intégration de nouveaux indicateurs dans les études d’impact, parce qu’il faut en finir avec le fétichisme du PIB.
L’ensemble de la discussion et le sort réservé à nos amendements détermineront notre vote final.