Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à excuser Catherine Procaccia, rapporteur de la commission des affaires sociales, qui se trouve temporairement éloignée de nos travaux.
La proposition de loi que nous examinons vise à lutter contre la déshérence des contrats d’épargne retraite supplémentaire.
Ces produits de capitalisation sont souscrits par des entreprises au profit de leurs salariés, ou volontairement par des individus, comme c’est souvent le cas pour les professions libérales. Ils sont destinés à compléter les pensions des régimes de retraite obligatoires à la cessation de l’activité professionnelle. Les prestations sont versées sous forme de rente viagère, même si une sortie en capital est possible dans certains cas. Le souscripteur peut liquider son contrat à l’âge où il le souhaite, et non pas nécessairement au moment de son départ à la retraite.
Le risque de déshérence des contrats de retraite supplémentaire est bien identifié, notamment par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui a consacré un rapport à ce sujet en 2018. Elle estime à 10, 6 milliards d’euros le total des encours des contrats non liquidés passé l’âge de 62 ans ; ce montant s’élève encore à 5, 4 milliards d’euros passé 65 ans, mais à seulement 1, 8 milliard d’euros passé 70 ans.
Ces montants confirment que ni l’âge légal de la retraite ni l’âge effectif de départ ne sont celui de la liquidation du contrat de retraite supplémentaire, qui demeure un choix du souscripteur.
Aussi les contrats non liquidés ne doivent-ils pas nécessairement être regardés comme en situation de déshérence. Celle-ci devient plus probable si aucune liquidation n’a été sollicitée à un âge avancé ; elle n’est cependant pas certaine.
Il n’est donc pas possible d’identifier réellement le nombre de contrats en déshérence ni les montants en jeu. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des solidarités et de la santé, la retraite supplémentaire représentait, en 2018, 4, 5 % des cotisations, tous régimes confondus, obligatoires ou non, pour 2, 4 % des prestations. Ce sont donc des produits encore marginaux dans la construction de la retraite.
Les contrats à adhésion obligatoire, c’est-à-dire ceux qui sont souscrits par les entreprises pour le compte de leurs salariés, sont identifiés comme davantage susceptibles de tomber en déshérence. Les informations sur les salariés bénéficiaires sont parfois incomplètes ou dépassées ; il arrive même que le titulaire ignore qu’il détient un contrat.
La lutte contre la déshérence des contrats d’épargne retraite supplémentaire a déjà fait l’objet d’évolutions législatives récentes. La loi Pacte a fait entrer dans le champ de la loi du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence, dite « loi Eckert », les contrats sans terme que sont souvent les contrats d’épargne retraite supplémentaire. En outre, la loi Sapin II a renforcé l’information des salariés sur les contrats d’épargne retraite supplémentaire au moment de leur départ à la retraite. Par ailleurs, les nombreux produits d’épargne retraite – plan d’épargne retraite populaire (PERP), plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco), contrats dits « Madelin » et « article 39 » – doivent à terme s’éteindre au profit des nouveaux plans d’épargne retraite prévus par la loi Pacte.
L’initiative du présent texte revient à notre collègue député Daniel Labaronne, qui a cherché à traduire la recommandation émise par le Comité consultatif du secteur financier en réponse aux constats faits par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Daniel Labaronne est lui-même membre du CCSF ; je sais son engagement sur ces sujets et sa volonté d’apporter des solutions rapides, concrètes et opérationnelles au problème de la déshérence des contrats d’épargne retraite supplémentaire. Je salue son travail en tant qu’auteur et que rapporteur de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale.
La commission des affaires sociales du Sénat a souhaité préserver l’intention de l’auteur du texte et le cœur du dispositif proposé.
De nouvelles fonctionnalités seront donc bien mises en œuvre par le GIP Union Retraite en vue de renforcer l’information des bénéficiaires de contrats d’épargne retraite supplémentaire. Grâce à ces nouvelles dispositions, l’assuré qui consultera le site Info Retraite au titre de ses droits à la retraite obligatoire verra désormais s’afficher également les éventuels contrats d’épargne retraite supplémentaire dont il est bénéficiaire.
Le mécanisme proposé repose sur un répertoire créé à cet effet, dans lequel les gestionnaires de ces produits d’épargne retraite verseront des informations relatives aux contrats et à leurs souscripteurs. Le GIP Union Retraite sera chargé d’identifier les souscripteurs et de mettre à leur disposition, au moyen de son service en ligne, des informations sur les contrats détenus.
La démarche constructive que nous avons retenue s’est notamment concrétisée dans le travail réalisé par la commission sur l’article 1er de la proposition de loi.
Au nom de la clarté du dispositif, la commission a procédé au transfert au sein du code monétaire et financier des nouvelles dispositions proposées. Il nous semblait cohérent d’inscrire ces dispositions aux côtés des nouveaux plans d’épargne retraite et non au sein du code de la sécurité sociale, la retraite supplémentaire n’y ayant pas sa place.
Nous avons également souhaité renforcer les distinctions entre retraites obligatoires et supplémentaires sur le site Info Retraite, en dissociant le relevé de situation sur les droits à la retraite obligatoire et en prévoyant des mentions informatives renforcées.
Nous avons surtout voulu garantir l’efficacité de ce dispositif sans pour autant remettre en cause la protection des données personnelles ni le droit au respect de la vie privée.
La commission s’est ainsi attachée à encadrer les informations transmises par les gestionnaires au groupement : en seront exclues les données financières liées au contrat, dont il ne nous a semblé ni pertinent ni opportun de permettre la communication.
Elle a aussi estimé que le silence du texte sur un éventuel « sens retour » ne garantissait pas sa sécurité juridique ; nous avons donc prévu que les transmissions d’informations du groupement vers les gestionnaires seraient possibles, mais de manière proportionnée et limitative.
Il conviendra d’évaluer l’efficacité du schéma retenu dans ce texte et de déterminer si des données complémentaires seraient de nature à renforcer de manière substantielle ce dispositif.
Notre commission a supprimé l’article 4, qui prévoyait une expérimentation visant à confier à des généalogistes la recherche des bénéficiaires de contrats placés à la Caisse des dépôts et consignations.
Ce dispositif expérimental nous a paru comporter des lacunes juridiques. Il nous par ailleurs semblé que sa mise en œuvre conduirait à communiquer à ces acteurs des données personnelles et bancaires, ce que nous n’avons pas jugé souhaitable. En outre, il faut noter que la déshérence porte principalement sur de petites sommes et non sur de gros contrats, qui sont bien connus de leurs souscripteurs ; or un tel dispositif ne vise pas à résoudre un problème de masse sur des contrats peu rémunérateurs. Enfin, la Caisse des dépôts et consignations assure une mission d’information, et non de recherche de bénéficiaires, sur les contrats en déshérence dont les sommes lui sont transférées.
La commission a bien veillé à ce que le dispositif fonctionne, comme elle a également tenu à ce que ce texte, qui vise à renforcer l’information des bénéficiaires de contrats d’épargne retraite supplémentaire, n’ouvre pas la porte à une grande confusion entre la retraite obligatoire et l’épargne retraite. Aussi a-t-elle émis des avis défavorables sur les amendements visant à revenir sur les clarifications et encadrements qu’elle a pu apporter.
Le texte issu des travaux de la commission répond aux préoccupations et recommandations de l’ACPR. Équilibré, il permet la mise en œuvre opérationnelle du dispositif tout en garantissant sa finalité et son encadrement.
Soucieuse de parvenir à un accord avec son homologue de l’Assemblée nationale, notre rapporteur a proposé une solution de compromis sur un point de divergence à l’article 1er. Sur son initiative, la commission a adopté ce matin un amendement levant l’interdiction de transmission au GIP de données financières sur les contrats. Ces informations devront se limiter au strict nécessaire.
Considérant les derniers échanges, je suis optimiste sur le devenir de ce texte à l’Assemblée nationale. J’espère, comme nos collègues députés, que cette utile proposition de loi trouvera à s’appliquer rapidement.
Mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous propose donc d’adopter ce texte dans la rédaction issue de ses travaux, modifiée par l’amendement du rapporteur que je vous soumettrai tout à l’heure.