Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à m’associer à l’hommage que le Président de la République a rendu cet après-midi à Samuel Paty. Les citoyens libres formés par le professeur Samuel Paty feront comprendre notre Nation, nos valeurs et notre Europe, a souligné le Président de la République. C’est un enseignement qui peut aussi éclairer notre débat de ce soir.
Après avoir accompagné le Président la République la semaine dernière au Conseil européen des 15 et 16 octobre, je suis heureux de venir rapporter, dans l’hémicycle du Sénat, les positions défendues par la France, ainsi que les avancées obtenues sur quelques sujets d’importance : les négociations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, la coordination européenne contre l’épidémie de covid-19, le changement climatique et les relations extérieures de l’Union européenne. Pour compléter ce panorama, je dirai quelques mots de l’état des négociations relatives à la politique agricole commune (PAC), premier budget de l’Union européenne. Cette politique, à laquelle votre chambre porte une attention particulière, a fait l’objet d’un premier accord, hier, sous l’impulsion du ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
S’agissant en premier lieu de la lutte contre la covid et des mesures de coordination européenne, la situation actuelle, partout en Europe, suscite de vives inquiétudes. Partout, l’épidémie reprend, se développe ; partout, des mesures restrictives se mettent en place. Il faut bien le dire, la coordination européenne fut initialement défaillante. Si la réponse économique a été, je le crois, à la hauteur des besoins et des combats qui ont été menés, notamment au cours du mois de juillet, par le Président de la République pour préparer la relance et soutenir nos économies, sur le front sanitaire, faute de compétence européenne dans ce domaine, la coordination a été pour le moins insuffisante.
Face à la reprise de l’épidémie, nous devons reprendre nos travaux pour améliorer autant que possible cette coordination européenne. Il est normal que les mesures soient différenciées par pays, souvent par territoire, région ou ville ; c’est le cas partout en Europe. Cette carte, ce patchwork parfois, reflète aussi la nécessité d’une réponse adaptée, ciblée à l’épidémie.
Néanmoins, il est indispensable que les décisions européennes se prennent de la manière la plus lisible, coordonnée, coopérative et proportionnée possible. C’est l’objet d’un premier accord obtenu la semaine dernière au Conseil des affaires générales, auquel je participais, puis au Conseil européen, réunissant les chefs d’État et de gouvernement, pour harmoniser les seuils et les données scientifiques et sanitaires sur le fondement desquelles les mesures sont prises.
Cette première étape étant franchie, nous devons aller plus loin pour rapprocher et harmoniser le plus possible les mesures elles-mêmes, notamment pour limiter certaines restrictions. Les déplacements en Europe, dans le contexte que nous connaissons, peuvent paraître décalés, mais ils ne sont pas un luxe, en particulier pour les 350 000 travailleurs frontaliers que compte notre pays et qui, chaque jour, ont un besoin impératif, pour leur vie professionnelle et personnelle, de franchir une frontière dont ils avaient parfois presque oublié l’existence.
Nous devons donc progresser vers la reconnaissance mutuelle d’un certain nombre de mesures restrictives pour les transports et les déplacements les plus essentiels. Je pense notamment à la reconnaissance mutuelle des tests actuellement développés, à la limitation, voire à la suppression, des mesures de quarantaine, ainsi qu’à l’harmonisation des mesures préalables d’information, pour rendre plus systématiques les échanges d’information entre les pays de l’Union européenne et éviter qu’un pays ne prenne par surprise l’un de ses voisins, mettant ainsi en difficulté de nombreux citoyens européens en certaines occasions.
Il faut souligner que, grâce à ces efforts bilatéraux et européens de coordination, nous ne sommes pas, fort heureusement, dans la situation que nous avons connue au printemps dernier, quand nos plus proches voisins – je pense par exemple à l’Allemagne – avaient appliqué des mesures de restriction du passage aux frontières. Nous devons poursuivre dans cette voie. Dans cette perspective d’approfondissement de la coordination, le Conseil européen a décidé que se tiendraient de manière très fréquente, plusieurs fois par mois si nécessaire, des visioconférences entre les chefs d’État et de gouvernement. La première aura lieu la semaine prochaine.
Sur le plan sanitaire, la question des vaccins a également été abordée à l’occasion du Conseil européen. Il faut souligner les avancées rapides de l’Union européenne pour assurer un travail commun. Trois contrats ont d’ores et déjà été signés entre l’Union européenne et plusieurs grands laboratoires effectuant des recherches ; trois autres sont en préparation. Nous devons poursuivre dans cette voie, car l’Union européenne ne donnerait certainement pas une bonne image si devait se manifester, à l’occasion de la découverte d’un vaccin ou d’un nouveau remède, une forme de nationalisme ou de « chacun pour soi » sanitaire. Il est donc très important de renforcer, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, la coordination en matière de financement et de préacquisition des vaccins.
J’en viens à la question majeure et toujours pendante des négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne pour préparer la relation future à l’issue du Brexit.
Le Conseil européen a permis de rappeler, dans cette phase tendue des discussions, les priorités communes, unanimes des Vingt-Sept. Trois d’entre elles sont particulièrement importantes pour la France et sont soutenues par l’ensemble des pays de l’Union européenne. Elles figurent dans le mandat de notre négociateur, Michel Barnier.
La question de la pêche, tout d’abord, est éminemment sensible pour la France et pour sept autres pays directement impliqués dans une forme de club rassemblant des États pour lesquels cette activité est très importante sur les plans économique et territorial. Elle est surtout un sujet de préoccupation commun à l’ensemble de l’Union européenne : il importait de le manifester lors du Conseil européen. Le 1er janvier prochain, le visage du Brexit sera d’abord celui de nos pêcheurs. Nous avons obligation de défendre au mieux leurs intérêts ; le Président de la République s’y attache pleinement, vous le savez, jour après jour. Cela ne signifie pas que la situation sera inchangée au 1er janvier prochain, mais nous devons réaliser le maximum d’efforts pour obtenir un accord. Cela implique – nous ne devons pas céder à une pression tactique britannique sur ce point – que le sujet de la pêche ne doit pas être isolé dans la négociation, au motif qu’il est important pour nos amis et voisins Britanniques. Il l’est évidemment tout autant pour nous. Nous l’avons dit, nos pêcheurs ne valent pas moins que les pêcheurs britanniques, et notre priorité est de les défendre. Le maintien d’un accès durable, stable et réciproque aux eaux britanniques est évidemment notre priorité. Il importait de le rappeler clairement, parce que des critiques ou des doutes s’expriment parfois, entretenus le cas échéant par nos amis Britanniques.
La deuxième priorité, c’est l’établissement de conditions de concurrence équitables dans la relation économique que nous cherchons à bâtir avec les Britanniques. Cela est essentiel pour assurer une équité entre nos économies, extrêmement intégrées après quarante-cinq ans d’appartenance commune à l’Union européenne. Il est évidemment impossible d’imaginer que l’on accorde aux Britanniques un accès complet à notre marché, selon la formule « zéro tarif, zéro quota », sans obtenir de leur part des garanties sérieuses, solides et dynamiques, c’est-à-dire pérennes, quant au respect de nos règles dans les domaines les plus sensibles, en matière environnementale, sanitaire et – plus encore sans doute, la compétition pouvant être féroce – d’aides d’État : c’est l’un des sujets difficiles de la négociation.
J’évoquerai plus brièvement la question dite de la gouvernance, qui peut paraître technique, mais est éminemment importante. En effet, si l’une des parties, par exemple le Royaume-Uni, ne respectait pas l’intégralité des engagements pris – les dernières semaines ont montré que, malheureusement, ce n’était pas seulement un cas d’école –, nous devrons pouvoir recourir à des mécanismes de rétorsion rapides pour défendre au mieux nos intérêts.
Nous sommes déterminés, ouverts à la poursuite de cette négociation, car il est dans notre intérêt d’obtenir un accord. Cela étant, c’est surtout dans l’intérêt du Royaume-Uni, aussi ne devons-nous en aucun cas changer fondamentalement de positionnement ou d’approche. Nos priorités sont claires, partagées à vingt-sept, elles ont été réaffirmées à l’occasion de ce Conseil européen et figurent dans le mandat de notre négociateur, rendu public voilà plusieurs mois.
Dans les prochaines heures, cette négociation continuera, je l’espère, selon les priorités et dans le cadre que j’ai décrit. En même temps, nous devons nous préparer – c’est la responsabilité particulière du Gouvernement – à l’ensemble des scénarios, notamment aux deux branches de l’alternative concernant notre relation future avec le Royaume-Uni : en cas d’accord, il n’y aura pas maintien du statu quo, puisque quitter le marché unique implique, pour le Royaume-Uni et ses opérateurs économiques, des contrôles douaniers, sanitaires, phytosanitaires aux frontières, qui sont déjà prévus ; en cas de no deal, aux contrôles s’ajouteront un certain nombre de barrières tarifaires et non tarifaires dans le commerce avec le Royaume-Uni. Le Premier ministre a réuni, le 12 octobre dernier, l’ensemble des ministres concernés pour vérifier l’état de ces préparatifs, en vue de les accélérer ou de les compléter lorsque cela est nécessaire.
Sur la question climatique, un premier débat s’est tenu, à l’occasion du Conseil européen, sur le rehaussement de nos ambitions en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Avec onze autres pays, dont certains nous ont rejoints au cours de ce Conseil européen, la France a défendu, par la voix du Président de la République, un rehaussement à hauteur d’au moins 55 % de la cible de baisse des émissions à l’horizon 2030. C’est la proposition de la Commission européenne ; le Parlement européen a voté un objectif plus ambitieux encore. Nous aurons l’occasion d’en reparler, mais il est impératif de conjuguer cette ambition avec une nécessaire équité.
Certes, l’Union européenne se doit d’avoir des ambitions climatiques et de les défendre. Pour autant, ce modèle ne sera ni juste ni efficace si elle n’exige pas, de ses partenaires, un certain nombre de garanties, de mesures d’équité ou de compensation. Je pense évidemment à ce que l’on appelle parfois, de manière simplificatrice, mais évocatrice, la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Grâce à un tel dispositif, les exigences environnementales imposées, d’une part, à nos partenaires ou à nos rivaux commerciaux, et, d’autre part, à nos propres entreprises seraient mises au même niveau.
En outre, le Conseil européen a rapidement abordé diverses questions de relations extérieures, qu’il s’agisse de la Turquie ou du partenariat entre l’Union européenne et l’Afrique, lequel fera l’objet d’un sommet spécifique : les autorités de l’Union européenne et celles de l’Union africaine se retrouveront le 9 décembre prochain.
Nous devons soutenir l’Afrique, tout particulièrement dans cette période de lutte contre la covid, face aux conséquences sanitaires et économiques de la pandémie : c’est ce que fait la France au sein des instances internationales, dans le cadre du G20 ou du club de Paris, pour assurer la prolongation d’un moratoire sur la dette.
De plus, nous participons à la lutte directe contre l’épidémie sur le continent africain : c’est le sens de l’initiative Access to Covid-19 T ools A ccelerator, dite « ACT-A », prise, sous l’impulsion de la France, par l’Union européenne et l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, au mois d’avril dernier, pour soutenir les systèmes de santé dans cette période de lutte contre l’épidémie. Pour l’avenir, il s’agit également de défendre l’accès universel et équitable au vaccin, à un prix abordable.
La réunion du 9 décembre sera suivie, au premier semestre de 2021, d’un sommet rassemblant les dirigeants de l’Union européenne et ceux de l’Union africaine.
Enfin – elle ne figurait pas au menu du Conseil européen, mais cette question ô combien importante fait partie de l’actualité européenne –, j’évoquerai la politique agricole commune.
L’accord budgétaire du 21 juillet dernier a permis de stabiliser la PAC au niveau actuel. Ce combat essentiel n’était pas gagné d’avance. Je songe notamment aux paiements directs, qui constituent une part essentielle des revenus des agriculteurs. La stabilité financière de cette politique se trouve ainsi garantie.
Le contenu de la PAC est tout aussi important. Je n’entrerai pas dans les détails de cet accord, que les discussions avec la Commission et le Parlement européens doivent encore confirmer. Je soulignerai simplement, en saluant le travail de mon collègue Julien Denormandie, que les ministres de l’agriculture sont parvenus cette nuit à un accord qui prévoit notamment l’obligation d’inclure, au sein du premier pilier de la PAC, des « écorégimes » – pardon de cette expression un peu barbare ! –, afin de garantir qu’il n’existera pas de différences de traitement ou de distorsions de concurrence entre pays de l’Union européenne. C’est une demande forte et légitime de nos agriculteurs : oui au verdissement de la PAC, à condition que ses exigences s’appliquent à tous. Ces « écorégimes » constitueront au moins 20 % des paiements directs dans l’ensemble des États membres.
En marge de cette discussion sur la PAC, un accord important a été obtenu par notre ministre de l’agriculture et de l’alimentation pour un soutien d’urgence à la viticulture française. Il vient compléter le plan présenté par le Premier ministre l’été dernier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces accords correspondent aux positions que votre assemblée défend, en la matière, à une très forte majorité, en faveur d’une politique agricole plus verte, plus juste et garantissant un revenu stable pour nos agriculteurs.