Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Brexit a montré que, même après avoir tissé des liens de solidarité et d’interdépendance pendant plus de cinquante ans, si l’envie d’être ensemble fait défaut, cela ne tient plus. Nous devons mettre cette observation au cœur de nos préoccupations lorsque nous développons de nouveaux instruments financiers.
Même si l’on considère que l’accord du 21 juillet est quasiment miraculeux, ces instruments ne suffiront pas à construire une Europe politique. Même après cet accord, il n’y aura pas de moment fédéral sans capacité et volonté politiques d’aller plus loin.
Le Conseil européen de la semaine passée a abordé énormément de sujets, mais n’a pas fait la « une » des journaux. Concernant le Brexit, on est toujours dans l’incertitude : les Britanniques veulent-ils partir sans accord ou usent-ils simplement d’une tactique de négociation quelque peu brutale ?
Concernant le cadre financier pluriannuel, alors que sa mise en œuvre est urgente et que la pandémie reprend de la vigueur, les remarques du Parlement européen sur les propositions avancées et sur l’accord actuel apparaissent mériter des réponses pertinentes.
S’agissant du G reen D eal, si l’on doit saluer la volonté de la Commission européenne de relever l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % à 55 % à l’horizon 2030 par rapport à 1990, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, il faut tout de même constater que l’on n’a pas beaucoup avancé sur la définition des moyens d’y parvenir…
En outre, il faut veiller, lorsque l’on se fixe un tel objectif, à ce que les émissions de gaz à effet de serre ne soient pas transférées hors du territoire de l’Union européenne à travers l’importation de biens. C’est exactement ce qui s’est passé en France : nous avons réduit nos émissions, mais celles des pays où sont produits les biens que nous importons ont augmenté quasiment dans la même mesure !
Enfin, le pacte migratoire ne résout rien : on a changé les noms, mais on ne change pas de politique.
Du fait de toutes ces incertitudes, il est difficile à l’Union européenne de parler le langage de la puissance.
Monsieur le secrétaire d’État, concernant le Brexit, pouvez-vous nous dire si nous disposerons des outils pour faire respecter, même en l’absence d’accord sur la relation future, l’accord de retrait, déjà mis à mal par le gouvernement britannique, en particulier pour assurer le respect des droits des Britanniques qui vivent dans l’Union européenne et des ressortissants de l’Union européenne qui continueront à vivre au Royaume-Uni, notamment en matière de permis de séjour et de continuité des droits sociaux ? Quelle sera, à terme, la place de la Cour de justice de l’Union européenne dans le contrôle du respect de l’accord de retrait, s’il n’y a pas d’accord sur la relation future ?
L’accord du 21 juillet constitue un nouvel instrument de financement des politiques européennes, mais il est en réalité aussi un symbole : depuis février 2020, plus de 70 % des obligations souveraines émises par les États membres ont été rachetées par la Banque centrale européenne.
Par ailleurs, 750 milliards d’euros sur les prochaines années, c’est moins que ce que prévoit le programme de Joe Biden pour chaque année de la décennie à venir. Comment, dès lors, faire le poids face aux États-Unis ou à la Chine, qui vont mobiliser beaucoup plus d’argent que nous, alors que nous semblons avoir déjà atteint le maximum de nos capacités ?
En outre, depuis quelques années déjà, les ressources propres de l’Union européenne baissent : elles représentent moins de 30 % des ressources totales et cet état de fait ne pourra que s’accentuer si l’on augmente de cette manière les financements européens.
Or on constate qu’une partie des nouvelles dépenses, celles qui n’entreront pas directement dans le cadre financier pluriannuel, vont financer des politiques nationales, au risque d’entraver la convergence entre les pays. Certains auront les moyens d’aider leurs entreprises, d’autres beaucoup moins. Un tel risque de décrochage entre en totale contradiction avec la convergence qui a toujours été recherchée au travers des politiques européennes.
Monsieur le secrétaire d’État, si l’on veut pérenniser ces nouveaux outils, dont nous saluons la création, il faut renforcer les ressources propres. À défaut, il s’agira d’un one shot et l’on aura cassé la dynamique. Si nous voulons que le succès du 21 juillet ait un lendemain, il faut absolument trouver de nouvelles ressources propres et faire en sorte que l’Union européenne puisse continuer à être crédible sur ce plan.
Vous nous direz également comment vous envisagez de sortir de la problématique de l’État de droit. Personne n’est parfait dans l’Union, beaucoup d’États se voient infliger des condamnations par la Cour de justice de l’Union européenne. Quels critères objectifs retenir à cet égard ?
Il faut, bien entendu, défendre l’intérêt financier de l’Union ; c’est d’abord le rôle du parquet européen. Il serait nécessaire, à mon sens, d’insister auprès des pays connaissant des problématiques de corruption pour qu’ils luttent contre le mauvais usage des fonds européens. Au cours d’un récent déplacement en Hongrie, nous avons pu entendre des témoignages de responsables de collectivités locales. Il est indispensable que nous puissions disposer des moyens de mieux suivre l’emploi des fonds européens. Il est regrettable, à cet égard, qu’un pays comme la Hongrie ne soit pas partie prenante au parquet européen.
Sur la question migratoire, on nous a annoncé la suppression de la procédure Dublin ; c’est très bien, mais la responsabilité du pays de premier accueil restera. Sur un tel sujet, alors qu’il existe tellement de différences de pratiques entre les États, il me semble que nous devrions essayer d’avancer à quelques-uns. Créons, avec l’Allemagne et quelques autres pays, une cour européenne du droit d’asile, pour que les rejets ou les acceptations des demandes d’asile puissent être reconnus entre ces pays. Cela permettrait de fluidifier la mise en œuvre des principes et d’avancer en donnant confiance à ceux qui ne veulent pas bouger.
S’agissant de l’espace Schengen, nous avons constaté que la pandémie a mis à mal le respect de ses principes, avec le retour de contrôles aux frontières tout à fait scandaleux et inappropriés. La crise sanitaire a montré que notre espace de libre circulation n’était absolument pas au niveau ; il convient de le faire évoluer.
Concernant les relations extérieures, je pourrais reprendre mot pour mot les propos de notre collègue Jérémy Bacchi sur l’agression azérie au Haut-Karabakh. L’implication de l’Union européenne est nécessaire pour faire cesser ce drame humanitaire.
Quelles actions seront entreprises pour protéger les manifestants victimes de violences en Biélorussie ? Avec qui nous allons négocier en Afrique ? Avec l’Union africaine, qui n’a pas les mêmes compétences que l’Union européenne ? Avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ? Avec les différents pays africains ? Comment parvenir à établir une relation qui ne soit pas déséquilibrée ?
Vous nous direz, peut-être, monsieur le secrétaire d’État, quelle place peuvent tenir, selon vous, les parlements nationaux dans le débat sur l’avenir de l’Europe. Les parlements nationaux disposent de la souveraineté budgétaire ; si nous voulons dégager de nouvelles ressources propres pour l’Union, il est absolument indispensable qu’ils soient au cœur du débat sur l’avenir de l’Europe, car ils sont seuls en mesure de faire évoluer la situation sur ce plan. C’est une question essentielle !