Concernant la pêche, tout comme vous, nous ne voulons pas d’un accord au rabais. Celui-ci nous soumettrait à la loi de l’annualité : il y aurait une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête de nos pêcheurs, qui nous obligerait à renégocier chaque année les autorisations d’accès et les quotas avec les Britanniques. Il est évident qu’un tel dispositif annuel est inacceptable et qu’il fait partie des points dont nous avons dit et répété que nous ne pourrions les admettre, car il est incertain et manque donc de visibilité.
Je le redis à M. Cabanel, l’accès à notre marché est évidemment un besoin essentiel pour les Britanniques. Vous avez soulevé la question de l’étiquetage des produits, monsieur le sénateur : ce point a été de nouveau abordé par la Commission européenne dans les propositions du Green Deal il y a quelques mois.
Ce sujet, sur lequel la France avait mené une expérimentation pour certains produits, a pris un peu de retard : on ne dispose pas encore d’un cadre européen pour l’étiquetage nutritionnel et pour l’origine des produits, notamment en ce qui concerne les plats préparés. C’est un combat que nous devons encore mener, tout comme nous devons maintenir la pression sur la Commission.
Monsieur le sénateur Bacchi, sur la question du Haut-Karabakh, je serai prudent, parce que vous en connaissez la sensibilité. Notre objectif aujourd’hui est de maintenir un lien entre les parties, dans l’intérêt que vous avez légitimement défendu. En effet, l’enjeu, la priorité à court terme, notamment pour l’Arménie, est que les hostilités cessent.
En tant que coprésidente du groupe de Minsk – le Président de la République s’est entretenu à plusieurs reprises avec le président Trump et le président Poutine, qui assurent la coprésidence de ce groupe avec nous –, la France s’est engagée à obtenir une cessation des hostilités. C’était le message du Conseil européen des 1er et 2 octobre dernier – vous évoquiez le rôle insuffisamment clair de l’Union européenne dans cette crise –, mais pas, il est vrai, celui des 15 et 16 octobre.
La France est en situation de conduire des initiatives sur ce dossier : nous avons par deux fois obtenu le principe d’une cessation des hostilités, même si, chaque fois, l’accord est fragile et risque d’être violé. Aujourd’hui, il faut essayer de consolider le principe de cessation des combats et, surtout, insister pour une reprise des discussions entre les deux parties. À ce stade, faire des gestes qui vont au-delà, même si je peux en comprendre la logique, fragiliserait les efforts diplomatiques et les efforts de paix.
Je l’ai rappelé, à l’évidence, cette crise s’inscrit dans le cadre de la politique qui est menée par la Turquie dans l’ensemble de la région et qui consiste à alimenter les tensions. La France a dénoncé cette politique avec fermeté, en faisant là aussi bouger ses partenaires européens.
Monsieur Jean-François Longeot, j’espère avoir répondu à l’essentiel de vos interrogations sur la manière de combiner l’ambition climatique avec le réalisme des objectifs et sur les outils pour atteindre ces derniers. Reste la question du calendrier. On savait que le Conseil européen des 15 et 16 octobre était un point d’étape, mais, j’y insiste, nous avons beaucoup accéléré sur ce volet. Je l’ai mentionné, certains pays hostiles à des efforts supplémentaires, tels la République tchèque, bougent d’ores et déjà.
Notre objectif est bien d’obtenir un accord d’ici à la fin de l’année, pour que, avant la prochaine Conférence des parties sur le changement climatique – nous célébrons cette année les cinq ans de l’accord de Paris ! –, la COP26, qui a été reportée pour cause de covid-19, mais qui se tiendra l’an prochain au Royaume-Uni, l’Union européenne puisse déposer une nouvelle contribution, ce que l’on appelle une NDC, ou N ationally D etermined C ontribution, c’est-à-dire une contribution aux accords de Paris, pour rehausser à 55 % au moins l’objectif de réduction des gaz à effet de serre d’ici à 2030. Tel est notre engagement politique et international.
Monsieur Leconte, j’ai dit un mot du pacte migratoire : ce sujet pourrait déclencher une discussion nous menant très tard dans la nuit… Je vous propose qu’on y revienne une autre fois.
En ce qui concerne la question climatique, vous avez parlé du risque des fuites de carbone : il est identifié, et c’est exactement pour cela que nous nous battons pour le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières. L’Union européenne, je le rappelle, représente moins de 10 % des émissions mondiales de CO2. Si nous ne pouvons compter que sur nos propres efforts, nous n’y arriverons pas, d’où l’importance de ces « écluses environnementales », comme on les appelle parfois. Le risque de fuites de carbone est spécifiquement mentionné dans les conclusions du Conseil européen.
Je n’ai pas encore répondu à la question qui a été soulevée à deux ou trois reprises de la réforme du mécanisme ETS – Emissions Trading Schemes –, qui peut aussi faire partie de cette boîte à outils.
Pour être très précis, le système ETS couvre aujourd’hui l’essentiel des secteurs, mais pas la totalité : en est exclue une partie du secteur agricole, du secteur des transports et du secteur du bâtiment. Il faut faire preuve de prudence à ce stade quant aux effets d’une extension du mécanisme.
Cette extension paraîtrait naturelle et sympathique sur le principe, mais le prix du carbone n’est pas soutenable au même niveau pour tous les secteurs. Il ne faudrait pas qu’elle tire le prix du carbone vers le bas pour l’ensemble de nos entreprises et de nos secteurs, ou, à l’inverse, que ce prix atteigne un niveau totalement irréaliste pour certains secteurs.
Pour ce qui concerne le secteur du transport maritime, en tout cas, nous avons dit à la Commission que nous n’y étions pas hostiles. Cependant, il faut examiner le mécanisme dans le détail : il existe certains secteurs pour lesquels il n’est pas illégitime d’avoir un dispositif spécifique, ce qui est le cas aujourd’hui du transport aérien.
Comment faire respecter les engagements adoptés dans le cadre du Brexit ? Plusieurs d’entre vous ont évoqué directement ou indirectement la question du respect de l’accord de retrait, dans lequel les Britanniques ont donné un certain nombre de coups de canif.
Nous avons engagé une procédure de mise en demeure – là encore, c’est une preuve de la force de l’Europe que de l’avoir fait vite –, dès lors que le texte a été voté à la Chambre des communes. Plus important encore, le Parlement européen a brandi une menace réelle et crédible, en affirmant qu’il ne voterait pas – en cas d’accord, son vote sur la relation future doit être acquis – si les Britanniques ne retiraient pas le projet de loi sur le premier chapitre, qui est l’accord de retrait. Pour être tout à fait honnête, il s’agit là du principal levier sur lequel l’Europe peut s’appuyer. Il faut que nous soyons sûrs que l’accord de retrait n’a pas été remis en cause par les Britanniques : c’est la condition d’avoir un deal à la fin.
Cela renvoie plus largement à la question de la gouvernance : si nous ne disposons pas de mécanismes unilatéraux de rétorsion, nous ne serons pas crédibles vis-à-vis de nos partenaires, ni assurés du respect des engagements adoptés.
Je crois avoir répondu aux questions du sénateur Mandelli sur le climat, en parlant du principe « ne pas nuire », ainsi que sur le transport maritime.
Madame la sénatrice Fournier, vous avez eu raison d’aborder la question du tunnel sous la Manche : c’est une préoccupation absolument vitale, parce qu’il est hors de question de ne pas assurer la continuité du trafic.
Nous avons pris différentes mesures. Ainsi, depuis hier, l’Union européenne nous a donné une habilitation à discuter de manière bilatérale, mais en son nom, avec le Royaume-Uni au sujet du cadre juridique post-Brexit relatif au tunnel sous la Manche. En effet, le traité de Canterbury ne suffit pas : certaines règles en matière de sécurité ou les licences des conducteurs de train dépendent directement des règlements ferroviaires européens. Il faut donc trouver un équivalent, que la France va négocier avec le Royaume-Uni.
Si nous n’aboutissions pas à un accord, soit en raison d’un désaccord avec le Royaume-Uni, soit faute de temps, d’ici le 31 décembre, nous avons aussi la possibilité – votre assemblée l’a autorisé par habilitation – de prendre des mesures de contingence unilatérales et symétriques, pour garantir que, en tout état de cause, le tunnel fonctionne dans des conditions de sécurité communes et respectées.
Je crois avoir répondu aux questions de Mme de Cidrac sur le climat. J’ajouterai un dernier point au sujet des outils d’accompagnement de la transition écologique : en plus du plan de relance et de la cible des 30 %, il existe un outil européen que l’on ne mentionne pas assez et que la France ambitionne aussi de transformer, c’est la Banque européenne d’investissement, la BEI, dont le budget a été renfloué pour soutenir la relance dans le cadre des discussions ayant eu lieu ces derniers mois.
La BEI devient progressivement une sorte de banque européenne du climat, avec une cible de 50 % de dépenses consacrées au soutien, notamment des collectivités locales, pour des projets climatiques, de transition écologique et de rénovation thermique d’ici à 2025.
Enfin, pour répondre au sénateur Chevrollier, il faut évidemment une équité des échanges sur le plan climatique. C’est notamment la question du mécanisme d’ajustement aux frontières – je n’y reviens pas –, mais c’est vrai aussi pour notre politique commerciale.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle – c’est la même chose que pour les écorégimes en interne pour la politique agricole – on ne peut pas commercer et signer des accords commerciaux avec de grands partenaires internationaux qui ne respectent pas nos exigences minimales en matière sanitaire et environnementale.
Je pense évidemment, vous l’aurez compris, à l’accord sur le Mercosur, qui a justifié une position de rejet et de fermeté de la France. J’ai également rappelé l’importance de la PAC pour nous permettre d’atteindre ces objectifs environnementaux. C’est absolument essentiel, et l’accord conclu hier y contribue.
Pardonnez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, si j’ai été long, mais je voulais être, si ce n’est exhaustif, du moins le plus complet possible dans mes réponses aux différentes interventions, même en cette heure avancée de la soirée et malgré le couvre-feu.