Intervention de Xavier Desjardins

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 23 septembre 2020 à 14h00
Quel avenir pour les mobilités dans les espaces peu denses

Xavier Desjardins, professeur en urbanisme et aménagement à l'Université Paris-Sorbonne :

Merci à la délégation à la prospective pour son invitation. La commande qui m'a été passée était complexe, mais heureusement j'ai pu préparer le travail avec beaucoup de dialogue avec Olivier Jacquin et son équipe. Par conséquent, le propos que je condense aujourd'hui est le résultat de ces échanges préalables. Mon exposé se déroulera en deux temps : un rappel de contexte et quelques propositions prospectives balbutiantes.

De quoi parle-t-on lorsqu'on évoque les espaces peu denses ? La densité est un rapport entre un nombre et une surface. Classiquement, les espaces peu denses sont ceux dans lesquels peu de gens sont présents au mètre carré. Les communes comptant moins de 30 habitants au kilomètre carré représentent la majorité des communes françaises. Mais quand on parle d'espaces peu denses sous l'angle des mobilités, il faut avoir conscience que l'automobile est ultra dominante, même dans des zones de densités plus élevées que 30 habitants au kilomètre carré, et même dans les pourtours des agglomérations. La césure en matière de mobilités est vraiment entre agglomérations et le reste du territoire.

Une des caractéristiques du territoire français réside dans le fait que les espaces « hors agglomération » comptent beaucoup plus de population que la moyenne européenne. Lorsqu'on observe la carte des agglomérations au sens géographique, c'est-à-dire les communes urbaines et les communes suburbaines immédiatement environnantes, on constate qu'en France, environ trente millions d'habitants habitent en-dehors d'une agglomération de plus de 10 000 habitants. Une autre différence avec nos voisins tient au fait que beaucoup d'habitants des espaces peu denses en France se trouvent très éloignés des grandes villes (à plus de 50 kilomètres des agglomérations de plus de 100 000 habitants). Par conséquent, le semi-urbain est particulièrement lâche, ce qui conditionne la politique de transports en France.

La dynamique territoriale doit aussi être appréhendée dans le temps. Au début des années 2000, nous avons vécu un rétrécissement des zones marquées par le déclin démographique. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de ré-expansion de ces zones mais avec des dynamiques différentes. Certaines régions perdant traditionnellement de la population (Limousin, coeur du Morvan etc...) continuent dans cette voie, mais d'autres zones sont également concernées comme une grande partie du bassin parisien, ce qui est nouveau. L'analyse du solde migratoire démontre que certaines agglomérations du nord (Paris, Rouen, Lille...) perdent une part de leur population du fait de déménagements.

L'analyse des lieux de résidence des Français est compliquée par le fait qu'on habite de plus en plus en de multiples endroits. De ce fait de manière prospective, on pourrait se demander - surtout après la crise de la Covid - si les campagnes vont gagner des habitants. Je l'ignore. Une autre manière de se poser la question pourrait aussi revenir à s'interroger sur le nombre de jours par an où les gens vont vivre dans des espaces de faible densité. La réponse est variable. Les « bi-résidents » existent. D'autres partent en vacances, en week-end, rendent visite à leur famille... Dans le futur, la manière dont la population vivra dans les gradients de densité ne sera pas une question anodine. Il ne s'agira plus de déterminer si la population habite à la ville ou à la campagne, mais plutôt de savoir combien de jours par an. Pour ceux qui seraient malheureusement condamnés, pour des raisons financières ou de santé, à ne vivre que dans un système ou l'autre, la frustration pourrait exister. De manière prospective en 2050, il pourrait être fait en sorte que chacun puisse, au moins pendant un mois par an, alterner. Il s'agirait d'une manière originale et différente d'envisager l'avenir des espaces de faible densité.

La carte des « bassins de vie » (selon le découpage de l'Insee) de faible densité (inférieure à 50 habitants/km²) démontre que dans ces espaces, toutes les configurations et trajectoires socio-économiques se retrouvent, comme dans les agglomérations. Les métropoles sont aussi diverses que les campagnes en termes de trajectoire, ce qui est important à retenir pour les politiques de mobilité.

Je voudrais apporter quelques éléments sur la mobilité, avec un zoom sur le département de l'Aube. Aujourd'hui, on se déplace cinq fois plus en moyenne que dans les années 1960. Les navettes sont de plus en plus longues. Les espaces péri-urbains sont de plus en plus étendus autour des villes. Quand on calcule la moyenne des distances parcourues par les gens quotidiennement pour aller travailler, on constate que plus on habite dans une zone rurale et plus les distances sont longues, d'où des problèmes en matière de coût des carburants et des difficultés pour trouver un travail en proximité et s'insérer. Les mouvements sociaux récents nous l'ont rappelé avec vigueur.

Pour autant, il existe aussi de nombreux endroits où plus de 55 % de la population travaillent à moins de 7 kilomètres de leur domicile. Ce fait est important car dans les espaces péri-urbains, la lecture est effectivement dominée par le constat de navettes épuisantes, coûteuses, polluantes et donc, légitimement soumises à réflexion. N'oublions néanmoins pas que sous cette couche, est présent également un tissu de proximité très important. D'ailleurs, la proximité est aussi forte du côté de Bar-sur-Aube que dans le centre de Troyes. Le milieu rural offre donc une très importante vie de proximité, ce qui a tendance à être parfois minoré ou ignoré.

La semaine dernière ont été publiés les premiers chiffres d'une enquête Mobilité réalisée par sondage, et qui fournit beaucoup d'éléments. J'en ai retenu la part modale des déplacements par type d'espace entre 2008 et 2019. On constate que plus la ville est grande et plus les changements ont été nombreux ces dernières années. Dans l'agglomération parisienne, la part modale de la voiture a considérablement diminué. Nous avons l'impression, à l'inverse, que les campagnes ont peu ou pas évolué sur ce plan. Pour autant, il est frappant de constater que le vélo occupe quasiment la même place dans les campagnes que dans les grandes villes.

Finalement à première vue, on pourrait penser que le monde rural est condamné à un système de mobilité qui reste stable, alors que les évolutions sont très importantes dans les villes, en particulier dans l'agglomération parisienne. Or il n'en est rien : sous cette immobilité apparente du système de déplacement, il se passe beaucoup de transformations discrètes. Nous pouvons donc faire le pari qu'un changement se produira.

Je lancerai pour finir trois propositions liées à des questions qu'Olivier Jacquin nous avait transmises.

Première question : quand les densités sont faibles, que fait-on ?

J'aurais envie de répondre que la voiture est destinée à rester durablement le mode de transport le plus adapté. Cependant, peut-être pourrions-nous réfléchir à d'autres types d'automobiles. En France, les voitures répondent au même modèle : lourdes et imposantes. Au Japon en revanche, il existe des véhicules beaucoup moins coûteux et énergivores, plus petits, d'abord développés dans le monde rural. La réflexion pourrait par conséquent porter sur la transformation de la voiture. À cet égard, l'exemple japonais des mini-voitures (keijidôsha ou kei-cars) est très intéressant.

Deuxième question : la généralisation du vélo est-elle possible en zone rurale ?

La diffusion du vélo en zone rurale est possible, à mon sens. Je ferai une proposition immédiate. Il faudrait que tout élève entrant en sixième bénéficie de la part de l'autorité publique d'une tablette et d'un vélo. Le coût ne serait pas excessif, alors que les bénéfices seraient également visibles sur la mobilité et la santé. Le système pourrait être combiné aux transports scolaires existants par bus. En cas de pluie, un sms pourrait être adressé à chaque élève afin d'indiquer si le car fonctionne le lendemain, et à quels horaires.

Dans les zones de montagne ou pour les élèves demeurant à plus de trois kilomètres de leur collège, on peut imaginer un montant de chèque-mobilité plus élevé, pour supporter le coût d'un vélo électrique. À l'argument justifié selon lequel les déplacements à vélo seraient trop dangereux pour des collégiens, il pourrait être opposé que si tout le monde circule à vélo, les élus locaux transformeront les politiques d'aménagement des espaces publics.

Troisième question : quel avenir pour le covoiturage ?

Il résulte d'une comparaison des déplacements des ouvriers des usines de Picardie et du Bade-Wurtemberg, que les seconds étaient beaucoup plus adeptes du covoiturage qu'en France. La raison en est simple. Les ouvriers allemands sont beaucoup plus stables dans l'emploi et connaissent leurs collègues d'usine. En d'autres termes, le covoiturage est un révélateur de l'intensité du lien social. Il convient donc de réfléchir à ce levier de mobilité dans les espaces ruraux, que constitue l'intensification du lien social. Bien entendu, les moyens d'y parvenir sont complexes, mais la comparaison a montré que le covoiturage représentait un ressort manifestement important pour la transformation des mobilités.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion