Intervention de Sylvie Landriève

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 23 septembre 2020 à 14h00
Quel avenir pour les mobilités dans les espaces peu denses

Sylvie Landriève, directrice du Forum Vies Mobiles :

Votre invitation m'invite à « dramatiser » cette séquence, je vais tenter d'y répondre. À vous entendre, il est clair que les espaces peu denses sont des territoires d'innovation dans lesquels la vie est possible et des solutions existent. Néanmoins, ne sommes-nous pas à un moment de basculement ? Non seulement la transition écologique et sociale y est possible, mais il s'agit peut-être des territoires du futur. Tel sera le sens de ma synthèse.

J'ai un problème avec la dénomination « espace peu dense », qui signifie « pas assez dense », et laisserait supposer l'inefficacité des territoires dont il s'agit. Cette critique porte sur la faiblesse des transports collectifs et aussi, sur la faiblesse des liens sociaux. Or cette critique est en train de se lézarder, comme nous l'avons vu pendant le confinement. De 3 à 5 % d'urbains ont quitté les villes pendant cette période difficile pour s'installer dans les espaces peu denses, dans des maisons où ils avaient le sentiment de vivre mieux. Les émissions de télévision et de radio ont été nombreuses pour interroger ces personnes. En réalité, la dynamique est engagée depuis au moins une décennie car les espaces peu denses ont une démographie positive, à l'inverse des autres espaces.

Entre un tiers et la moitié des personnes interrogées indiquent souhaiter quitter les centres urbains pour habiter dans les espaces peu denses. Va-t-on assister à un exode urbain ? S'il a lieu, peut-il être durable sur le plan écologique ? Faut-il le freiner ou l'accompagner par des politiques publiques ? Pour répondre aux désirs des citoyens, il faudra mener une première bataille : celle des mots. Il faut cesser de parler « d'espaces peu denses » pour démontrer au contraire qu'ils sont attractifs, qu'ils ont un futur écologique, qu'ils sont en effet de basse densité mais que cela fait partie de leur attractivité. Ils sont pluriels et vecteurs de promesses.

On pourrait les dénommer les « grands espaces », car il ne s'agit pas d'une catégorie uniforme. Ces espaces comptent 30 millions d'habitants, ce qui laisse penser que la puissance publique a un rôle important à y jouer. Les grands espaces sont différents par les paysages, les pentes et les formes de collectivités locales. Ils sont différents par les usages (résidentiels, touristiques...), de même que par les dynamiques démographiques et économiques. Tous ces grands espaces péri-urbains en fort essor démographique et économique (tels que la Vendée) sont différents de ceux qui se trouvent en déprise industrielle (les Vosges). Il existe par conséquent de multiples futurs à imaginer.

Les habitants dépendent de la voiture mais la distance parcourue en moyenne n'est pas supérieure à celle des autres espaces. Par conséquent, le sujet de la durabilité n'est pas différent dans les grands espaces, même si le principal problème à résoudre reste celui de la dépendance à la voiture. Parmi les nombreuses solutions évoquées aujourd'hui, beaucoup tournent autour du développement des modes actifs et de la socialisation des usages de la voiture. Cela peut-il suffire ? On sent bien que ces politiques sont obsédées par le report modal de la voiture vers autre chose. Or quand report modal se fait dans les grands centres urbains, les émissions carbone liées aux transports continuent d'augmenter. Par conséquent, le report modal ne permet pas de diminuer les émissions. Il faut donc trouver d'autres pistes.

J'entends dans vos expérimentations locales qu'elles foisonnent, mais aussi qu'elles nécessitent énormément d'efforts et d'implication des acteurs locaux. L'aide au déploiement passe vraisemblablement par l'intégration des services, afin que les usagers s'y retrouvent plus facilement. Cette proposition émane de Vincent Kaufmann, sociologue de la mobilité à l'École Polytechnique de Lausanne, et également notre directeur scientifique au Forum Vies Mobiles.

La deuxième piste serait de réallouer les infrastructures à d'autres modes que la voiture. Pour la marche et le vélo, il ne s'agit pas seulement d'une question de changement de comportement. Si les Hollandais pratiquent davantage le vélo que les Français, c'est parce qu'un plan national a été mis en place par l'État en développant des infrastructures sécurisées. On ne peut donc pas demander aux parents d'autoriser leurs enfants à faire du vélo si les infrastructures sont peu sûres.

Évidemment, le véhicule individuel ne disparaîtra pas. Les petites voitures représentent le meilleur moyen de diminuer les émissions de carbone. Plus que d'attendre le passage à l'électrique ou à l'hydrogène, il faut donc passer à la voiture légère, par exemple en interdisant la publicité pour les véhicules polluants. Une proposition de la Convention Climat allait dans ce sens.

Le confinement a mis en évidence l'appétence pour le télétravail. Avant le confinement, 7 % de la population active télétravaillait une journée par semaine. Pendant le confinement, de 30 à 40 % de la population active a télétravaillé cinq jours sur cinq. Sans prétendre qu'il s'agit de la solution à tout et que tout le monde est ravi de télétravailler, il apparaît néanmoins qu'une personne sur deux a exprimé l'envie de continuer. Par conséquent, le télétravail est un outil pour décarboner les déplacements. Il s'agit aussi d'un enjeu d'aménagement du territoire, à la condition de traiter la question des zones blanches numériques.

Pour chaque territoire, trois atouts sont nécessaires : être attractif, durable et efficient. Les espaces peu denses sont déjà attractifs. À certaines conditions, ils peuvent être durables. Ils ne le sont en tout état de cause pas moins que les autres territoires. Il faut désormais qu'ils deviennent efficients, c'est-à-dire avec une autonomie relative sur le plan énergétique, alimentaire et sanitaire. Les départements, à l'origine, ont été conçus avec cette idée que tout habitant pourrait toucher l'État en une demi-journée. Le département du futur est peut-être ce territoire de proximité dans lequel les gens ont envie de vivre. Dans nos enquêtes, nous avons constaté que 30 % de la population arrivait à déployer son mode de vie à moins de dix kilomètres, ce qui est très positif. A contrario, 70 % de la population ne se trouve pas dans cette configuration. En tout état de cause, « vivre en proximité » signifie vivre à moins de trente kilomètres. Par conséquent, la mobilité des grands espaces implique d'identifier ces espaces résilients.

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