Intervention de Jérôme Baratier directeur de l'agence d'urbanisme de l'agglomération de Tours

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 23 septembre 2020 à 14h00
Quel avenir pour les mobilités dans les espaces peu denses

Jérôme Baratier directeur de l'agence d'urbanisme de l'agglomération de Tours :

Je vais tenter de prendre au rebond les interpellations de Sylvie Landriève sur la densité. Pour vous dire d'où je parle, je vais présenter le point de vue de l'enseignant en urbanisme face à la nouvelle crise de la densité.

La densité est une valeur cardinale de l'urbanisme et de l'aménagement des territoires depuis plusieurs décennies. La loi Solidarité Renouvellement Urbain (SRU) date d'il y a vingt ans. Tout a été mis en oeuvre pour enrayer l'étalement urbain - ce qui n'a pas été bien réussi - et prôner le recyclage urbain, c'est-à-dire « la densification de la ville sur la ville ». Nos politiques de mobilité structurantes sont basées sur la densité, qui est centrale tout en n'ayant jamais eu bonne presse. La densité a toujours été contestée par les habitants eux-mêmes. Certains pourraient voir dans le résultat des dernières élections municipales dans les grandes villes une critique ou contre-discours sur la densification urbaine. Nous en étions là. Nous n'étions pas très à l'aise avec ce dogme que nous récitions depuis vingt ans sur la densité.

La crise de la Covid est apparue comme une « crise et châtiment » pour la densité. Non seulement la densité était mal aimée, mais elle est désormais accusée d'être le principal vecteur de transmission du virus. Or ce n'est pas tant la densité que la collectivité qui est en cause. Surtout, le sujet a donné lieu à toutes les mauvaises fois possibles. Nous sommes dans le procès d'intention sur la densité, qui est à tous les coups coupables. Nous sommes également dans « la revanche des villages ». J'évoquerais plutôt la revanche des campagnes, car la figure du village était déjà réhabilitée. Ainsi, Oberkampf est un village urbain en plein Paris. L'intensité du lien social de proximité y est extrêmement forte.

La revanche des campagnes ne devrait pas entraîner un discours anti-urbain. Nous sommes dans un moment d'ébranlement, alors que la doxa jusqu'ici en vigueur n'était pas toujours pertinente.

Une crise transforme les choses à trois conditions. La crise de 1929 a donné lieu à l'État providence, car ces trois conditions étaient réunies. Tel n'était en revanche pas le cas de la crise de 2008, qui n'a abouti à aucun changement. La première condition est le fait, pour la crise, d'avoir été précédée de troubles sociaux et de tensions croissantes. En deuxième lieu, il faut un apport massif de ressources pour surmonter la crise. La troisième condition est de rendre visibles des tensions sociales sous-jacentes.

Aujourd'hui, les trois conditions sont réunies pour que la crise de la Covid change les choses.

En termes de mobilité, cette crise nous invite à envisager la densité différemment. Plutôt que le nombre de personnes rapporté à la surface, il faut s'attacher à la densité d'usage et à la densité de lien social. La crise et le confinement nous ont démontré une capacité étonnante à déployer du capital social, en tous points du territoire. Peu de gens auraient parié sur ces solidarités horizontales qui se sont mises en place, à la marge ou en articulation avec les collectivités locales.

Si l'on considère que nos espaces peu denses ont ce capital social rapidement mobilisable, nous pouvons imaginer qu'il soit possible de fabriquer une sorte de coopérative pour la mobilité.

Cette coopérative de mobilités, d'un point de vue prospectif, a connu quelques exemples pendant le confinement. Certains déplacements ont été mutualisés, des objets et services se sont déplacés. Cela pose la question pour la puissance publique de ne plus être l'autorité organisatrice. Elle doit écouter le territoire et accompagner l'initiative. Finalement, la crise de la Covid et les agilités sociales qu'elle a révélées ou confortées implique de miser davantage sur le réseau que le bassin, de même que sur l'usage plutôt que sur une offre un peu monolithique.

La crise a également démontré qu'il était possible de faire bouger les choses. Les hôpitaux de campagne sont installés à proximité des territoires les plus touchés.

En conclusion, il faut cesser de faire de la densité la valeur cardinale de tout. Il convient d'abord d'en élargir le spectre des définitions. La densité n'est pas seulement un ratio, c'est également une intensité. De ce point de vue, les campagnes, les grands espaces ou espaces peu denses disposent d'atouts leur permettant de réinventer leur propre mobilité.

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