Intervention de Thierry Mallet

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 23 septembre 2020 à 14h00
Quel avenir pour les mobilités dans les espaces peu denses

Thierry Mallet, P-DG du groupe Transdev, président de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) :

Transdev est un groupe franco-allemand, nos deux actionnaires étant la Caisse des Dépôts ainsi et le groupe Rethmann. Nous sommes le deuxième opérateur ferroviaire en Allemagne, challenger de la Deutsche Bahn depuis vingt-cinq ans. Nous sommes également le troisième acteur des transports publics aux Pays-Bas. C'est pourquoi nous avons acquis des visions très complètes des situations dans plusieurs pays européens, dans lesquels la densité s'apprécie de manière différente.

Je commencerai mon propos par la présentation des conclusions d'une enquête que nous avons réalisée pour le compte de Régions de France, en partenariat avec Ipsos, sur la mobilité en France.

Les déplacements du quotidien sont bien vécus par les Français en général. La contrainte exprimée n'est pas celle du temps mais du budget, qui est en moyenne de 215 euros par mois et par Français, en grande partie lié à la voiture. 87 % des Français utilisent leur voiture en moyenne une fois par jour pour se déplacer. Ce chiffre passe à 97 % dans les zones péri-urbaines, peu denses ou rurales. Le transport public n'a été conçu que pour les zones denses, tandis que le reste de la France a été conçu pour la voiture. Il ne faut donc pas s'étonner des difficultés actuelles.

Les attentes des Français tiennent à la baisse du prix du carburant, ce qui est évident puisqu'il s'agit du coeur de leur problème. On pressent la difficulté de passer aux véhicules électriques, qui sont très onéreux pour les familles. Les alternatives à la voiture sont les transports publics, dont la gratuité n'est pas spécialement demandée, c'est la qualité de l'offre qui constitue la première attente des usagers. La problématique de la périphérie est par conséquent celle de l'offre de transports.

Aujourd'hui, les métropoles touchent le versement mobilité (VM) pour financer des solutions destinées en partie à des habitants qui n'habitent pas dans la métropole, mais y travaillent : cela correspond à environ un tiers du VM. Ce constat devrait inciter les métropoles à s'occuper de leur périphérie, qui crée de la valeur en venant travailler sur le territoire métropolitain. Nous ne résoudrons pas les problèmes de congestion dans la métropole si nous ne résolvons pas les attentes de la périphérie.

Le train est perçu comme une bonne alternative pour les longues distances, et beaucoup moins pour les trajets du quotidien. Ici encore, l'enjeu de qualité de service est prégnant et pour l'augmenter il faut augmenter la fréquence des trains en France. Le car est également une bonne initiative, à l'instar de l'expérience de la Gironde qui a mis en place des cars à très haut niveau de services. Il faut que toutes les autorités organisatrices s'attèlent à organiser la liaison entre les métropoles et la périphérie. Finalement, aucune solution ne sera pérenne sans collaboration entre les métropoles et les périphéries, en faisant en sorte que les AOM prennent part au débat, de même que les régions.

Le vélo a constitué la grande surprise de notre étude. Ce moyen de déplacement était déjà plébiscité avant la crise de la Covid. Pour autant, les infrastructures (pistes cyclables, places de parking à vélos sécurisées) doivent être présentes.

En revanche, aucune sensibilité n'a été exprimée pour le covoiturage et l'auto-partage. Ces possibilités sont tout à fait méconnues, de sorte qu'un travail d'éducation s'impose.

Je partagerai quelques exemples illustrant des initiatives de mobilité en zone peu dense.

Dans le sud-Avesnois, dans la région des Hauts-de-France, la mobilité a été orientée vers le retour à l'emploi. Nous avons travaillé avec des demandeurs d'emploi, en collaboration avec Pôle Emploi. Nous avons créé une maison de la Mobilité pour présenter les solutions existantes. Cette expérience est en train de devenir une vraie délégation de service public.

Le deuxième exemple permet de faire fonctionner des solutions de mobilité classique en zone peu dense. C'est l'exemple du parking de Briis-sous-Forge, situé sur le bord de l'autoroute près du péage de Saint-Arnoult. Les gens arrivent d'une dizaine de kilomètres de distance. Les voitures sont garées sur ce parking, d'où il est ensuite possible d'accéder à l'autoroute par un ascenseur. Là, un car dépose les passagers en vingt minutes à la gare routière de Massy. Ce car a été lancé il y a dix ans, et passe désormais toutes les cinq minutes chaque matin. Il s'agit par conséquent d'une vraie solution multimodale. Fort astucieusement, la déchèterie a été installée sur le parking, de sorte que celui-ci est gardienné par le personnel de la déchèterie.

Le troisième exemple, néerlandais, est celui des board buses, qui sont des bus de communauté. Leur nombre avoisine les deux-cents aux Pays-Bas. Pour des petites collectivités locales, l'opérateur, avec l'AOM, met à disposition un véhicule de neuf places pouvant être conduit par toute personne possédant un permis B. L'association qui prend en charge le véhicule, définit des lignes régulières à la demande de la ville. Une vingtaine de personnes interviennent sur les voitures, chacune conduisant pendant deux à trois heures par semaine, ce qui crée un vrai mouvement associatif. Le lien social est ainsi très fort, chapeauté par des élus qui souhaitent dynamiser le village. L'offre est associée aux transports publics. On retrouve beaucoup de retraités qui conduisent ces véhicules. Nous tentons d'exporter ce modèle en France, car nous pensons qu'il peut fonctionner à certains endroits.

J'évoquerai pour terminer le challenge de la transition énergétique. Nous sommes en train de faire bouger le curseur puisque la Commission européenne a fixé l'objectif d'une baisse de 50 % des émissions de gaz à effets de serre (GES) à horizon 2040. Il faut rappeler qu'un véhicule électrique, quand l'énergie est renouvelable ou décarbonée, représente la moitié de l'empreinte d'un véhicule diesel. Il en est de même pour un véhicule à hydrogène. La technologie permettra donc d'accomplir de grands progrès, mais il conviendra également de changer les comportements. La « dé-mobilité » est un terme qui me paraît quelque peu péjoratif. Je lui préfère celui de « proximité ». Par conséquent, indépendamment de la densité, il faut repositionner les services aux bons endroits.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion