Intervention de Éric Le Breton

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 23 septembre 2020 à 14h00
Quel avenir pour les mobilités dans les espaces peu denses

Éric Le Breton, sociologue, Université de Rennes 2 :

J'avais préparé une présentation de sociologue, c'est-à-dire centrée sur le présent mais hier soir, M. Jacquin m'a demandé de faire davantage de prospective. Je vais donc tenter l'exercice sur les mobilités en territoire peu dense à horizon 2050. Je traiterai la question en cinq points, dans un registre quelque peu différent de celui des autres intervenants, avec un regard plus global.

En premier lieu, il existe aujourd'hui un fossé considérable du point de vue de la mobilité entre les 15 plus grosses agglomérations françaises et le reste du territoire. En 2050, ce fossé se sera accentué sous l'effet de la globalisation économique, qui intensifiera la compétition entre les métropoles de niveau national, régional et global. Dans le cadre de cette compétition, les pouvoirs publics continueront d'équiper les espaces centraux de dispositifs de grande portée géographique, rapides, efficaces et très techniques. On doit s'attendre, sur ces territoires, à des innovations importantes. Sur ces territoires circuleront probablement, en 2050, des véhicules - faussement - autonomes.

Comme aujourd'hui, les territoires peu denses auront un niveau d'offre de mobilité nettement inférieur.

En deuxième lieu, la forme de la « région urbaine » s'imposera en 2050. Sur la carte de l'Insee de 2010 des navettes domicile-travail, il apparaît que déjà en 2010, tout le pourtour méditerranéen était unifié, sillonné par des mobilités quotidiennes, de même que l'agglomération Rhône-Alpes, l'agglomération du Nord et l'agglomération francilienne intégrant toute l'Île-de-France jusqu'à Rouen et Tours. Tels seront, de mon point de vue, les territoires de la mobilité en 2050.

En 2050, ces régions urbaines seront organisées autour de plusieurs bassins d'emploi et plus uniquement un seul. Ces territoires se structureront considérablement, pour être du « peu dense-dense ». Ce seront des paysages de campagne, avec une armature urbaine très diversifiée. Les gains démographiques du vrai rural, qui persistera, seront en revanche très modestes car l'emploi continuera d'y être rare. Je ne vois pour ma part aucun indicateur de dé-mobilité. Nous resterons sur la même tendance profonde, qui date d'il y a un siècle et demi. J'entends bien le sujet du télétravail, mais il n'implique pas l'immobilité. Les télétravailleurs sortent de chez eux, vont faire leurs courses, chercher leurs enfants... Les déplacements ne vont donc pas disparaître mais se transformer. De plus, l'immense majorité des télétravailleurs sont des hyper-mobiles.

En troisième lieu, les conflits autour de questions de mobilité vont s'amplifier. La mobilité sur les espaces peu denses va devenir un sujet politique, spécialement sur les territoires où la vie quotidienne sera de plus en plus dépendante de la mobilité. Les conflits vont émerger autour du développement durable local (et non plus dans les pays émergents). S'agissant des conditions de mobilité, les habitants vont commencer à réclamer de la qualité, de la sécurité, de la continuité de service. Probablement aussi, des populations spécifiques, par exemple les femmes ou les personnes en situation de handicap, vont formuler vigoureusement des demandes autour de la mobilité.

Le quatrième élément tient à l'accentuation nette des inégalités de mobilité entre espaces peu denses et denses. L'amplification des inégalités se déploiera sur trois plans. Le niveau des équipements accessibles à la personne ne sera pas le même : l'offre de services sera bien supérieure en métropole. Les apprentissages de la mobilité risquent d'être de plus en plus discriminants : alors que la mobilité s'apprend, de plus en plus de personnes resteront en marge. Enfin, le rôle des systèmes d'acteurs de la mobilité sera considérable dans les métropoles, et plus sommaire sur les territoires.

Sur toutes ces questions, la LOM a accompli un bond en avant en inscrivant le droit à la mobilité dans la loi, ainsi qu'un bond en arrière en transformant la mobilité inclusive en mobilité solidaire.

La gouvernance mobilitaire des territoires peu denses et des territoires denses sera un vrai sujet. J'espère qu'en 2050, la LOM aura été réformée car elle me semble en total décalage avec des évolutions sociétales fondamentales. Je pense que les AOM pourraient se déployer sur deux niveaux complémentaires et fortement articulés entre eux. Le premier niveau est celui de l'AO des bassins de mobilité, c'est-à-dire les autorités qui gèreront les grandes régions urbaines très complexes, dans lesquelles la population sera très nombreuse en 2050. L'organisation ressemblera dans toutes les régions à celle d'Île-de-France Mobilité, gérant de grands territoires dans la cohérence et dans une capacité à concevoir des déplacements à l'échelle que nous connaissons tous. Il faudra socialiser la voiture en transformant une contrainte individuelle en ressource collective. Le prix du carburant sera proportionnel au nombre d'occupants de la voiture.

Le second niveau est celui des AO ultra-locales. Les intercommunalités se préoccuperont de la vie quotidienne de leurs habitants, en mettant en place des bouquets multimodaux. Les financements pourront notamment intervenir grâce au partage du VM. Lorsqu'on pose le constat que les ménages ruraux et péri-urbains consacrent aujourd'hui 21 % de leur budget mensuel à la mobilité (d'après les statistiques de l'Insee de 2017), il est possible de puiser dans ce budget pour financer des services de bonne qualité.

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