Intervention de Bernard Jomier

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 29 octobre 2020 à 10h30
Audition de M. édouard Philippe ancien premier ministre

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, rapporteur :

Une remarque préalable : nous ne sommes guère satisfaits de ce qui s'est passé avec le rapport que vous avez commandé au général Lizurey. L'exécutif nous appelle à faire bloc, à travailler ensemble, nous pensons que c'est la bonne méthode, celle de l'union face au virus ; mais, dans le même temps, alors que le Président de la République a commandé un rapport au professeur Didier Pittet et qu'il nous en a communiqué la version provisoire, nous apprenons dans la presse que vous avez vous-même commandé un rapport au général Lizurey, sans nous en tenir du tout informés, ni de la commande ni du prérapport : il faut lire Le Canard enchaîné pour l'apprendre. On ne peut pas dire que cette façon de faire contribue au climat politique que le Président de la République appelle de ses voeux.

Je tiens, ensuite, à vous prier d'excuser le fait que nos questions puissent paraître, pour beaucoup, vérifier des hypothèses établies à partir d'opinions que nous nous serions faites ; c'est le cas, car nous en sommes à la fin de nos auditions, nous rendrons notre rapport dans quelques semaines et nos questions, donc, viseront à valider des hypothèses, des opinions que nous nous sommes forgées au cours de plusieurs mois d'auditions.

Une première question sur le calendrier, car nous comprenons mal la lenteur de la prise de décision avant le confinement. Vous faites référence au mois de février, j'ai donc regardé votre agenda public des deux premières semaines de ce mois. On y trouve de nombreuses réunions consacrées à la réforme des retraites, beaucoup moins à la question de l'épidémie qui arrive : quel est votre sentiment sur cette répartition de votre emploi du temps ? Lors de son audition, celle qui était la porte-parole de votre gouvernement a dit le temps qu'il avait fallu pour placer l'épidémie au centre de l'agenda et sortir des dossiers politiques qui y étaient alors : qu'en pensez-vous ?

Une deuxième question, sur la place de l'expertise en santé publique dans la prise de décision, sur votre propre positionnement, comme Premier ministre, par rapport à cette expertise. Devant l'Assemblée nationale, vous avez dit, avec beaucoup d'humilité, que vous ne saviez pas. Personne ne vous fera reproche de ne pas être spécialiste de santé publique. Vous avez dit que, le 28 février, on ne déplorait que deux morts dans notre pays - sous-entendu qu'il était difficile de savoir que le phénomène serait important. Vous dites aussi que vous ne savez pas si les masques suffisent à endiguer l'épidémie et que, plus généralement, nous ne savions pas bien ce qu'il en était. Or, bien des éléments ont été anticipés : tous les experts savaient que, face à une épidémie, face au risque de transmission d'un virus potentiellement mortel, le port de masque était utile ; du reste, c'est la raison pour laquelle l'État entretenait un stock important de masques - ce que vous ne dites pas, c'est que ce stock était de 700 millions de masques jusqu'en octobre 2018, date à partir de laquelle le Gouvernement a brutalement décidé de ne pas le renouveler à ce niveau. Nous comprenons bien que vous n'ayez pu tout régler dès le mois de février, mais nous constatons aussi que la première commande significative n'intervient qu'autour du 20 février, donc très tardivement. Nous savons que le Premier ministre n'a pas le don de tout savoir, mais dès lors qu'on savait l'importance des masques, il est très étonnant que la décision n'ait pas été prise plus tôt : qu'est-ce qui n'a pas marché dans les liens entre l'expertise de santé publique et la décision ? Nous ne voulons pas réécrire l'histoire, même Agnès Buzyn, qui a eu une intuition assez tôt, n'a pas eu de certitude avant le 20 janvier - c'est assez tôt, cela aurait permis une décision plus précoce. On peut donc se demander pourquoi, eu égard à ce que l'on savait sur l'importance des masques en cas d'épidémie, la décision n'a pas été plus précoce.

Enfin, une question sur l'État central. Lorsque nous l'avons interrogé sur les problèmes d'organisation dans l'État central, le ministre de la santé Olivier Véran a écarté toute défaillance, tout problème un peu sérieux. Or, le prérapport du professeur Didier Pittet au président de la République ne mâche pas ses mots : il parle de « défauts manifestes d'anticipation, de préparation et de gestion » ; il écrit que « la crise a révélé des faiblesses structurelles dans la gouvernance (...), un déploiement heurté du processus de gestion de crise (...), une organisation complexe des relations entre le ministère de la santé et les agences et instances qui l'entourent ».

Ce rapport souligne un sentiment largement partagé, celui d'un empilement des structures, des agences. Pour justifier la création du conseil scientifique, vous avez dit que le Président de la République tenait à recueillir l'expertise bien au-delà des seuls épidémiologistes ; or, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a déjà une assise large, plus large d'ailleurs que celle du conseil scientifique. Quand l'État dispose déjà d'instances, mais qu'il en crée de nouvelles quand une crise survient, n'est-ce pas le symptôme d'un problème d'organisation ? Qu'en pensez-vous ? La crise que nous traversons n'est-elle pas l'occasion de reconsidérer notre organisation ? Nous avons auditionné des représentants de pays d'Asie, ils nous ont dit que la crise du Sras qui les a touchés en 2003, a été suivie de modifications en profondeur dans leur organisation. Pensez-vous, donc, que notre État a fait face et qu'il n'y a pas grand-chose à changer, ou bien avons-nous de quoi faire en la matière ?

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