Le texte pose aussi des problèmes de fond. Le terme même de « restitution » comporte un biais idéologique qui fausse l'histoire. Comme l'a rappelé M. Ouzoulias en parlant de l'art contemporain, ce sont nos avant-gardes qui ont érigé en oeuvres artistiques ces objets, auxquels on ne reconnaissait aucune valeur artistique auparavant. Ce sont nos artistes, nos critiques d'art, nos collectionneurs qui ont conféré à ces objets un statut particulier, reconnu mondialement. Attention aux lectures orientées de l'histoire : ces restitutions, on le sait, sont instrumentalisées par des mouvements indigénistes.
Je déplore aussi la méconnaissance des principes d'inaliénabilité, d'insaisissabilité et d'imprescriptibilité. Je n'évoquerai pas non plus les problèmes diplomatiques que ces « restitutions » commencent à poser dans le monde, à l'égard de la France. Cette loi, en passant outre le caractère inaliénable, ouvre une liste, dont on ne sait pas où elle s'arrêtera. En plus, lancer ce mouvement avec le sabre d'un conquérant jihadiste de l'époque, qui faisait peu de cas des principes dont nous parlons aujourd'hui, est faire preuve de méconnaissance de l'histoire.
Le texte porte atteinte aussi à la dimension universelle des oeuvres d'art. Réduire les objets d'art à leur culture d'origine revient à les amputer de leur dimension universelle. Je conçois tout à fait que les demandes de certains pays puissent être fondées ; je pense toutefois que nous aurions pu trouver des réponses qui permettent de ne pas renoncer à nos principes. Cette loi crée un précédent, alors qu'il aurait été possible de trouver d'autres solutions : des prêts de long terme, des partenariats avec des musées, etc. Un partisan de ce texte affirme que le président Chirac avait été un précurseur : de qui se moque-t-on ? Qui peut dire que le président Jacques Chirac était favorable aux restitutions, alors qu'il n'a jamais, comme d'ailleurs ses successeurs jusqu'ici, voulu faire droit à ces demandes ? Le musée du Quai Branly participe au rayonnement de toutes ces cultures qui ont longtemps été minoritaires, oubliées, et leur confère une dimension très particulière. Nous voterons le texte tel qu'il est amendé, mais nous serons très vigilants par la suite, notamment en commission mixte paritaire.