Intervention de Pierre Ouzoulias

Réunion du 28 octobre 2020 à 21h30
Programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 — Article 6

Photo de Pierre OuzouliasPierre Ouzoulias :

Au titre des missions que j’ai conduites pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), j’ai interrogé à plusieurs reprises des collègues américains, biologistes, qui avaient choisi d’être recrutés par le CNRS. S’ils ont fait ce choix, ce n’est pas pour le salaire, qui est bien inférieur à celui qu’ils auraient pu toucher aux États-Unis, ni même pour l’environnement, qui est absolument catastrophique.

Pourquoi donc, leur ai-je demandé, étaient-ils venus en France, et pourquoi avaient-ils postulé aux concours de la fonction publique ? Ils m’ont répondu très simplement : pour la liberté – la liberté de faire sa recherche selon son rythme, la liberté de ne pas être soumis à la logique incessante de la poursuite des contrats. Cette liberté, m’ont-ils dit, c’est ce qui leur permet de prendre des risques scientifiques et de faire aboutir des recherches qui constituent des avancées majeures. Pour arriver à de tels résultats, il faut aussi, de temps en temps, une recherche « inutile », comme le disait le professeur Serge Haroche.

Ce que doit offrir la recherche française, à défaut de rémunérations et d’équipements à la hauteur de ce à quoi pourraient prétendre les chercheurs que nous embauchons – elle n’en a pas les moyens –, c’est cette liberté que donne encore la fonction publique, au contraire du modèle anglo-saxon que vous décriviez, madame la ministre : celle d’un cadre protecteur garantissant une recherche de qualité.

Ce que l’on est en train de créer, c’est une forme de sous-prolétariat de la recherche. C’est à la fois le statut du chercheur et le statut de la science qu’on attaque. Faites attention ! Le jour où le chercheur sera traité comme un employé de votre garagiste, c’est la reconnaissance de la valeur même de la science qui sera compromise.

Par ailleurs, je remarque que cette disposition est contraire à la directive européenne du Conseil du 28 juin 1999, dont la clause 5 demande aux États membres de définir « la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ».

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