Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec émotion que je tiens, à mon tour, à rendre hommage aux soldats tombés depuis huit ans en Afghanistan. J’ai une pensée pour tous, mais, chacun le comprendra, une pensée particulière pour ce jeune Ariégeois que j’ai accompagné une dernière fois dans ses montagnes natales.
Je me dois également de saluer l’ensemble de nos forces armées présentes en Afghanistan, où elles accomplissent leur mission avec courage et dévouement, dans des circonstances souvent difficiles.
Je mesure, moi aussi, le poids considérable de notre responsabilité : le sort, c’est-à-dire la vie, de nos soldats est en jeu. Notre passage récent, avec la délégation sénatoriale, sur les théâtres d’opérations nous a fait mesurer les difficultés et les dures conditions auxquelles nos soldats sont confrontés, face à des adversaires déterminés évoluant sur leur terrain naturel. Le danger est partout et il ne cesse de s’accroître.
Qui peut s’étonner que nous ayons voulu ce débat ? Chacun doit pouvoir être précisément informé de la nature des missions confiées à nos soldats ainsi que de notre stratégie !
Force est de constater que la perplexité domine. Je crois pouvoir dire que tel fut le sentiment de l’ensemble de la délégation sénatoriale conduite par le président Gérard Larcher, dans laquelle les groupes politiques étaient représentés. Beaucoup de doutes et d’interrogations portent sur les objectifs, la sécurisation du territoire, l’éradication du terrorisme, la construction d’un État de droit, l’aide au développement...
N’est-il pas légitime dans notre fonctionnement démocratique de se poser des questions essentielles : faut-il poursuivre l’effort engagé ? Faut-il le réorienter ou bien tout simplement l’arrêter ?
Pour évacuer les fausses interprétations, je dirai que, au regard non seulement de ce que nous avons vu sur place, mais aussi de l’idée que l’on se fait de notre pays, des engagements internationaux et peut-être surtout de ce que les femmes et les hommes, en Afghanistan, dans leur grande majorité, attendent de nous, un désengagement immédiat et unilatéral n’a aucun sens.
Par contre, la question du retrait est posée, et pas seulement pour la France. Comment ne le serait-elle pas après une élection présidentielle décevante et au moment où une seconde révision stratégique américaine est en préparation, même si l’on tarde à l’expliciter.
Nous avons senti cet embarras lorsque nous avons rencontré le général McChrystal lui-même.
On se souvient du Vietnam ; il peut y avoir des tactiques opérationnelles en contradiction avec la stratégie globale affichée. Nous avons tous dit que la victoire ne se mesurait pas au nombre de talibans tués, car ils seraient vite remplacés, mais à une progression de notre crédibilité auprès des populations concernées.
Face aux pressions constantes des responsables de l’OTAN pour obtenir des renforts militaires, la position française n’est pas claire. Elle apparaît comme attentiste et peut-être aussi, permettez-moi de le dire, comme opaque.
Au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, l’envoi de troupes en Afghanistan a été décidé conjointement par le Président de la République, Jacques Chirac, et par le gouvernement de Lionel Jospin afin de poursuivre des objectifs légitimes de sécurité collective, conformes aux intérêts de la France et inscrits dans le cadre d’un mandat de l’ONU.
Au-delà de la lutte contre le terrorisme, l’intervention de la France au sein de la coalition visait à conforter un régime démocratique en Afghanistan, à soutenir le développement et l’amélioration des conditions de vie des habitants. Ces objectifs ne nous alignaient pas derrière les États-Unis sur la seule lutte contre les talibans, souvent au détriment des populations civiles, qui perçoivent de plus en plus les forces de la coalition comme des troupes d’occupation.
Malheureusement, le nombre de soldats de la force internationale morts au combat ne cesse de s’accroître, ainsi que celui des victimes civiles, dans des attentats, comme du fait des bombardements de la coalition internationale.
Nous ne devons pas glisser vers une guerre d’occupation qui n’aurait plus de limites de temps et d’objectifs.
L’élection présidentielle afghane, marquée par la confusion, l’insécurité, la fraude et la corruption du régime n’a apporté aucune réponse à la crise dans laquelle est plongé le pays.
Cette situation pose la question des objectifs de l’intervention internationale, de la stratégie et des méthodes utilisées, des conditions de participation de la France et des pays de l’Union européenne, du calendrier et du terme fixé pour cette intervention.
Nous l’avons bien senti dans nos discussions avec le Président Karzaï et avec son concurrent, Abdullah Abdullah, la corruption et le trafic de drogue restent un véritable cancer dans la société afghane.
Le problème politique crucial est la « gouvernance » ; le vide politico-administratif génère de l’insécurité et favorise l’action aussi bien des talibans que des seigneurs de guerre locaux.