On aura beau former une armée afghane nombreuse, celle-ci ne se battra pas pour soutenir un régime corrompu, inefficace et impopulaire.
L’efficacité de l’aide internationale « civile » dépend aussi de ce facteur.
Après huit ans sur place, les conditions de notre présence doivent être profondément réexaminées, les objectifs clarifiés et des perspectives fixées.
Même aux États-Unis on en arrive à reconnaître la nécessité d’une remise en cause et d’un débat public devant le Congrès sur la définition d’une « nouvelle stratégie ».
Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, les parlements s’emparent constamment de la question du déroulement et des résultats de l’intervention. Pourquoi le Parlement français constituerait-il une exception ? Je rappelle que le dernier débat avec vote sur la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan a eu lieu au Parlement en septembre 2008. Cela commence à dater !
L’urgente nécessité d’une redéfinition stratégique saute aux yeux.
La position actuelle du Gouvernement sur l’Afghanistan consiste en un « ni-ni » dont le fondement stratégique n’est, en réalité, pas défini : ni nouvelle augmentation de troupes ni retrait. Le transfert de l’ensemble du dispositif français de Kaboul vers le commandement régional Est et l’offensive menée en ce moment même n’apportent pas forcément la lisibilité qui serait nécessaire.
Nous souhaitons une clarification des objectifs de l’intervention, une explication de la méthode et une définition, en lien avec les partenaires européens de la France dans la coalition internationale, d’une stratégie et d’un processus de sortie progressive d’Afghanistan.
Notre critique, raisonnée et raisonnable, part d’un constat : la stratégie employée a échoué et, chemin faisant, nous avons perdu de vue les buts de la guerre et peut-être égaré les objectifs politiques de l’intervention.
Les forces françaises, qui se battent avec courage et abnégation, doivent avoir confiance et savoir qu’elles obéissent à une vision claire, bien définie dans l’espace et dans le temps et démocratiquement acceptée par la représentation nationale.
La France, pas plus que la communauté internationale, n’a vocation à rester en Afghanistan : elle y est présente permettre à l’État afghan d’assurer lui-même, au plus tôt, la sécurité et la stabilité. Notre objectif central doit donc être l’accroissement et l’amélioration des forces de sécurité afghanes, leur formation, leur équipement, leur montée en puissance et l’établissement d’un État afghan légitime et stable.
Or les moyens actuellement mis en œuvre pour former les forces armées locales sont insuffisants et les méthodes utilisées à cette fin manquent d’efficacité. On peut en convenir quand on sait que l’effort militaire américain est d’un milliard de dollars par semaine, qu’un soldat américain en Afghanistan coûte environ un million de dollars par an, alors qu’un militaire ou un policier afghan est payé 75 dollars par mois.
Nous savons aussi que, sans le soutien de la population, la sécurisation du territoire est impossible. À ce titre, une révision des modalités d’action sur le terrain et la protection des populations doivent être les axes prioritaires.
La France doit sortir du « tout-militaire » en Afghanistan. La stabilisation de la situation du pays et le soutien des populations passent par le renforcement de l’aide civile consacrée au développement, aux infrastructures publiques, à la scolarisation, à la santé, qui représente aujourd’hui moins de 10 % de la dépense militaire.
J’aurais voulu faire des propositions, monsieur le président, mais le temps qui m’est imparti est largement dépassé. Aussi me bornerai-je, messieurs les ministres, mes chers collègues, à vous donner mon sentiment à l’issue de ce bref séjour en Afghanistan.
Je retiendrai deux moments. D’abord, le silence lourd et pesant à bord de l’avion militaire qui nous amenait à Kaboul en même temps que 250 soldats français, silence pesant alors que nous atterrissions, révélateur non pas de peur, mais de gravité et d’incertitude. Ensuite, l’appel à la France, à la France en particulier, parce que beaucoup d’Afghans lui reconnaissent une capacité propre à la fois pour sécuriser le territoire, mais aussi pour être auprès des populations, aider à construire un État de droit, une justice, des écoles, une administration fiable.
Mes chers collègues, puisse ce débat y contribuer ! Notre devoir, notre réussite sont à ce prix : à nous de ne pas décevoir.