Intervention de Julien Denormandie

Réunion du 27 octobre 2020 à 14h30
Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Julien Denormandie :

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pensez bien que, si une alternative sérieuse était sur la table, je ne serais pas devant vous cet après-midi, malgré tout le plaisir que j’ai à m’exprimer devant la Haute Assemblée. Je ne serais pas en train d’invoquer devant vous l’article 53 du règlement européen, qui permet des dérogations « en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ». D’ailleurs, dans cette hypothèse, le texte même n’aurait plus de sens dans son principe.

Le présent projet de loi s’inscrit dans la perspective d’un plan plus global.

D’abord, nous voulons accélérer la recherche d’alternatives. Nous mobiliserons ainsi 7 millions d’euros en faveur des programmes de recherche, publics ou privés, qu’il s’agisse de recherche variétale, du biocontrôle, des auxiliaires – je les ai évoqués –, des pratiques agronomiques ou de la taille des parcelles. Nous maintiendrons, je vous l’assure, la pression sur l’ensemble des acteurs, afin d’avancer.

Ensuite, nous proposons la mise en place d’un conseil de surveillance avec des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, afin de pouvoir s’assurer du suivi en toute transparence de l’ensemble des dispositifs.

Enfin, pour limiter au maximum l’effet environnemental, je souhaite restreindre les dérogations à la seule betterave sucrière, et ce pour deux raisons.

Premièrement, la betterave sucrière n’entre pas en floraison avant la récolte. Ce faisant, son effet sur les pollinisateurs, même s’il existe, est moindre que celui d’autres cultures.

Deuxièmement, la betterave est dépendante en aval d’un système de production et de transformation : celui des sucreries. Si ces dernières ferment, toute la filière tombe en l’espace d’un an à deux ans. La politique de souveraineté agroalimentaire que je défends vise à permettre de faire la transition agroécologique avec la filière française. Pour moi, c’est indispensable.

Nous proposerons un plan Pollinisateurs d’ici à la fin de l’année, afin d’accompagner le plus possible l’apiculture, notamment sur une question ô combien difficile. Les abeilles ont, nous le savons, beaucoup de difficultés à se nourrir entre le printemps et le début d’été. Nous devons apporter des réponses agronomiques concrètes à ce problème.

Je sais que d’autres filières sont en difficulté ; M. Bonhomme a par exemple évoqué la noisette. Mais je souhaite limiter les dérogations à la betterave sucrière, pour les raisons que j’ai exposées précédemment : son moindre effet environnemental sur les pollinisateurs et sa dépendance à l’égard d’un système économique qui peut disparaître en un an. Il faut évidemment accompagner les autres secteurs, et je prends l’engagement de le faire, mais par d’autres moyens.

Ayant consulté de multiples études juridiques, j’ai la conviction que nous pouvons justifier de la singularité de la filière betteravière sucrière, y compris au regard du principe d’égalité si cher au Conseil constitutionnel, du fait des deux spécificités que j’ai rappelées.

Je tiens à saluer les travaux du Sénat sur ce texte. Je pense en particulier à la commission des affaires économiques, saisie au fond, et à la commission du développement durable, saisie pour avis. Vous avez adopté trois amendements, sur l’élargissement du conseil de surveillance, sur l’encadrement du délai dans lequel celui-ci doit rendre son avis et sur l’avancée de l’entrée en vigueur de la loi au 15 décembre, qui viennent compléter utilement, me semble-t-il, le dispositif.

Ce texte est effectivement difficile. Loin d’opposer écologie et économie, il vise à garder la souveraineté de notre agriculture et de notre système agroalimentaire. C’est trop facile de dire : « Il n’y a qu’à… » La réalité est que, si des sucreries ferment, s’il n’y a plus de betterave sucrière dans nos champs, c’est, au-delà même des 46 000 emplois, toute une filière d’excellence ayant forgé l’identité de beaucoup de nos territoires qui peut disparaître du jour au lendemain.

En politique, le courage, c’est d’affronter le temps. Le temps en agronomie n’est pas forcément le même que le temps en politique. Mais c’est justement, j’en suis convaincu, toute la force de la Haute Assemblée que de se dire qu’il faut affronter le temps.

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