Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 octobre 2020 à 11h30
Audition en commun avec la commission de la culture de l'éducation et de la communication de Mm. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports et gérald darmanin ministre de l'intérieur à la suite de l'assassinat de samuel paty

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports :

Je vous remercie de cette invitation. Depuis le début, Gérald Darmanin et moi-même sommes évidemment en coordination pour répondre à toutes les questions importantes qui se posent, que ce soit sur l'affaire elle-même ou sur les enjeux auxquels elle renvoie.

Je veux évidemment redire devant vous l'émotion qui est la mienne et qui est celle de toute l'éducation nationale. Il y aura sans aucun doute un avant et un après pour celle-ci, mais aussi, me semble-t-il, pour la France. Je parle non pas des nouvelles règles qui seront forcément nécessaires, mais de l'état d'esprit général de la Nation, de l'éducation nationale, des parents d'élèves et du pays tout entier.

Ma disposition d'esprit est de ne laisser passer aucune compromission avec le radicalisme islamiste. Je n'en laissais déjà passer aucune, mais force est pour moi de constater une forme de complicité indirecte, intellectuelle ou mentale, avec ce qui s'est passé. Je crois que chaque citoyen doit partager cet état d'esprit, parce que c'est ce qui peut empêcher les attentats.

À mes yeux, le crime immonde dont Samuel Paty a été victime n'a pas été seulement commis par celui qui l'a accompli physiquement. Il est évident pour tous aujourd'hui qu'il y a autour de l'assassin un cercle formé de tous ceux qui portent cette pensée radicale, et même qu'il y a, autour de ce cercle, un deuxième cercle, formé de ceux qui ont de la complaisance à son égard et qui en font le lit. Pour que nous soyons pleinement efficaces, la disposition d'esprit, qui est la mienne depuis que j'ai pris mes fonctions il y a trois ans et demi, doit être partagée le plus possible dans la population.

Chronologiquement, il y a clairement, du point de vue de l'éducation nationale, deux temps dans l'affaire.

Le premier temps est le cours de M. Paty, qui se déroule sur deux jours. Bien sûr, l'enquête judiciaire, mais aussi le rapport des inspections générales, que j'ai mandatées et qui ont rencontré l'ensemble des interlocuteurs - leur rapport devrait m'être remis en début de semaine prochaine -, permettront de disposer d'éléments plus précis.

Ce cours, très préparé dès cet été - il a été dit que M. Paty était un professeur particulièrement consciencieux -, porte sur la liberté d'expression. À cette occasion, il montre une caricature de Mahomet, qui va assez loin, afin probablement d'expliquer qu'il faut dépasser le choc que peut susciter en nous une caricature. Surgit d'abord une première affaire, laquelle se traduit par une forme de désaccord avec des parents d'élèves qui demandent à rencontrer la principale du collège. Je tiens à dire que celle-ci a eu l'attitude qui convenait, en soutenant le professeur et en discutant avec les parents.

D'après les éléments dont nous disposons, il semble que, après cet incident, M. Paty ait engagé la discussion avec les parents d'élèves. Cette discussion s'est déroulée de manière calme et tranquille. Le problème a donc pu être réglé par la simple discussion, ce qui doit être une modalité normale de résolution des difficultés, sans renoncer à rien. L'existence d'un malentendu a peut-être amené M. Paty à dire qu'il en était désolé, mais l'institution n'a en aucun cas déclaré que celui-ci aurait eu un tort. Dès ce moment, la principale de collège a agi conformément à ce que j'ai demandé depuis que je suis en responsabilité : elle contacte les équipes Valeurs de la République du rectorat de Versailles. Elle le fait au moment où débute la seconde affaire, qui vient en quelque sorte se greffer sur la première. Même s'il était prématuré de parler trop hâtivement, on comprend aujourd'hui que les acteurs pluriels de cet assassinat ont, en réalité, « cherché une affaire ».

Il se trouve que, malheureusement, une jeune fille de cette classe, qui, du reste, était absente lors de la seconde séance, a parlé du cours à son père. Ce dernier, musulman extrémiste qui a été interpellé depuis, a cherché à faire un scandale. La principale, de bonne foi, l'accueille. Le père vient accompagné de M. Sefrioui, que la principale ne connaît pas et qu'il présente comme un ami de la famille. La principale voit bien, une fois qu'elle les reçoit, que ses interlocuteurs sont des personnes radicales, avec lesquelles il sera très difficile de s'entendre. C'est ce qui justifie son appel aux équipes Valeurs de la République et la protection au professeur, qui, en aucun cas, n'est désavoué. Au contraire, il est soutenu par l'institution. Tout cela se passe à la fin de la semaine précédant l'attentat.

Pour vous donner une illustration du soutien de l'institution, le samedi précédant l'attentat, l'inspecteur d'académie adjoint a téléphoné au domicile du professeur pour discuter de ce qui se passait. La conversation s'est déroulée dans une ambiance très apaisée. Bien entendu, à ce moment, aucun des deux n'imagine qu'il puisse y avoir une menace de mort.

La famille qui s'est immiscée dans l'affaire avec l'intention de créer un scandale décide de porter plainte pour ce qui se serait passé lors du cours - il faudra d'ailleurs voir qui a inspiré cette idée à la famille. C'est évidemment scandaleux. Dès lors, le professeur a droit à la protection, et, le mardi suivant, la principale du collège, elle-même suivie par l'inspecteur d'académie, qui prête attention à cette affaire, accompagne le professeur pour porter plainte pour diffamation.

De fait, il y a eu diffamation, au travers notamment des vidéos, mensongères à plusieurs titres et visant à créer le scandale, tournées par le père de la jeune fille. À ce moment, l'entente entre la principale, l'inspecteur d'académie et le professeur est parfaite, selon les éléments actuellement à ma connaissance. Ils partagent la même vision du problème, espèrent que celui-ci sera résolu et portent plainte pour diffamation. Le mardi, l'affaire semble en rester là. Dès lors, plus rien de notable du point de vue de l'éducation nationale ne se passe jusqu'au vendredi, 17 heures. Telle est la chronologie des faits.

Si nous voulons progresser et créer une cohésion nationale, je pense que nous devons éviter certaines facilités. Or, dès que de tels événements ont lieu, on dit que l'éducation nationale ne veut pas faire de vagues. Dès que je suis arrivé au ministère, j'ai déclaré qu'il fallait en finir avec cette mentalité. Je n'ai jamais dit que, du jour au lendemain, cette mentalité disparaîtrait partout en France - malheureusement, je ne peux toujours pas le dire aujourd'hui, malgré le combat que je mène. Cependant, soyons équitables : depuis trois ans, le phénomène a beaucoup régressé, ne serait-ce que parce que le propos de l'institution sur le sujet est clair.

Si la consigne avait été de ne pas faire de vagues dans cette affaire, je le dirais et je me désolidariserais des protagonistes, mais cela n'a pas été le cas. La principale du collège a immédiatement apporté son soutien à M. Paty. Ayons aussi une pensée aujourd'hui pour les acteurs de l'affaire, calomniés sur les réseaux sociaux et victimes de désinformation, parfois colportée par certains organes de presse.

Par exemple, contrairement à ce qu'affirme le père dans la vidéo, il est totalement faux que l'inspection d'académie s'apprêtait à sévir. Il est tout de même fou que toute une série d'acteurs de notre débat public, même si c'est probablement de bonne foi, n'aient pas résisté à la tentation de s'emparer de cette vidéo pour montrer d'un doigt accusateur tel ou tel intermédiaire hiérarchique.

Il est de mon devoir de protéger chaque professeur, mais aussi la principale, l'inspecteur d'académie et la rectrice, dès lors que, selon les nombreux éléments dont je dispose, tous ont agi conformément aux dispositifs. Si des éléments me prouvaient autre chose, je le reconnaîtrais auprès de vous.

Je suis évidemment à votre disposition pour répondre, aujourd'hui comme à l'avenir, à vos interrogations. Je suis ouvert à toutes les réflexions que ces événements pourraient vous inspirer.

À mes yeux, la première des réponses doit être la mobilisation de la société, mais il peut aussi y avoir des réponses juridiques, techniques. Nous en avons déjà développé un certain nombre. J'ai demandé au Conseil des sages de la laïcité de l'éducation nationale de siéger en permanence, de manière qu'il puisse recevoir tous les acteurs institutionnels concernés, recueillir l'ensemble des éléments et préparer la rentrée du 2 novembre prochain, mais aussi pour essayer, par toutes les dispositions appropriées, de créer le plus vaste consensus dans notre pays. Nous en avons besoin.

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