Messieurs les ministres, mes chers collègues, Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et moi-même avons pris l'initiative de demander à M. Darmanin, ministre de l'intérieur, et à M. Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de venir ensemble devant nous ce matin, compte tenu des événements qui se sont déroulés à la fin de la semaine dernière.
Je rappelle que Samuel Paty, professeur de collège, a été assassiné, dans les conditions que nous connaissons, parce qu'il avait pris le parti d'enseigner à ses élèves les valeurs de la République.
Naturellement, nous ne pourrons pas obtenir d'informations précises sur les faits qui font l'objet de l'enquête en cours, mais nous sommes tous soucieux des mesures qui ont été ou qui pourront être prises par le Gouvernement. Je pense notamment aux expulsions individuelles, aux visites domiciliaires, aux dissolutions de structures... Il nous a paru utile que nous puissions en débattre avec les membres du Gouvernement.
Je vais laisser la parole à Laurent Lafon, puis nous vous laisserons vous exprimer, messieurs les ministres, pendant dix minutes chacun. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs. Afin de donner un caractère dynamique à nos débats, nous laisserons les sénateurs vous interroger par groupe de quatre - deux membres de la commission des lois et deux de la commission de la culture.
J'indique que nous sommes tenus de libérer l'hémicycle à 13 heures.
Messieurs les ministres, monsieur le président, mes chers collègues, c'est un événement particulièrement dramatique qui réunit la commission des lois et la commission de la culture, de l'éducation et de la communication pour cette audition commune exceptionnelle.
La mort de Samuel Paty vendredi dernier a créé une onde de choc dans tout le pays. Permettez-moi tout d'abord, au nom de la commission de la culture du Sénat, d'avoir une pensée pour sa famille et ses proches, mais aussi pour ses collègues et ses élèves. Je pense également à toute la communauté éducative, aux enseignants, ces « jardiniers en intelligence humaine », comme les appelle Victor Hugo, qui, chaque jour, exercent leur métier avec passion, participent à l'épanouissement de nos enfants et à leur apprentissage de la citoyenneté.
À travers ce crime horrible, c'est l'école de la République qui est frappée. Le symbole est fort. En effet, l'apprentissage du vivre ensemble et de nos valeurs républicaines, la formation des citoyens en devenir font partie des missions confiées à notre école. L'élément déclencheur de cet acte ignoble, un cours sur la liberté d'expression, est également emblématique. Depuis toujours, notre commission défend l'éducation aux médias et le développement par l'école d'un esprit critique chez les enfants et chez les adolescents. Aussi, soyez assuré, monsieur le ministre de l'éducation nationale, de notre soutien pour protéger l'école et lui permettre de remplir les missions que lui a confiées la Nation.
Cet attentat suscite, bien entendu, de nombreuses questions en matière de sécurité et d'éducation. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité, avec François-Noël Buffet, président de la commission des lois, organiser cette audition commune. Je vous remercie, messieurs les ministres, d'avoir accepté ce format inédit. Vous aurez l'occasion d'ici quelques instants de vous exprimer sur cet événement dramatique, dont la portée symbolique n'a échappé à personne.
Vous pourrez sans doute nous éclairer sur plusieurs points, qui, en tant que parlementaires, nous interrogent ou nous interpellent. Comment sont et seront accompagnés les enseignants et plus généralement les personnels éducatifs victimes d'intimidations, de menaces ou d'agressions ? Quel est aujourd'hui le degré d'autocensure dont font preuve nos enseignants dans les cours qu'ils donnent, et quelles mesures ont été prises ou envisagez-vous de prendre pour limiter ce phénomène grandissant dans les établissements scolaires ? Surtout, comment rassurer les enseignants et faire en sorte qu'ils ne se sentent pas seuls face aux pressions dont ils sont désormais l'objet sur les contenus de leur cours, de la part tant des élèves que de certains parents d'élèves ? Nous attendons vos réponses sur ces questions complexes et douloureuses.
Je vous remercie de cette invitation. Depuis le début, Gérald Darmanin et moi-même sommes évidemment en coordination pour répondre à toutes les questions importantes qui se posent, que ce soit sur l'affaire elle-même ou sur les enjeux auxquels elle renvoie.
Je veux évidemment redire devant vous l'émotion qui est la mienne et qui est celle de toute l'éducation nationale. Il y aura sans aucun doute un avant et un après pour celle-ci, mais aussi, me semble-t-il, pour la France. Je parle non pas des nouvelles règles qui seront forcément nécessaires, mais de l'état d'esprit général de la Nation, de l'éducation nationale, des parents d'élèves et du pays tout entier.
Ma disposition d'esprit est de ne laisser passer aucune compromission avec le radicalisme islamiste. Je n'en laissais déjà passer aucune, mais force est pour moi de constater une forme de complicité indirecte, intellectuelle ou mentale, avec ce qui s'est passé. Je crois que chaque citoyen doit partager cet état d'esprit, parce que c'est ce qui peut empêcher les attentats.
À mes yeux, le crime immonde dont Samuel Paty a été victime n'a pas été seulement commis par celui qui l'a accompli physiquement. Il est évident pour tous aujourd'hui qu'il y a autour de l'assassin un cercle formé de tous ceux qui portent cette pensée radicale, et même qu'il y a, autour de ce cercle, un deuxième cercle, formé de ceux qui ont de la complaisance à son égard et qui en font le lit. Pour que nous soyons pleinement efficaces, la disposition d'esprit, qui est la mienne depuis que j'ai pris mes fonctions il y a trois ans et demi, doit être partagée le plus possible dans la population.
Chronologiquement, il y a clairement, du point de vue de l'éducation nationale, deux temps dans l'affaire.
Le premier temps est le cours de M. Paty, qui se déroule sur deux jours. Bien sûr, l'enquête judiciaire, mais aussi le rapport des inspections générales, que j'ai mandatées et qui ont rencontré l'ensemble des interlocuteurs - leur rapport devrait m'être remis en début de semaine prochaine -, permettront de disposer d'éléments plus précis.
Ce cours, très préparé dès cet été - il a été dit que M. Paty était un professeur particulièrement consciencieux -, porte sur la liberté d'expression. À cette occasion, il montre une caricature de Mahomet, qui va assez loin, afin probablement d'expliquer qu'il faut dépasser le choc que peut susciter en nous une caricature. Surgit d'abord une première affaire, laquelle se traduit par une forme de désaccord avec des parents d'élèves qui demandent à rencontrer la principale du collège. Je tiens à dire que celle-ci a eu l'attitude qui convenait, en soutenant le professeur et en discutant avec les parents.
D'après les éléments dont nous disposons, il semble que, après cet incident, M. Paty ait engagé la discussion avec les parents d'élèves. Cette discussion s'est déroulée de manière calme et tranquille. Le problème a donc pu être réglé par la simple discussion, ce qui doit être une modalité normale de résolution des difficultés, sans renoncer à rien. L'existence d'un malentendu a peut-être amené M. Paty à dire qu'il en était désolé, mais l'institution n'a en aucun cas déclaré que celui-ci aurait eu un tort. Dès ce moment, la principale de collège a agi conformément à ce que j'ai demandé depuis que je suis en responsabilité : elle contacte les équipes Valeurs de la République du rectorat de Versailles. Elle le fait au moment où débute la seconde affaire, qui vient en quelque sorte se greffer sur la première. Même s'il était prématuré de parler trop hâtivement, on comprend aujourd'hui que les acteurs pluriels de cet assassinat ont, en réalité, « cherché une affaire ».
Il se trouve que, malheureusement, une jeune fille de cette classe, qui, du reste, était absente lors de la seconde séance, a parlé du cours à son père. Ce dernier, musulman extrémiste qui a été interpellé depuis, a cherché à faire un scandale. La principale, de bonne foi, l'accueille. Le père vient accompagné de M. Sefrioui, que la principale ne connaît pas et qu'il présente comme un ami de la famille. La principale voit bien, une fois qu'elle les reçoit, que ses interlocuteurs sont des personnes radicales, avec lesquelles il sera très difficile de s'entendre. C'est ce qui justifie son appel aux équipes Valeurs de la République et la protection au professeur, qui, en aucun cas, n'est désavoué. Au contraire, il est soutenu par l'institution. Tout cela se passe à la fin de la semaine précédant l'attentat.
Pour vous donner une illustration du soutien de l'institution, le samedi précédant l'attentat, l'inspecteur d'académie adjoint a téléphoné au domicile du professeur pour discuter de ce qui se passait. La conversation s'est déroulée dans une ambiance très apaisée. Bien entendu, à ce moment, aucun des deux n'imagine qu'il puisse y avoir une menace de mort.
La famille qui s'est immiscée dans l'affaire avec l'intention de créer un scandale décide de porter plainte pour ce qui se serait passé lors du cours - il faudra d'ailleurs voir qui a inspiré cette idée à la famille. C'est évidemment scandaleux. Dès lors, le professeur a droit à la protection, et, le mardi suivant, la principale du collège, elle-même suivie par l'inspecteur d'académie, qui prête attention à cette affaire, accompagne le professeur pour porter plainte pour diffamation.
De fait, il y a eu diffamation, au travers notamment des vidéos, mensongères à plusieurs titres et visant à créer le scandale, tournées par le père de la jeune fille. À ce moment, l'entente entre la principale, l'inspecteur d'académie et le professeur est parfaite, selon les éléments actuellement à ma connaissance. Ils partagent la même vision du problème, espèrent que celui-ci sera résolu et portent plainte pour diffamation. Le mardi, l'affaire semble en rester là. Dès lors, plus rien de notable du point de vue de l'éducation nationale ne se passe jusqu'au vendredi, 17 heures. Telle est la chronologie des faits.
Si nous voulons progresser et créer une cohésion nationale, je pense que nous devons éviter certaines facilités. Or, dès que de tels événements ont lieu, on dit que l'éducation nationale ne veut pas faire de vagues. Dès que je suis arrivé au ministère, j'ai déclaré qu'il fallait en finir avec cette mentalité. Je n'ai jamais dit que, du jour au lendemain, cette mentalité disparaîtrait partout en France - malheureusement, je ne peux toujours pas le dire aujourd'hui, malgré le combat que je mène. Cependant, soyons équitables : depuis trois ans, le phénomène a beaucoup régressé, ne serait-ce que parce que le propos de l'institution sur le sujet est clair.
Si la consigne avait été de ne pas faire de vagues dans cette affaire, je le dirais et je me désolidariserais des protagonistes, mais cela n'a pas été le cas. La principale du collège a immédiatement apporté son soutien à M. Paty. Ayons aussi une pensée aujourd'hui pour les acteurs de l'affaire, calomniés sur les réseaux sociaux et victimes de désinformation, parfois colportée par certains organes de presse.
Par exemple, contrairement à ce qu'affirme le père dans la vidéo, il est totalement faux que l'inspection d'académie s'apprêtait à sévir. Il est tout de même fou que toute une série d'acteurs de notre débat public, même si c'est probablement de bonne foi, n'aient pas résisté à la tentation de s'emparer de cette vidéo pour montrer d'un doigt accusateur tel ou tel intermédiaire hiérarchique.
Il est de mon devoir de protéger chaque professeur, mais aussi la principale, l'inspecteur d'académie et la rectrice, dès lors que, selon les nombreux éléments dont je dispose, tous ont agi conformément aux dispositifs. Si des éléments me prouvaient autre chose, je le reconnaîtrais auprès de vous.
Je suis évidemment à votre disposition pour répondre, aujourd'hui comme à l'avenir, à vos interrogations. Je suis ouvert à toutes les réflexions que ces événements pourraient vous inspirer.
À mes yeux, la première des réponses doit être la mobilisation de la société, mais il peut aussi y avoir des réponses juridiques, techniques. Nous en avons déjà développé un certain nombre. J'ai demandé au Conseil des sages de la laïcité de l'éducation nationale de siéger en permanence, de manière qu'il puisse recevoir tous les acteurs institutionnels concernés, recueillir l'ensemble des éléments et préparer la rentrée du 2 novembre prochain, mais aussi pour essayer, par toutes les dispositions appropriées, de créer le plus vaste consensus dans notre pays. Nous en avons besoin.
Permettez-moi d'abord de revenir sur ce qui s'est passé lors de l'attentat, sans entrer dans les détails de l'enquête, puis sur l'action de la police. J'évoquerai ensuite les améliorations possibles, même s'il est difficile d'appréhender l'attentat d'un nouveau genre qui vient d'être commis. Enfin, j'aborderai les réactions de l'État « en légitime défense », comme les visites domiciliaires.
En introduction, je veux dire que, pour la première fois, il y a un lien direct entre l'islamisme politique et un attentat terroriste. Par le passé, certains ont défendu une différence entre les deux : sans justifier l'islamisme politique, ils affirmaient qu'il n'était pas aussi dangereux que le terrorisme, contre lequel plusieurs gouvernements ont donné des moyens législatifs, et qu'il devait surtout être combattu sur le terrain des idées. J'espère que ce vide pourra être comblé par le texte qui sera présenté en conseil des ministres le 9 décembre prochain et que j'aurai l'honneur de défendre devant le Parlement au début de l'année prochaine.
Selon nous, l'islamisme politique radical, qui est la principale forme de radicalité, fait naître une ambiance et, parfois, arme idéologiquement des terroristes. On le savait confusément ; on le sait désormais de façon certaine, puisqu'il apparaît bien que des officines islamistes ont aidé des militants à diffuser ce que j'ai décidé d'appeler une « fatwa », c'est-à-dire un appel à punir M. Paty, conduisant à son assassinat atroce.
Pour ce qui concerne l'attentat en tant que tel, c'est mon cabinet qui m'a prévenu, alors que j'étais en déplacement au Maroc. J'ai pris le soin de prévenir la présidence de la République et le Premier ministre, puis le ministre de l'éducation nationale. Les choses étaient assez confuses : un homme avait visiblement été retrouvé à terre à la suite, manifestement, d'une attaque au couteau ; cet homme était peut-être un professeur ; on ne savait pas très bien si l'attentat avait été commis dans le collège ou en dehors de celui-ci ; l'assaillant avait été stoppé ; on ne savait pas encore s'il était vivant ou mort. Voilà les informations qui m'ont été communiquées et que les services de police ont évidemment pu préciser ensuite.
Malheureusement, certains constats ont pris un peu de temps, notamment le décès de l'assaillant, dont le corps, comme lors de tout attentat terroriste, pouvait être piégé. Nous avons donc mis un peu de temps à disposer d'une information complète. Lorsque nous en avons disposé, nous l'avons transmise à l'ensemble des autorités de l'État.
Je veux une nouvelle fois saluer le travail des services de police. C'est la police municipale qui a prévenu la police nationale, qui, par chance ou du fait d'une bonne organisation des services de police, était présente à quelques dizaines de mètres de là, puisqu'elle organisait dans le quartier une opération de lutte contre la consommation de stupéfiants. Comme on a pu le voir sur les réseaux sociaux, les policiers sont arrivés, ont discuté avec le terroriste et essayé de l'arrêter. Quand celui-ci s'est retourné vers eux et a tenté de les agresser, ils ont mis fin à sa cavalcade meurtrière.
Nous ne savions pas, à ce moment, s'il y avait des complices. Manifestement, le constat premier était qu'il n'y en avait pas. En tant qu'opération de police, l'intervention a donc été une réussite. Les fonctionnaires ont évidemment utilisé leurs armes conformément au code de déontologie. Je signale d'ailleurs la présence parmi eux de jeunes policiers, puisque ce sont notamment des adjoints de sécurité qui ont stoppé le terroriste.
Sur ce qui s'est passé auparavant, je n'ai pas un mot à ajouter à ce qu'a dit le ministre de l'éducation nationale. Les renseignements territoriaux se sont saisis de l'affaire et ont produit une note. Ayant constaté que celle-ci avait été publiée dans la presse, j'ai saisi le procureur de la République, après en avoir discuté avec le ministre de l'éducation nationale et le Premier ministre. De fait, même si cette note n'est pas classifiée, il n'appartient pas aux agents publics de distribuer des documents couverts du sceau de la confidentialité.
Cette note se fait l'écho du travail réalisé par le service de police de Conflans-Sainte-Honorine et par l'ensemble de la circonscription de police. La plainte déposée par le père de la jeune fille a été le fait déclencheur. Les services de police ont invité M. Paty à venir, bien évidemment sans aucune contrainte et, contrairement à ce que l'on a pu lire, en dehors des locaux destinés à la garde à vue. Le professeur s'est vu signifier ses droits, notamment qu'il pouvait partir. Il a souhaité venir sans avocat, s'expliquant clairement devant les policiers et indiquant que la jeune fille qui avait témoigné contre lui, n'étant pas présente au cours, ne pouvait pas avoir constaté ce qui lui était reproché.
Pourquoi M. Paty a-t-il été convoqué ? Parce que, dans leur témoignage, la jeune fille et son père ont affirmé qu'il avait demandé aux musulmans de sortir de la classe, fait de discrimination particulièrement important. Les policiers ont donc fait leur travail en convoquant très rapidement le professeur. Se déclarant victime d'un mensonge, M. Paty a décidé de porter plainte à son tour.
Je veux dire devant la représentation nationale que la police nationale n'est pas obsédée par nature par la lutte contre les islamistes et par les musulmans. En l'espèce, au contraire, les policiers ont d'abord agi face au fait de discrimination qui avait été dénoncé. Ayant découvert l'existence du mensonge, ils ont évidemment accompagné le professeur, puis la principale de collège, qui a également été auditionnée.
La note des renseignements territoriaux fait effectivement état que M. Chnina est arrivé avec M. Sefrioui, que - je répète ce qu'a dit le ministre de l'éducation nationale - la principale ne connaissait pas. Celui-ci s'est présenté comme un ami de la famille, et même comme un imam. En tant que ministre de l'intérieur, ma première réaction a été de me demander dans quelle mosquée cet imam professe. En réalité, il ne professe dans aucune mosquée. Ce n'est pas un imam. C'est un imam autoproclamé.
Il y a ensuite eu des échanges, comme c'est le cas dans toutes les procédures, entre l'éducation nationale, les services de police, le préfet du département. Tous ont fait correctement leur travail. Je peux vous dire que les services de l'État n'ont pas failli dans cette terrible histoire.
La difficulté, dont nous devrons tirer des conclusions, tient à ce que, de ce que nous savons, le terroriste islamiste n'a aucun lien avec le bâtiment scolaire : il n'a de lien de parenté avec aucun élève, ne connaît pas M. Paty, n'a a priori pas de lien avec Conflans-Sainte-Honorine, puisqu'il ne vient pas de ce département. Manifestement, c'est la vidéo mise en ligne et les divers réseaux sociaux ainsi que les autres messages publiés sur internet par MM. Chnina et Sefrioui qui ont armé idéologiquement le terroriste islamiste venu, dans les conditions que le procureur de la République a décrites, assassiner ce pauvre professeur. Le lien entre l'agitation islamiste et l'attentat terroriste a donc été noué en dehors du collège. Par conséquent, je pense que c'est à bon droit que les services de l'éducation nationale et du ministère de l'intérieur ont conclu qu'il n'y avait pas de sujet ni de conséquences dans l'établissement.
S'il y a bien quelque chose que nous devons changer, c'est d'abord notre rapport aux réseaux sociaux. Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors des questions au Gouvernement, si les mêmes événements se déroulaient aujourd'hui, ni le ministre de l'intérieur ni aucune autre autorité ne pourrait faire interdire la vidéo parallèle d'un autre M. Chnina.
M. Chnina n'appelle pas explicitement à la mort du professeur, mais il crée la « température ambiante » pour un acte de vengeance. En plus de diffamer le professeur en le traitant de « voyou », il dit qu'on ne doit plus jamais enseigner la liberté d'expression ou montrer des caricatures du prophète. À ce jour, cette pression communautaire, communautariste, voire séparatiste sur les services publics - singulièrement sur l'éducation nationale - ne fait pas l'objet d'une incrimination pénale. Chacun sait ici, dans sa vie d'élu local, que ces petits faits, comme dirait Stendhal, sont extrêmement nombreux, y compris dans les commissariats, les gendarmeries ou les préfectures.
Nous n'avons donc pas les moyens de faire retirer cette vidéo. Et lorsque le ministre de l'intérieur décide, sous l'autorité de la justice, d'engager des poursuites, éventuellement sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, contre quelqu'un qui menace la vie d'un tiers, divulgue son adresse, son identité - c'est le cas notamment du dirigeant de BarakaCity, qui, à ma demande, après l'autorisation d'un juge, a été placé en garde à vue pour avoir menacé Mme Zineb El Rhazoui, laquelle fait d'ailleurs l'objet d'une protection -, je constate que cette personne est placée sous contrôle judiciaire au bout de quelques heures, tout en restant libre. Je ne mets pas en cause la justice, qui ne fait qu'appliquer la loi. Je livre cela à la réflexion du Parlement.
En outre, est apparue une polémique au sujet des signalements à la plateforme Pharos, créée voilà une quinzaine d'années pour lutter contre la pédopornographie. Elle s'est transformée en outil de signalement de comptes comportant des incitations à la haine, à l'antisémitisme, à la violence. Depuis janvier, on dénombre 175 000 signalements. Cette plateforme, où travaillent 25 agents, ne peut que signaler ces faits aux hébergeurs.
Depuis le 12 juillet, des signalements anonymes ont été faits à Pharos au sujet du compte du terroriste, @Tchétchène_270, lesquels ont été pris en compte, mais il est apparu que rien n'était contraire à la loi et qu'il n'y avait aucune connotation terroriste. Il était question notamment de condamner moralement la politique interne de la Chine. De tels comptes, il en existe des milliers, voire davantage.
Les contenus à caractère antisémite ont été signalés notamment par une association connue non pas à Pharos, mais directement à Twitter, qui n'a pas donné suite. En revanche, lorsqu'il a été signalé que des photos de la décapitation avaient été publiées, Twitter est intervenu dans les minutes qui ont suivi.
Faut-il améliorer Pharos, bien que rien ne puisse lui être reproché ? Très certainement ! Le Premier ministre a annoncé la création d'une centaine d'équivalents temps plein, d'autant que Pharos n'est pas opérationnelle 24 heures sur 24, ce qui est un problème à l'heure des réseaux sociaux, et que l'essentiel de ces messages provient de l'étranger. En ce qui concerne ceux qui sont émis depuis le territoire national, des améliorations peuvent être apportées, mais, dans le cas d'espèce, Pharos n'a aucune responsabilité ; l'article de Mediapart est, pour le coup, mensonger - j'ai par ailleurs porté plainte contre ce média pour atteinte à l'honneur de la police.
Le texte que vous serez amenés à examiner prochainement doit être l'occasion de tirer tous les enseignements. Quand bien même les services de l'État feraient leur travail en appliquant les lois de la République, nous manquons d'outils pour empêcher ce genre d'attentats, d'un type nouveau, et pour faire face à cette nouvelle façon de semer la terreur en incitant des personnes à décapiter un professeur et, demain peut-être, un autre agent du service public ou un autre Français.
Monsieur le ministre Darmanin, le Président de la République s'est récemment rendu à Bobigny et, apparemment, vous entendez dissoudre certaines associations, en particulier le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). Vous allez donc engager de nombreuses procédures, mais l'on peut regretter que cela n'ait pas été fait plus tôt. Existe-t-il une vraie volonté politique de dissoudre ces associations, sachant que de telles procédures sont complexes?? Vous êtes-vous bien assuré de la sécurité juridique de ces dissolutions ? Vous le savez, elles n'attendent qu'une chose : verser dans la victimisation.
Dans mon rapport, fait au nom de la commission d'enquête sur la radicalisation islamiste, publié en juillet dernier, j'avais préconisé de réactualiser les dispositions relatives à la police des cultes, en particulier l'article 34 de la loi de 1905, qui réprime l'outrage ou la diffamation d'un citoyen chargé d'un service public par un ministre du culte. Envisagez-vous, dans le cadre du futur projet de loi, de revoir les articles 25 à 36 de cette loi ?
Monsieur le ministre de l'éducation nationale, puisque des informations circulent à ce sujet, je voudrais savoir s'il a été demandé à M. Paty de s'excuser, si une lettre a été adressée aux parents à la suite de ce cours, ce que je trouverais insupportable. Outre que nous devons protéger les enseignants, avez-vous prévu de redéfinir la place des parents dans l'école de la République ? Ils prennent une telle place qu'ils mettent en danger et l'enseignement et les enseignants.
Merci de nous informer de ce qui s'est passé. Monsieur le ministre Blanquer, je crains que les professeurs ne s'autocensurent. Quand un événement survient en leur sein, les établissements scolaires n'aiment pas trop être mis en avant. L'autocensure, c'est autre chose : un professeur peut craindre de provoquer certaines réactions parmi ses élèves. Après l'attentat contre Charlie Hebdo, j'ai assisté à un conseil d'accès au droit. Le président du tribunal de grande instance de Lille, qui le présidait, s'inquiétant que des élèves refusent de chanter la Marseillaise, a voulu agir. Ainsi, des lycéens de Roubaix et de Tourcoing ont été invités à s'exprimer. Certains ont indiqué qu'ils jugeaient, avec leurs familles, ces dessins blasphématoires. Pour leur démontrer que la prééminence du droit était essentielle et que le problème s'était posé avec d'autres religions, nous avons pris l'exemple de l'affaire du chevalier de La Barre.
Monsieur Blanquer, existe-t-il des structures qui pourraient épauler les professeurs, notamment judiciaires ?
Monsieur le ministre Blanquer, vous disiez qu'il y aurait un avant et un après. C'est ce qui avait été dit déjà en 2015.
Une fraction non négligeable d'élèves n'adhère pas totalement, voire pas du tout, à certaines valeurs républicaines. De fait, je m'inquiète des conditions de la rentrée dans dix jours. En dehors de la transmission des connaissances, la mission première de l'école est de faire partager les valeurs de la République à travers la parole de l'enseignant, pour contrer l'obscurantisme et les thèses simplistes.
Ces questions, il est vrai, ne relèvent pas toujours du droit, mais plutôt d'une éthique de l'enseignant. L'école n'est pas un service public comme les autres, n'est pas responsable de tout, mais c'est à travers elle que se transmettent nos valeurs nationales. À cet égard, quand des élèves entrant en sixième ne maîtrisent pas notre langue, comment faire passer le message autour de nos valeurs ? L'accent sur les valeurs ne doit-il pas être massivement mis au niveau du primaire ? Rappelons-nous le discours de Renan à la Sorbonne en 1887 sur la Nation et ses principes spirituels.
Qu'allez-vous faire à la rentrée scolaire ? Une minute de silence peut se justifier dans certaines situations, mais je pense qu'il faudrait engager des actions plus pérennes.
Ma question porte sur l'enseignement et la pédagogie. Pour avoir été moi-même professeur d'histoire-géographie, je considère qu'il faut aborder de façon frontale la question de l'éducation civique et morale. À mon époque, les programmes d'histoire et de géographie étaient tellement chargés qu'il fallait très souvent rogner sur l'éducation civique pour les finir. De fait, cette matière semble malléable, facultative. Or, si les valeurs républicaines de laïcité et de citoyenneté sont un réel enjeu, elle doit être au coeur de l'enseignement - avec des notes et des évaluations -, de l'élaboration des programmes, mais aussi de la formation des professeurs.
Je connais le parcours de formation universitaire des professeurs d'histoire-géographie, et celui-ci comporte très peu de modules consacrés à cette matière. En 2007, j'avais proposé d'y intégrer la formation aux réseaux sociaux, aux médias et à l'image, d'autant que les parents sont eux-mêmes dépassés par leurs enfants. Un tel enseignement serait un acte de modernité.
L'établissement de M. Paty a-t-il écrit une lettre aux parents ? Nous aurons la réponse en début de semaine prochaine de l'inspection générale. Je sais juste qu'une simple communication a été faite aux parents - oralement ou par écrit, je ne sais pas - par la principale pour indiquer ce qui avait été fait. Rien n'a été dit aux parents dans un sens négatif, sur M. Paty. Il est vrai qu'est apparu un sentiment de malentendu, y compris chez l'enseignant, qui aurait lui-même dit aux parents qu'il en était désolé, et ce sans que l'institution le lui demande. Là encore, l'enquête le démontrera.
Je le répète, à aucun moment il n'a été demandé à M. Paty de s'excuser auprès des parents. Seule a primé une volonté de dialogue avec eux pour expliquer ce qui avait motivé son initiative et lever tout malentendu.
A-t-il demandé aux élèves musulmans ou à ceux qui pourraient être choqués de sortir ou de fermer les yeux ?
Vous avez de la chance si elles le sont pour vous, mais c'est l'inspection générale qui le dira. Cela relève de la première affaire ; car il ne faut pas oublier la seconde, à savoir le fait que des personnes vont chercher à en découdre en exploitant n'importe quel prétexte. Dans cette première affaire, le professeur n'a pas été désavoué.
Est-il prévu de redéfinir le rôle des parents ? Vaste question sur laquelle je me suis exprimé devant cette assemblée lors de l'examen de la loi pour une école de la confiance. L'article 1er de cette loi comporte deux phrases. La première évoque « l'engagement et l'exemplarité des personnels de l'éducation nationale ». J'avais d'ailleurs été beaucoup critiqué en raison de celle-ci au moment des débats, malgré sa très faible portée normative. Cette phrase vient en appui de la suite de l'article, qui parle du « respect des élèves et de leur famille à l'égard des professeurs, de l'ensemble des personnels et de l'institution scolaire ».
Nous avons fait évoluer ensemble cet article. Ne cherchez pas des désaccords là où il y a eu de grandes convergences. Le projet de loi a pu évoluer grâce au Sénat, et je m'en réjouis, mais cette idée du respect dû au professeur par le parent était présente dès le projet de loi initial.
Selon moi, nous faisons face à la réalité historique de la France : d'un côté, la présence des parents n'est pas assez importante, de l'autre, elle l'est trop. Les systèmes scolaires qui vont bien sont ceux dans lesquels les parents sont impliqués. On le voit avec l'école primaire, et cette implication des parents dans les enjeux de l'école est la clef du succès d'un système scolaire. En revanche, les parents ne doivent pas s'immiscer dans la pédagogie. Or, en France, par tradition historique, les parents s'impliquent trop peu dans les enjeux - d'où la tendance à sous-traiter les sujets éducatifs à l'école, qui relèveraient normalement des parents -, tandis qu'ils s'immiscent de manière indue dans les questions pédagogiques et d'instruction, qui relèvent de la responsabilité des professeurs.
Par ailleurs, j'ajoute que la participation des parents d'élèves, collective ou individuelle, est trop souvent de nature conflictuelle. Pour être réussie, la participation doit être constructive ; si elle est vindicative et consumériste, elle sera contreproductive et pourra mener au pire. C'est à l'ensemble de la société française de créer les conditions d'une participation constructive des parents.
En tant que recteur et en tant que ministre, j'ai eu très souvent à gérer des cas où des parents d'élèves avaient insulté des professeurs ou une directrice d'école. J'ai eu les plus grandes difficultés à faire en sorte que ce soit le parent d'élève qui soit éloigné de l'école, et non l'inverse. Certains parents d'élèves sont très agressifs. Toutes les idées qui permettront d'accentuer la protection des enseignants sont à prendre.
Madame Lherbier, vous avez dit craindre une autocensure des établissements et des professeurs par crainte de provoquer une réaction chez certains élèves, citant le cas d'élèves refusant de chanter la Marseillaise. Malheureusement, ce phénomène existe, et nous cherchons à le réduire par l'éducation morale et civique. Pour répondre à votre question relative aux « alliés de l'institution scolaire », des associations agréées par l'éducation nationale interviennent à l'école. Toutefois, nous devons exercer toute notre vigilance. Le mieux est de faire intervenir des représentants des institutions : un juge, un policier, un gendarme, un pompier ou tout autre représentant des services publics, ou bien les élus de la République. C'est pourquoi j'ai demandé la participation de toutes ces catégories le 2 novembre prochain pour bien signifier la présence de la République et la force du monde adulte.
Au collège, en particulier, nous entendons développer les mécanismes d'engagement des adolescents, par exemple le secourisme ou les cadets de la République. Par ailleurs, je veux que le brevet reconnaisse l'engagement civique de l'élève.
Monsieur Grosperrin, vous avez raison de dire que la maîtrise insuffisante de la langue française est à l'origine de tous les maux. C'est d'ailleurs ce que déclarait peu ou prou dans un entretien récent la présidente du Conseil supérieur des programmes, Mme Souâd Ayada. Tout commence par le langage, qui est le premier vecteur de non-violence, de subtilité et d'écoute.
Oui, la maîtrise du français, avec celle des mathématiques pour développer l'esprit logique, est essentielle - et c'est la première de mes priorités, avec l'apprentissage de la lecture, du calcul et le respect d'autrui. Le dédoublement des classes doit permettre justement à tous les élèves de partir dans la vie avec les savoirs fondamentaux. Les plans de formation dans le premier degré ont été totalement transformés au cours des deux dernières années, ce qui permet désormais à tout professeur de suivre des formations en français et en mathématiques, à travers le plan « Français » et le plan « Mathématiques ».
Je suis souvent très critiqué sur ces questions et peu soutenu. Toutes les oppositions devraient comprendre, indépendamment des clivages politiques, qu'il y a là un enjeu républicain fondamental. Je lis en ce moment les mémoires de Jean-Pierre Chevènement, qui, dans les années 1980, animé des mêmes intentions, avait cherché à consolider l'apprentissage du français dès l'école primaire. Au moins pouvait-il compter sur toute la famille républicaine de gauche et de droite. Le manque de soutien des secteurs politique, médiatique et culturel est un signe d'affaissement. Je continuerai dans cette voie. Mais gardons-nous, souvent pour des raisons un peu factices, de nous opposer sur ces questions, alors que c'est un enjeu républicain fondamental. Nous avons pris de très nombreuses mesures en la matière.
Monsieur Assouline a déploré que les heures consacrées à l'éducation morale et civique soient souvent rognées en raison de l'ampleur des programmes et qu'il n'existe pas de réelle formation dans cette matière.
S'agissant du premier point, il faut distinguer les heures d'éducation morale et civique dans l'emploi du temps de l'élève, sans qu'elles constituent un grand tout avec l'histoire et la géographie. C'est ce que nous avons fait avec la réforme du lycée, avec un bloc commun comptant trois heures d'histoire-géographie et une demi-heure d'éducation morale et civique. Cela ne va pas assez loin, et il faudra sans doute, à terme, que cet enseignement soit autonomisé, même si les ponts avec l'histoire-géographie sont nombreux.
La France, étonnamment, se distingue positivement en la matière. Certes, nous avons des faiblesses, mais, en Europe et dans le monde, l'enseignement de l'histoire, de la géographie et de l'éducation morale et civique est parfois inexistant ou très édulcoré, ce qui est source de problèmes pour les temps à venir. Il faudra agir à l'échelle européenne.
L'éducation morale et civique doit donc faire l'objet d'un temps d'enseignement spécifique abordant aspects théoriques et aspects pratiques et reposant sur une formation initiale et continue très solide. Là aussi, nous avons avancé : systématicité de la formation initiale sur les valeurs de la République - c'est l'une des conséquences de la loi pour une école de la confiance qui est en train de se mettre en place -, attention accordée aux contenus, de nature universitaire. Concernant ce dernier aspect, ne soyons pas aveugles : à l'université, certains secteurs ont une conception très bizarre de la République. Au-delà des heures et des moyens, il s'agit donc de voir ce qui se passe dans les enseignements et de prévoir une matrice initiale parfaite. Ainsi, nous avons créé l'année dernière une chaire laïcité au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), animée par plusieurs membres du Conseil des sages de la laïcité. En lien avec Frédérique Vidal, j'ai commencé à proposer à d'autres établissements d'enseignement supérieur de dispenser ce type de formation, de créer des chaires laïcité et valeurs de la République. Comme je l'ai dit ce matin sur une radio, il existe dans l'enseignement supérieur des courants islamo-gauchistes très puissants qui font des dégâts dans les esprits.
S'agissant des associations, je proposerai au Président de la République de prononcer la dissolution en conseil des ministres de celles qui ont été évoquées parce qu'elles ont un lien direct avec l'attentat. C'est le cas du groupement Cheikh-Yassine. On verra bien ce que dira le juge, madame la sénatrice. J'ai fait fermer la mosquée de Pantin, parce que son président avait relayé la vidéo de M. Chnina. Un recours a été déposé ; cela ne m'empêche pas d'agir, et la justice se prononcera. Je suis très respectueux de l'État de droit, et si le juge estime que le droit ne nous autorise pas à dissoudre ces associations, démarche hautement symbolique, alors nous présenterons un texte pour permettre à la République de se défendre contre celles-ci.
Nous n'avons pas attendu l'attentat de vendredi dernier pour agir. Ainsi, le projet de loi sur le séparatisme prévoit - ce que le droit ne permet pas aujourd'hui - que puissent être dissoutes en conseil des ministres - la liberté d'association est une liberté essentielle - les associations portant atteinte à la dignité de la personne humaine, en s'appuyant sur une jurisprudence constante du Conseil d'État, la possibilité de lutter contre ceux qui exercent des pressions physiques ou psychologiques sur autrui, d'imputer aux structures la responsabilité des propos de leurs dirigeants. Pouvoir imputer la diffusion de propos aux associations en tant que personne morale permettra de mieux contrôler celles qui combattent les valeurs de la République.
Enfin, nous prévoyons aussi une mesure médiane, à savoir la suspension de telle ou telle association en attendant que son dirigeant quitte ses fonctions ou qu'elle formule des excuses. Entre la dissolution et rien, pour l'instant, il n'existe que les procédures pénales, qui mettent parfois beaucoup de temps à aboutir.
Il y a urgence à agir au plan législatif. Le Premier ministre a envisagé la création d'un délit de mise en danger par la diffusion de données personnelles : monsieur le ministre de l'intérieur, comment ce délit serait-il caractérisé ?
Disposons-nous de toutes les armes légales pour mener ce combat, qui sera long, contre le terrorisme ? En d'autres termes, sommes-nous face à un problème de moyens, de mise en oeuvre, ou bien d'outils juridiques ?
Sur le plan pénal, nous avons le sentiment d'avoir, au fil du temps, traité tout ce qu'il y avait à traiter. Mais il reste peut-être encore des lacunes à combler. Il est possible que les outils manquants relèvent plus du champ sociétal, de la lutte contre la compromission, les complaisances et les imputations. Bref, dans quelles directions est-il pertinent que le Parlement travaille pour donner à notre société toutes les armes dont elle a besoin contre le terrorisme ?
Oui, l'histoire-géographie joue un rôle particulier dans notre pays.
Oui, monsieur le ministre de l'éducation nationale, vous défendez la laïcité de façon incontestable ; vous avez mis en place des référents et des équipes pour soutenir les professeurs dans ce travail.
Oui, à Conflans-Sainte-Honorine, l'institution a été au rendez-vous. Les professeurs ont-ils accès à la formation, en particulier continue, dont ils ont besoin ? Quand des troubles se produisent dans la mise en oeuvre des programmes, les sanctions sont-elles au rendez-vous ? Les ramifications sont-elles détectées, des mises hors d'état de nuire sont-elles effectuées ?
Nous avons voté tous ensemble l'abaissement à trois ans de l'âge de l'instruction obligatoire, notamment pour vous permettre de lutter contre les écoles de fait, camouflées derrière l'instruction à domicile. Un an plus tard, a-t-on mené plus de contrôles, procédé à plus de fermetures ? A-t-on fait tomber le paravent de l'instruction à domicile ?
Enfin, au moment où vous lancez le Grenelle de l'éducation pour remettre, selon vos termes, le professeur au centre de la société. Quelle reconnaissance morale et financière proposez-vous aux enseignants, quelle modernisation numérique, quelle nouvelle politique des ressources humaines ? Surtout, quelle formation proposez-vous aux hussards noirs de la République pour les armer et leur redonner le moral ?
Ne faudrait-il pas rebaptiser l'éducation nationale « instruction nationale » ? Trop de parents considèrent que c'est à l'école d'éduquer ; or son rôle est d'instruire.
Quand des perturbateurs sont identifiés parmi les élèves, les professeurs se plaignent souvent que les remontées s'arrêtent aux portes de l'établissement. D'où ma question, qui n'est peut-être pas politiquement correcte : qu'est-il prévu pour, non pas déscolariser, mais scolariser différemment ces enfants ? C'est un vrai problème pour les enseignants !
Aujourd'hui, il faut être un professeur courageux pour enseigner la liberté d'expression. Allez-vous mieux former les professeurs à l'enseignement de l'instruction civique ? Une instruction indiquant à l'ensemble des professeurs comment étudier en classe la liberté d'expression va-t-elle être prise ?
Il y a quelques années, un site islamiste, Dar al-Islam, avait appelé à assassiner les professeurs : « Tuez-les tous ! Si vous n'avez pas d'armes, prenez un couteau ; si vous n'avez pas de couteau, jetez-les par la fenêtre. » A-t-on constaté une recrudescence de ces appels au crime ?
Avez-vous dressé l'inventaire des associations subventionnées, au titre de la politique de la ville ou par des collectivités territoriales, qui entretiennent des liens étroits avec des islamistes ? Sinon, allez-vous le faire ? Quelles conséquences entendez-vous en tirer ?
De trop nombreux parents prétendent s'immiscer dans la pédagogie des professeurs : comptez-vous consacrer par écrit la liberté pédagogique ?
La protection fonctionnelle du professeur assassiné n'avait pas été activée. Elle n'aurait peut-être rien changé au dénouement dramatique, mais cette protection fait partie des mesures à prendre en pareil cas.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez parlé à juste titre d'un attentat islamiste d'un type nouveau. De fait, un tel attentat est le produit d'une diffusion d'idées dans la société, des idées qui arment les terroristes. Cette situation appelle des lieux de dialogue et de partage des signalements entre l'éducation nationale, la police et d'autres partenaires : de tels lieux d'échange existent-ils ?
Face à la pression communautariste que vous avez dénoncée sur les services publics, il importe de renforcer ceux-ci ; malheureusement, ils disparaissent dans de nombreux endroits... La présence visible, active, forte des services publics est nécessaire dans nos territoires !
Enfin, comme l'a souligné Max Brisson, il faut offrir aux enseignants une meilleure reconnaissance : salariale, en termes de formation, sociale.
Monsieur le ministre de l'éducation nationale, devant la commission d'enquête sur la radicalisation islamiste, que je présidais et dont Jacqueline Eustache-Brinio était rapporteure, vous aviez marqué votre volonté de lutter avec une grande autorité contre la radicalisation à l'école.
Pour le contrôle des écoles hors contrat, dont le nombre a doublé en quelques années, j'avais souhaité la création d'un corps d'inspecteurs spécifique. Irez-vous dans ce sens ? Des contrôles inopinés seront-ils menés ? L'identité et l'honorabilité des personnes qui y enseignent seront-elles contrôlées ?
Vous avez décidé de mettre fin à la scolarisation à domicile, sauf exception. Allez-vous mettre en place une commission de dérogation pour les cas où c'est la santé des enfants qui justifie la scolarisation à domicile ou lorsque celle-ci a fait suite à un harcèlement ?
Enfin, monsieur le ministre de l'intérieur, nous avons préconisé la création d'une police des cultes. Répondrez-vous favorablement à cette demande ? Par ailleurs, quel est votre avis sur la direction de l'Observatoire de la laïcité ?
Pierre Manent a décrit « la mortelle défaillance collective, celle qui nous rend incapables de ne rien changer à la conduite de notre vie, même pour la sauver »... Aujourd'hui, on arrive à confiner les Français, mais on ne parvient pas à renvoyer des personnes qui prêchent la haine, même quand elles font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ! J'espère que ce paradoxe va cesser.
C'est l'islam radical qui pose problème, pas toutes les religions. Il serait injuste de supprimer l'école à domicile pour ceux qui se comportent bien.
Je déplore que toutes les propositions émanant de ma famille politique aient été rejetées. J'ai moi-même écrit un rapport sur le financement du terrorisme, avec une députée de La République En Marche : toutes nos propositions ont été écartées. Je constate avec satisfaction qu'une d'entre elles, sur le financement des associations, revient en faveur, malheureusement bien tard.
Faut-il changer le droit pour pouvoir mieux l'appliquer ? Je pense en particulier aux dispositions constitutionnelles proposées par le Sénat.
S'il faut examiner de près les financements aux associations de la politique de la ville, il faut aussi surveiller les financements étrangers. Pourquoi avoir rejeté notre proposition d'interdire les listes communautaires aux élections ? Le président Macron n'a pas répondu à mon interpellation à cet égard.
Enfin, il faut supprimer les associations prêcheuses de haine, comme Les loups gris, animés par le parti d'Erdogan.
M. Blanquer, vous n'avez pas répondu hier lors des questions au gouvernement à ma question sur l'instauration d'un délit d'entrave à la liberté d'enseigner. L'article 431-1 du code pénal prévoit déjà le délit d'entrave à la liberté d'expression, à la liberté d'association, à la liberté de réunion, à la liberté de création artistique, mais pas à la liberté d'enseigner dans le cadre bien sûr des programmes de l'éducation nationale. J'ai déposé une proposition de loi en ce sens. Ce serait une arme, notamment, contre les parents qui tentent de faire pression ou d'intimider. Aujourd'hui, principaux et professeurs se heurtent à une lacune dans la législation.
Nous ne doutons pas de votre volonté d'agir, messieurs les ministres, mais nous savons aussi que cette volonté s'amenuise au fil du temps, balayée par d'autres priorités ou actualités.
Nous sommes nombreux à souhaiter des mesures qui, pour être efficaces, devront probablement être exceptionnelles, comme l'est la situation.
Nous connaissons le travail mené dans les établissements autour de la laïcité, notamment par les équipes Valeurs de la République. Nous savons aussi le prix de certains renoncements, sous des pressions locales ou communautaristes.
Aujourd'hui l'action de l'école se décline en deux phases : la prévention, phase importante et cruciale, qui est un moyen de long terme pour éviter que des évènements ne se produisent. Mais elle ne suffit pas à les empêcher. D'autre part, il y a la répression pour sévir lorsque les faits se sont produits. Par définition, elle ne permet pas non plus de les empêcher. Au-delà de cette dialectique prévention-répression, nous sommes face à une question essentielle : comment permettre aux enseignants de faire leur travail en garantissant leur sécurité et celle de leur famille ?
Il est facile de publier des caricatures sur les réseaux sociaux en se disant solidaire. Il est plus difficile d'être dans une salle de classe, devant des enfants dont on sait ou présume que les parents sont radicalisés... Les enseignants, et plus largement tous les agents publics, doivent pouvoir faire leur travail sereinement.
Enfin, monsieur le ministre de l'éducation nationale, pourriez-vous faire un point sur le contrôle des établissements hors contrat ?
Depuis l'attentat de vendredi dernier, chacun cherche ce qui pourrait encore manquer dans notre arsenal législatif pour lutter contre le terrorisme islamiste. D'aucuns veulent réanimer la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet (loi Avia), pourtant jugée inconstitutionnelle. D'autres proposent de retoucher la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Nous sommes sur une pente assez dangereuse, qui ne fera pas honneur à la mémoire de Samuel Paty, assassiné pour avoir enseigné la liberté d'expression.
Pourtant, la France est dotée d'un outil : la plateforme Pharos, qui permet à tout citoyen de signaler un contenu ou un comportement illicite sur internet. Elle a reçu 230 000 signalements en 2019 ; leur nombre est encore supérieur cette année.
Conserver l'équilibre actuel entre liberté d'expression pleine et entière et régulation et contrôle par un régime de responsabilité implique de disposer d'enquêteurs et de magistrats en nombre suffisant, avec des moyens pour travailler.
À l'heure de la massification de l'usage des réseaux sociaux et de l'extension des domaines de compétence de Pharos, les moyens sont-ils suffisants ? Est-il prévu de les faire monter en puissance et en réactivité ?
Max Brisson et Jacqueline Eustache-Brinio ont déjà insisté sur le rôle des parents. Ne devrait-on pas les impliquer dans l'enseignement de la laïcité dès le début de l'année et par écrit, en les faisant signer la Charte de la laïcité ?
Une enquête du Journal du Dimanche de 2019 mentionnait une augmentation de 7 % des violences contre les enseignants. Le ministère a-t-il des chiffres précis sur les violences contre les enseignants ? Alors que cette tragique affaire va certainement libérer la parole des enseignants, vous attendez-vous à une augmentation exponentielle des déclarations de violences ?
Les réseaux sociaux diffusent la haine et incitent au crime, mais nos récents débats sur la loi Avia ont montré qu'il est très difficile de réguler l'expression sur ceux-ci. Nous avions conclu que c'est au niveau européen, à la faveur de la réouverture de la directive e-commerce pour la préparation du Digital Service Act, qu'il convient d'agir. Monsieur le ministre de l'intérieur, comment travaillez-vous avec vos homologues européens pour traiter cette question de manière structurelle, en conférant enfin aux plateformes une vraie responsabilité et une vraie redevabilité ? Tel qu'il fonctionne aujourd'hui, l'écosystème numérique ne peut qu'être propice à une diffusion rapide et rémunératrice pour les plateformes des contenus haineux.
Monsieur Brisson, la qualité de la formation continue est essentielle ; nous poursuivrons de plus belle notre travail en la matière.
Nous avons recentré les missions de Canopé sur la formation à distance des professeurs, en complément de la formation présentielle ; déjà 100 000 professeurs en ont bénéficié depuis le mois de mars. Dans ce cadre, nous avons décidé, depuis plusieurs semaines, que les enjeux liés à la laïcité et aux valeurs de la République feraient l'objet d'une formation à distance particulièrement dense et bien formalisée.
Le contrôle de l'instruction obligatoire à trois ans est assuré par des équipes spécialisées dans les rectorats, plus ou moins étoffées selon les besoins locaux. En revanche, je ne pense pas qu'il faille créer un corps spécialisé. Nous avons besoin d'inspecteurs de l'éducation nationale compétents sur l'ensemble du champ éducatif, qui consacreront tout ou partie de leur activité à ce contrôle de l'instruction obligatoire.
Nous avons des remontées régulières sur ce contrôle, et toutes les données dont nous disposons sont rendues publiques. Nous avons agi rigoureusement dans un certain nombre de cas : j'ai adressé plusieurs injonctions de scolarisation, notamment quand des enfants étaient, dans les faits, envoyés dans des écoles clandestines.
L'instruction obligatoire à l'école dès trois ans figurera dans le projet de loi sur le séparatisme. Cela signifie que tous les enfants iront à l'école maternelle : c'est essentiel et nous aidera à atteindre les objectifs que nous poursuivons tous dans la durée. J'entends les critiques qui nous reprochent, au motif de viser une cible, de risquer d'en atteindre une autre. Des exceptions seront prévues pour des raisons de santé, ou éventuellement en cas de projet éducatif spécifique, comme dans le cas des sportifs de haut niveau, ou encore en cas de problème psycho-médical, par exemple. Je suis ouvert à toutes vos propositions. Nous les examinerons avec pragmatisme. Il ne s'agit pas non plus de multiplier les exceptions, car il faut avoir en tête l'objectif qui est de combattre la radicalité et l'obscurantisme. L'Allemagne, la Suède et l'Espagne interdisent l'instruction à domicile, et la cour européenne des droits de l'homme n'a rien trouvé à y redire.
J'ouvrirai le Grenelle de l'éducation à quatorze heures au conseil économique, social et environnemental. Monsieur Lafon, président de la commission de la culture, naturellement, fait partie des personnalités invitées à y participer. Le Grenelle durera trois mois. Je vous rendrai compte de l'évolution de ses travaux. Les questions de ressources humaines seront centrales, car l'enjeu est d'améliorer la reconnaissance matérielle et morale des enseignants. Le processus est enclenché. Il était prévu depuis longtemps. J'ai choisi de ne pas modifier la date pour ne pas se laisser infléchir par le crime qui a été commis et parce que je pense que ce Grenelle représentera aussi une réponse aux problèmes qui sont soulevés aujourd'hui.
Nous avons, ces derniers temps, développé les ressources pédagogiques accessibles pour enseigner la liberté d'expression sur le portail Eduscol. Elles permettent d'expliciter, en lien avec les caricatures de Charlie Hebdo, ce qui se joue derrière la notion de liberté d'expression. En vérité les outils existent déjà et sont assez nombreux. Le site Eduscol en rassemble beaucoup, même si nous pouvons faire encore mieux, évidemment.
Je ne sais pas s'il faut inscrire dans la loi explicitement que les parents ne doivent pas s'immiscer dans la pédagogie. Nous devons en tout cas distinguer ce qui relève de l'éducation, d'une part, marquée par un enjeu de co-éducation, et donc de coopération entre l'école et les parents, et l'instruction, d'autre part, qui relève d'abord et avant tout de l'école, dans le dialogue avec les parents, sans que celui-ci ne se transforme en immixtion dans les choix pédagogiques de l'école.
La protection fonctionnelle est un mécanisme qui consiste à accorder un accompagnement juridictionnel en cas de problème. Dans l'affaire de Conflans-Sainte-Honorine, le professeur a porté plainte, ainsi que la principale du collège. La protection fonctionnelle aurait naturellement été enclenchée en cas de suites judiciaires. L'éducation nationale comporte aussi une structure intitulée « L'Autonome de solidarité», à laquelle les professeurs peuvent adhérer, ce qui n'était pas le cas de M. Paty, et qui offre notamment un accompagnement par les pairs dans ce genre d'affaires. Peut-être devrions-nous généraliser ce type de dispositif.
Monsieur Paccaud, nous sommes dans la phase de préparation de la loi sur le séparatisme. Nous sommes ouverts à toutes les idées, dès lors qu'elles ont un impact réel. J'ai le sentiment que les outils juridiques dont nous disposons nous permettent de faire face aux problèmes que vous évoquez, mais nous pouvons en débattre. Nous sommes d'accord sur le fond, la question est de savoir si une telle mesure ne serait pas une redondance juridique.
Monsieur Vial, le contrôle et l'évaluation des établissements hors contrat se sont accentués, notamment depuis la loi Gatel, mais celle-ci a surtout permis d'empêcher l'ouverture de nouveaux établissements. Pour les fermetures, nous avons besoin d'aller plus loin. Nos contrôles permettent de détecter certaines choses. Grâce à une excellente collaboration avec le ministre de l'intérieur, nous avons fermé des établissements de fait. Le travail de repérage est important. Les élus ont aussi un rôle à jouer, car il peut s'agir de petites structures sans existence juridique. En ce qui concerne le hors contrat, nous devons désormais être capable de faire la différence entre le « bon » hors contrat et le « mauvais » hors contrat. C'est ce que nous avons commencé à faire, mais la loi contre le séparatisme nous fournira davantage d'outils à cet égard.
La question sur l'implication des parents dans l'éducation morale et civique est une question importante. Elle renvoie à l'enjeu de la co-éducation. Cette question est particulièrement cruciale pour le numérique : l'enjeu est de réussir avec des écoles des parents sur différents sujets à impliquer les parents. Cela montre bien que la question est complexe. Il ne s'agit pas de dresser des parois étanches entre l'école et les parents, mais de trouver les bons canaux, au travers de l'éducation morale et civique en particulier.
Nous ne constatons pas dans nos remontées, que nous rendons publiques chaque trimestre, d'accentuation du phénomène des violences envers les enseignants. À chaque fois, nous déclenchons les poursuites qui s'imposent.
Madame Morin-Desailly, votre question concernant les contenus haineux sur les plateformes internet n'est ni de la compétence du ministre de l'intérieur, ni de la mienne. Toutefois, nous suivons ce sujet avec attention. Nous avons des relations avec les plateformes, à l'échelle nationale comme à l'échelle européenne. À l'échelle nationale, la situation doit encore évoluer. Certaines plateformes sont réactives, mais cela n'est pas suffisant, car le défi posé par le cyberharcèlement est considérable. Il est temps d'aller plus loin. Il n'est pas normal que l'on puisse cyberharceler impunément des enfants et des adolescents. Nous avons fait des progrès en matière de lutte contre le harcèlement à l'école, mais la vague du cyberharcèlement est si forte que nous avons besoin d'outils nouveaux.
En matière de police des cultes, la difficulté est que les cultes peuvent être gérés de trois manières. D'abord, dans le cadre de loi de 1905, ce qui n'est pas le cas de la majorité des associations cultuelles musulmanes, ni des associations catholiques qui relèvent essentiellement de la loi du 2 janvier 1907. Les associations peuvent aussi relever du statut posé par la loi de 1901 : 92 % des associations du culte musulman sont gérées de la sorte. Enfin, il est possible d'organiser un culte en l'absence de structure associative : il suffit que quelques personnes se regroupent, disent qu'elles tiennent un culte et la liberté de culte s'applique.
C'est pourquoi la loi que nous allons déposer le 9 décembre prochain marquera une étape dans l'histoire du droit des cultes : le principe sera que tout culte devra être géré par une structure qui devra relever autant que possible de la loi de 1905, ou de1907, pour ne pas gêner les équilibres que l'Église catholique a mis en place et qui sont tout à fait conformes à l'ordre public. Nous souhaitons que toutes les associations cultuelles relevant de la loi de 1901 se consacrent exclusivement à l'organisation du culte : cela n'empêche pas l'existence d'associations sportives d'inspiration confessionnelle - nul ne veut les interdire -, mais celles-ci ne doivent pas se confondre avec l'association cultuelle.
L'argent public que verserait telle ou telle collectivité ne doit pas l'être au nom de l'activité culturelle pour finalement financer l'activité cultuelle : c'est un détournement flagrant, me semble-t-il, de l'article 2 au moins de la loi de 1905.
Nous souhaitons imposer des contraintes aux associations cultuelles relevant de la loi 1901. Par exemple, des commissaires aux comptes devront certifier tous les comptes de toutes les associations cultuelles, et celles-ci ne pourront pas faire de déductions fiscales sans un expert-comptable, susceptible de saisir les autorités si jamais il voit des différences. Tous les financements étrangers devront obligatoirement être déclarés, ce qui est valable pour tous les cultes. En régime loi de 1905, vous ne payez pas d'impôts locaux. Beaucoup d'associations culturelles musulmanes payent des impôts locaux, parfois élevés, alors que les protestants par exemple, qui sont souvent en régime loi de 1905, ne payent pas d'impôts locaux. L'idée sera donc d'avoir les avantages et les inconvénients de la loi de 1905 et, si on reste en loi de 1901 - le Conseil constitutionnel n'accepterait pas qu'on oblige tout le monde à adopter le régime de 1905, car ce serait une atteinte trop forte à la liberté de culte, qui est une liberté extrêmement importante -, nous imposerons les contraintes de 1905 sur les avantages de 1901, et nous espérerons que chacun aille vers la loi de 1905. Le recteur de la mosquée de Paris m'a indiqué qu'il comprenait tout à fait ce projet, et qu'il allait proposer des modifications à sa structure associative, ce qui sera un beau symbole, me semble-t-il, au lendemain de la loi.
Mme Boyer m'interroge sur le lien entre les associations et des collectifs islamistes. Élue de Marseille, elle sait que beaucoup d'associations et de personnes, parfois dans des zones grises, pourraient être en lien avec la puissance publique. Ce n'est pas toujours évident à première vue, et je n'en veux pas aux élus. Moi-même, quand je suis arrivé aux responsabilités dans ma mairie, j'ai lu dans la presse, quelques semaines après mon arrivée, que le ministre de la ville du gouvernement précédent avait commandé un rapport qui permettait de distinguer des associations salafistes et radicales, mais prétendument sportives, et subventionnées par les collectivités, et que ce rapport citait la ville de Tourcoing. J'ai dû poser, comme j'étais député-maire, trois questions écrites, envoyer douze courriers, faire 47 interpellations, 17 voeux : je n'ai jamais eu de réponse, ni du préfet ni du ministre. Il a fallu que je sois ministre de la République, en l'occurrence chargé de l'intérieur, pour avoir enfin ce rapport. Il disait des choses certes, mais difficiles à publier car non définitives. J'ai arrêté les subventions, sur la base de l'article de presse ; comme personne ne m'a attaqué, je considère que j'ai eu raison de le faire. Mais il n'est pas toujours évident pour des collectivités locales, quand elles ne sont pas parfaitement informées, sans tomber dans le délit de faciès, de mettre fin à des associations qui sont pourtant parfois des officines.
C'est pourquoi le texte du 9 décembre propose, indiscutablement, un progrès dans la mesure où, dans les formulaires Cerfa des structures associatives, on ne mentionnera pas un contrat avec l'association - on ne va pas commencer à discuter les termes de ce qu'est la République ou ce que sont les exigences minimales de la vie en société, pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel -, mais il sera écrit que, que l'on soit membre d'une collectivité locale, de l'État, des offices d'HLM ou des caisses d'allocations familiales (CAF), l'on ne pourra pas verser d'argent public ou prêter des moyens à une association qui ne respecte ni les valeurs de la République, ni les exigences minimales de la vie en société. Un décret sera pris en Conseil d'État, et je m'engage devant le Parlement à ce qu'au moment où nous discuterons de ces articles, nous puissions évoquer aussi le décret en Conseil d'État, pour que chacun comprenne bien à quoi cela correspond.
Vous parliez des réseaux sociaux, monsieur le sénateur. Je ne partage pas tout à fait votre opinion. Vous avez raison sur le fait qu'il faut renforcer les moyens. Ce que nous ne faisons pas vraiment, ce sont les cyberpatrouilles. Nous devons être plus réactifs, et pas simplement plus anticipateurs. Mais la vidéo sur M. Paty ne tombe pas sous le coup de la loi, même si elle a mené au pire. Vous avez raison de dire que ce sont des libertés publiques très importantes, et c'est bien pour cela qu'il faut un débat parlementaire à cet égard pour procéder à des modifications. Ce n'est donc pas uniquement une question de moyens : c'est aussi une question de moyens, mais pas uniquement.
Il va aussi falloir que l'on accepte que l'État ait les mêmes avantages que beaucoup de sociétés privées. Aujourd'hui, les plateformes refusent de donner à l'État des éléments de données qui permettraient pourtant de faire l'enquête. Des journalistes ont ainsi publié le fait que le compte Twitter de cette personne a eu une vingtaine d'interactions. Cette information, à mon avis, a été donnée par les plateformes à des sociétés qui exploitent ces données. Mais les services de renseignement, eux, n'ont pas accès à ces données - je le dis devant le président de la commission des lois. Nous pourrions peut-être obliger les plateformes à nous les communiquer.
Je constate par ailleurs que, dans le débat sénatorial que nous avons eu il y a dix jours, 48 heures avant l'attentat, certains groupes politiques expliquaient que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ne devait surtout pas avoir accès à des algorithmes, parce que ce serait une atteinte absolue à la liberté. Donc, Google, Facebook, Carrefour, Auchan ont le droit d'accéder à vos données numériques, mais pas les services de l'État pour protéger la population !
Nous considérons que ces algorithmes, dès lors qu'ils sont contrôlés et utilisés dans un but extrêmement précis, doivent pouvoir être utilisés par les services de renseignement. Sinon, vous pouvez mettre 850 000 personnes dans des locaux de la DGSI, qui imprimeraient les tweets de chacun, cela n'ira pas très vite !
Une trentaine d'écoles ont été fermées depuis la proposition de loi Gatel, soutenue et enrichie par le ministre de l'éducation nationale. Nous avons des dispositions, sur proposition du ministre de l'éducation nationale, pour aider encore plus les services de l'État à contrôler les écoles hors contrat et à lutter contre les écoles de fait.
En Seine-Saint-Denis, depuis le début de l'année, trois écoles ont été fermées, et parfois dans des conditions où le ministre de l'intérieur et les services de l'État sont conspués et même attaqués. Dans l'école de Bobigny que j'ai fait fermer il y a dix jours, les services de l'État, à commencer par le monde de l'éducation nationale, mais aussi la Direction générale des finances publiques (DGFiP), les Urssaf, les policiers, sont venus. Ils ont été extrêmement respectueux. Ils sont arrivés, et ont demandé aux parents, aux « enseignants » - si je puis dire, car il ne s'agit évidemment pas d'enseignants - de sortir de la « classe » - ma précédente remarque vaut aussi ici - et jamais les enfants n'ont vu les policiers, qui n'étaient évidemment pas en uniforme dans les salles de classe. Cette école comptait une trentaine d'enfants de deux à six ans, notamment des filles qui portaient toutes le voile, et ses enseignantes pédagogues n'avaient aucun diplôme et portaient toutes le voile intégral. Il n'y avait pas de fenêtres dans les classes, ni de cour de récréation. Quant aux livres, autant vous dire que vous appreniez autre chose que simplement la langue, sur autre chose que les textes sacrés, et qu'on était bien loin du programme édicté par M. le ministre de l'éducation nationale. Pour autant, nous n'avons pu la faire fermer que parce qu'elle ne respectait pas les conditions sanitaires de la covid ! Il faudra donc renforcer et modifier la loi de la République. Quasiment tous ces enfants étaient sortis du système scolaire, et n'étaient pas inscrits à l'école de la République. L'action du ministre de l'éducation et la nôtre se complètent très bien. Merci de nous donner des armes administratives pour lutter.
On contrôle des écoles, qui se présentent souvent comme des « associations pédagogiques », à qui l'on n'a rien à reprocher. Il n'y a pas de honte à se faire contrôler ! Nous considérons que le contrôle de la République doit s'exercer tous les lieux de la République. Il y aura d'ailleurs d'autres contrôles dans les semaines qui viennent.
Monsieur Bonnecarrère, je crois que beaucoup d'armes sont aujourd'hui à la disposition des services de renseignement pour lutter contre le terrorisme, ce qui, du reste, n'empêche pas d'améliorer certains outils. Nous en discuterons lors de la suite de l'examen du projet de loi visant à proroger certaines dispositions de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), qui reviendra devant vous prochainement, puis du projet de loi Renseignement, en 2021.
Je veux souligner que les deux dernières personnes ayant commis des attentats n'étaient pas suivies par les services de renseignement. L'apparition d'un terrorisme nouveau devrait nous inciter à réfléchir. Disposons-nous des bons instruments pour le suivre ? Comment fonctionne-t-il ? On voit bien qu'il passe par des réseaux sociaux, notamment ceux qui permettent des cryptages, ce qui nous empêche d'obtenir certaines informations.
Pour être depuis quinze ans élu dans une commune qui connaît ce genre de difficultés, je suis convaincu que le pouvoir politique et les services publics ne sont pas les seuls à avoir une responsabilité dans la réponse à apporter à la question de ce qu'est la communauté nationale et de ce que sont les règles de la République. Les entreprises, les associations en ont une aussi. Tout cela crée une « ambiance », sur laquelle il est très difficile de légiférer, et les susceptibilités rendent les prises de position difficiles.
J'aimerais que la République une et indivisible, qui ne reconnaît aucun culte, puisse aussi être une réalité dans beaucoup d'endroits où une offre républicaine doit être proposée concurremment à l'offre communautaire - je rejoins tout à fait ce qu'a dit Mme la sénatrice à ce sujet. Tous les partis politiques peuvent être tenus pour responsables de la situation actuelle, et chacun doit faire son mea culpa. Quoi qu'il en soit, nous constatons que, la nature ayant horreur du vide, c'est le monde privé ou civil qui supplée la République quand elle est absente. Il offre une société clés en main, de l'éducation des enfants jusqu'au sport, en passant par le commerce alimentaire et les voyages. Les agents de certains départements qui luttent contre la radicalisation constatent qu'il est possible de vivre à plein temps au sein de sa communauté.
Madame la sénatrice, vous avez raison de dire que l'intervention de la République dans la vie sociale, sous ses formes les plus neutres, permet sans doute de combattre ce qui, parfois, prospère sur la misère.
Sous réserve d'une réunion interministérielle qui se tiendra aujourd'hui, je peux vous dire que l'incrimination spécifique de mise en danger de la vie d'autrui par la diffusion d'informations personnelles pourrait être punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Les réseaux sociaux sont évidemment visés, mais pas seulement, raison qui justifie la mention « par quelque moyen que ce soit », car il est possible que la technique évolue encore plus vite que la loi de la République. Il s'agit de punir tous ceux qui pourraient, par quelque moyen que ce soit, diffuser des informations ou des propos afin qu'il soit porté atteinte à l'intégrité physique et psychique d'une personne. On voit bien que la dimension psychique est présente dans les menaces de mort ou les pressions.
Un secret reste à une seule personne à la fois, disait Talleyrand... Loin de moi l'envie de dévoiler le contenu du texte proposé par le garde des sceaux, mais je ne voudrais évidemment pas mentir à la représentation nationale.
M. Bas et Mme Boulay-Espéronnier m'ont interrogé sur la recrudescence de faits envers les enseignants. Je ne crois pas spécialement que ce phénomène existe. Un préfet est placé à la disposition du ministre de l'éducation nationale. À son arrivée, il a mis en place une cellule permettant de faire remonter les faits qui ne sont pas que des menaces.
En revanche, depuis le procès Charlie, les menaces sont nombreuses. Je l'ai dit dès mon entrée en fonctions. Je me suis exprimé à ce sujet lors de trois points presse qui ont été organisés ces trois derniers mois, mais cela n'a pas rencontré le même écho qu'après l'attentat. J'ai dévoilé le nombre d'étrangers en situation irrégulière soupçonnés de radicalisation bien avant celui-ci. Nous avons expulsé plus d'une trentaine d'étrangers en situation irrégulière qui étaient suivis pour radicalisation depuis que je suis ministre de l'intérieur, et plus de 400 depuis 2017.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux attirer votre attention sur le fait que les menaces ne sont pas toujours assez fermes pour permettre l'arrivée rapide de la police. Anonymes ou non, les menaces sont nombreuses. Elles visent les services publics, les élus... J'ai encore appris tout à l'heure que le maire de Bron avait été menacé de décapitation sur un panneau de la ville. Je veux dire qu'elles touchent aussi les musulmans de France. Ainsi, une croix gammée a été retrouvée ce matin sur la tombe d'un soldat musulman. Des personnes, des imams, des responsables cultuels sont menacés par des séparatistes.
Les services de renseignement nous apprennent que le monde de l'éducation nationale, mais aussi l'ensemble de la société, les élus, les policiers, les gendarmes, les militaires, les journalistes, tous ceux qui, finalement, représentent la France, son identité et ses valeurs sont menacés. C'est encore plus vrai aujourd'hui qu'il y a quelques mois.
Je ne peux pas tout dire, mais sachez que les services de renseignement anticipent beaucoup. Ils obtiennent souvent de très bons résultats, mais il y a des attentats que nous ne parvenons pas à déjouer.
On ne peut pas garantir à la représentation nationale qu'il n'y aura plus d'attentats dans les jours, les semaines ou les mois qui viennent. Ce serait mentir que d'affirmer qu'une société peut tout contrôler. Il nous faut des armes administratives, il nous faut des moyens, mais nous devons comprendre que la guerre avec un ennemi particulièrement déterminé, avec qui nous ne pouvons pas discuter et avec qui il n'est pas possible de faire la paix est une guerre d'un genre nouveau. Il y aura malheureusement d'autres attentats. Nous espérons qu'ils seront les moins nombreux et les moins rapides possible, mais je vous mentirais en vous promettant qu'ils n'arriveront pas. Reste à savoir quand.
Messieurs les ministres, Laurent Lafon et moi-même vous remercions d'être venus ce matin au Sénat pour répondre à nos questions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 13 h 30.