Intervention de Gérald Darmanin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 octobre 2020 à 11h30
Audition en commun avec la commission de la culture de l'éducation et de la communication de Mm. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports et gérald darmanin ministre de l'intérieur à la suite de l'assassinat de samuel paty

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur :

Permettez-moi d'abord de revenir sur ce qui s'est passé lors de l'attentat, sans entrer dans les détails de l'enquête, puis sur l'action de la police. J'évoquerai ensuite les améliorations possibles, même s'il est difficile d'appréhender l'attentat d'un nouveau genre qui vient d'être commis. Enfin, j'aborderai les réactions de l'État « en légitime défense », comme les visites domiciliaires.

En introduction, je veux dire que, pour la première fois, il y a un lien direct entre l'islamisme politique et un attentat terroriste. Par le passé, certains ont défendu une différence entre les deux : sans justifier l'islamisme politique, ils affirmaient qu'il n'était pas aussi dangereux que le terrorisme, contre lequel plusieurs gouvernements ont donné des moyens législatifs, et qu'il devait surtout être combattu sur le terrain des idées. J'espère que ce vide pourra être comblé par le texte qui sera présenté en conseil des ministres le 9 décembre prochain et que j'aurai l'honneur de défendre devant le Parlement au début de l'année prochaine.

Selon nous, l'islamisme politique radical, qui est la principale forme de radicalité, fait naître une ambiance et, parfois, arme idéologiquement des terroristes. On le savait confusément ; on le sait désormais de façon certaine, puisqu'il apparaît bien que des officines islamistes ont aidé des militants à diffuser ce que j'ai décidé d'appeler une « fatwa », c'est-à-dire un appel à punir M. Paty, conduisant à son assassinat atroce.

Pour ce qui concerne l'attentat en tant que tel, c'est mon cabinet qui m'a prévenu, alors que j'étais en déplacement au Maroc. J'ai pris le soin de prévenir la présidence de la République et le Premier ministre, puis le ministre de l'éducation nationale. Les choses étaient assez confuses : un homme avait visiblement été retrouvé à terre à la suite, manifestement, d'une attaque au couteau ; cet homme était peut-être un professeur ; on ne savait pas très bien si l'attentat avait été commis dans le collège ou en dehors de celui-ci ; l'assaillant avait été stoppé ; on ne savait pas encore s'il était vivant ou mort. Voilà les informations qui m'ont été communiquées et que les services de police ont évidemment pu préciser ensuite.

Malheureusement, certains constats ont pris un peu de temps, notamment le décès de l'assaillant, dont le corps, comme lors de tout attentat terroriste, pouvait être piégé. Nous avons donc mis un peu de temps à disposer d'une information complète. Lorsque nous en avons disposé, nous l'avons transmise à l'ensemble des autorités de l'État.

Je veux une nouvelle fois saluer le travail des services de police. C'est la police municipale qui a prévenu la police nationale, qui, par chance ou du fait d'une bonne organisation des services de police, était présente à quelques dizaines de mètres de là, puisqu'elle organisait dans le quartier une opération de lutte contre la consommation de stupéfiants. Comme on a pu le voir sur les réseaux sociaux, les policiers sont arrivés, ont discuté avec le terroriste et essayé de l'arrêter. Quand celui-ci s'est retourné vers eux et a tenté de les agresser, ils ont mis fin à sa cavalcade meurtrière.

Nous ne savions pas, à ce moment, s'il y avait des complices. Manifestement, le constat premier était qu'il n'y en avait pas. En tant qu'opération de police, l'intervention a donc été une réussite. Les fonctionnaires ont évidemment utilisé leurs armes conformément au code de déontologie. Je signale d'ailleurs la présence parmi eux de jeunes policiers, puisque ce sont notamment des adjoints de sécurité qui ont stoppé le terroriste.

Sur ce qui s'est passé auparavant, je n'ai pas un mot à ajouter à ce qu'a dit le ministre de l'éducation nationale. Les renseignements territoriaux se sont saisis de l'affaire et ont produit une note. Ayant constaté que celle-ci avait été publiée dans la presse, j'ai saisi le procureur de la République, après en avoir discuté avec le ministre de l'éducation nationale et le Premier ministre. De fait, même si cette note n'est pas classifiée, il n'appartient pas aux agents publics de distribuer des documents couverts du sceau de la confidentialité.

Cette note se fait l'écho du travail réalisé par le service de police de Conflans-Sainte-Honorine et par l'ensemble de la circonscription de police. La plainte déposée par le père de la jeune fille a été le fait déclencheur. Les services de police ont invité M. Paty à venir, bien évidemment sans aucune contrainte et, contrairement à ce que l'on a pu lire, en dehors des locaux destinés à la garde à vue. Le professeur s'est vu signifier ses droits, notamment qu'il pouvait partir. Il a souhaité venir sans avocat, s'expliquant clairement devant les policiers et indiquant que la jeune fille qui avait témoigné contre lui, n'étant pas présente au cours, ne pouvait pas avoir constaté ce qui lui était reproché.

Pourquoi M. Paty a-t-il été convoqué ? Parce que, dans leur témoignage, la jeune fille et son père ont affirmé qu'il avait demandé aux musulmans de sortir de la classe, fait de discrimination particulièrement important. Les policiers ont donc fait leur travail en convoquant très rapidement le professeur. Se déclarant victime d'un mensonge, M. Paty a décidé de porter plainte à son tour.

Je veux dire devant la représentation nationale que la police nationale n'est pas obsédée par nature par la lutte contre les islamistes et par les musulmans. En l'espèce, au contraire, les policiers ont d'abord agi face au fait de discrimination qui avait été dénoncé. Ayant découvert l'existence du mensonge, ils ont évidemment accompagné le professeur, puis la principale de collège, qui a également été auditionnée.

La note des renseignements territoriaux fait effectivement état que M. Chnina est arrivé avec M. Sefrioui, que - je répète ce qu'a dit le ministre de l'éducation nationale - la principale ne connaissait pas. Celui-ci s'est présenté comme un ami de la famille, et même comme un imam. En tant que ministre de l'intérieur, ma première réaction a été de me demander dans quelle mosquée cet imam professe. En réalité, il ne professe dans aucune mosquée. Ce n'est pas un imam. C'est un imam autoproclamé.

Il y a ensuite eu des échanges, comme c'est le cas dans toutes les procédures, entre l'éducation nationale, les services de police, le préfet du département. Tous ont fait correctement leur travail. Je peux vous dire que les services de l'État n'ont pas failli dans cette terrible histoire.

La difficulté, dont nous devrons tirer des conclusions, tient à ce que, de ce que nous savons, le terroriste islamiste n'a aucun lien avec le bâtiment scolaire : il n'a de lien de parenté avec aucun élève, ne connaît pas M. Paty, n'a a priori pas de lien avec Conflans-Sainte-Honorine, puisqu'il ne vient pas de ce département. Manifestement, c'est la vidéo mise en ligne et les divers réseaux sociaux ainsi que les autres messages publiés sur internet par MM. Chnina et Sefrioui qui ont armé idéologiquement le terroriste islamiste venu, dans les conditions que le procureur de la République a décrites, assassiner ce pauvre professeur. Le lien entre l'agitation islamiste et l'attentat terroriste a donc été noué en dehors du collège. Par conséquent, je pense que c'est à bon droit que les services de l'éducation nationale et du ministère de l'intérieur ont conclu qu'il n'y avait pas de sujet ni de conséquences dans l'établissement.

S'il y a bien quelque chose que nous devons changer, c'est d'abord notre rapport aux réseaux sociaux. Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors des questions au Gouvernement, si les mêmes événements se déroulaient aujourd'hui, ni le ministre de l'intérieur ni aucune autre autorité ne pourrait faire interdire la vidéo parallèle d'un autre M. Chnina.

M. Chnina n'appelle pas explicitement à la mort du professeur, mais il crée la « température ambiante » pour un acte de vengeance. En plus de diffamer le professeur en le traitant de « voyou », il dit qu'on ne doit plus jamais enseigner la liberté d'expression ou montrer des caricatures du prophète. À ce jour, cette pression communautaire, communautariste, voire séparatiste sur les services publics - singulièrement sur l'éducation nationale - ne fait pas l'objet d'une incrimination pénale. Chacun sait ici, dans sa vie d'élu local, que ces petits faits, comme dirait Stendhal, sont extrêmement nombreux, y compris dans les commissariats, les gendarmeries ou les préfectures.

Nous n'avons donc pas les moyens de faire retirer cette vidéo. Et lorsque le ministre de l'intérieur décide, sous l'autorité de la justice, d'engager des poursuites, éventuellement sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, contre quelqu'un qui menace la vie d'un tiers, divulgue son adresse, son identité - c'est le cas notamment du dirigeant de BarakaCity, qui, à ma demande, après l'autorisation d'un juge, a été placé en garde à vue pour avoir menacé Mme Zineb El Rhazoui, laquelle fait d'ailleurs l'objet d'une protection -, je constate que cette personne est placée sous contrôle judiciaire au bout de quelques heures, tout en restant libre. Je ne mets pas en cause la justice, qui ne fait qu'appliquer la loi. Je livre cela à la réflexion du Parlement.

En outre, est apparue une polémique au sujet des signalements à la plateforme Pharos, créée voilà une quinzaine d'années pour lutter contre la pédopornographie. Elle s'est transformée en outil de signalement de comptes comportant des incitations à la haine, à l'antisémitisme, à la violence. Depuis janvier, on dénombre 175 000 signalements. Cette plateforme, où travaillent 25 agents, ne peut que signaler ces faits aux hébergeurs.

Depuis le 12 juillet, des signalements anonymes ont été faits à Pharos au sujet du compte du terroriste, @Tchétchène_270, lesquels ont été pris en compte, mais il est apparu que rien n'était contraire à la loi et qu'il n'y avait aucune connotation terroriste. Il était question notamment de condamner moralement la politique interne de la Chine. De tels comptes, il en existe des milliers, voire davantage.

Les contenus à caractère antisémite ont été signalés notamment par une association connue non pas à Pharos, mais directement à Twitter, qui n'a pas donné suite. En revanche, lorsqu'il a été signalé que des photos de la décapitation avaient été publiées, Twitter est intervenu dans les minutes qui ont suivi.

Faut-il améliorer Pharos, bien que rien ne puisse lui être reproché ? Très certainement ! Le Premier ministre a annoncé la création d'une centaine d'équivalents temps plein, d'autant que Pharos n'est pas opérationnelle 24 heures sur 24, ce qui est un problème à l'heure des réseaux sociaux, et que l'essentiel de ces messages provient de l'étranger. En ce qui concerne ceux qui sont émis depuis le territoire national, des améliorations peuvent être apportées, mais, dans le cas d'espèce, Pharos n'a aucune responsabilité ; l'article de Mediapart est, pour le coup, mensonger - j'ai par ailleurs porté plainte contre ce média pour atteinte à l'honneur de la police.

Le texte que vous serez amenés à examiner prochainement doit être l'occasion de tirer tous les enseignements. Quand bien même les services de l'État feraient leur travail en appliquant les lois de la République, nous manquons d'outils pour empêcher ce genre d'attentats, d'un type nouveau, et pour faire face à cette nouvelle façon de semer la terreur en incitant des personnes à décapiter un professeur et, demain peut-être, un autre agent du service public ou un autre Français.

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