Intervention de Gérald Darmanin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 octobre 2020 à 11h30
Audition en commun avec la commission de la culture de l'éducation et de la communication de Mm. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports et gérald darmanin ministre de l'intérieur à la suite de l'assassinat de samuel paty

Gérald Darmanin, ministre :

En matière de police des cultes, la difficulté est que les cultes peuvent être gérés de trois manières. D'abord, dans le cadre de loi de 1905, ce qui n'est pas le cas de la majorité des associations cultuelles musulmanes, ni des associations catholiques qui relèvent essentiellement de la loi du 2 janvier 1907. Les associations peuvent aussi relever du statut posé par la loi de 1901 : 92 % des associations du culte musulman sont gérées de la sorte. Enfin, il est possible d'organiser un culte en l'absence de structure associative : il suffit que quelques personnes se regroupent, disent qu'elles tiennent un culte et la liberté de culte s'applique.

C'est pourquoi la loi que nous allons déposer le 9 décembre prochain marquera une étape dans l'histoire du droit des cultes : le principe sera que tout culte devra être géré par une structure qui devra relever autant que possible de la loi de 1905, ou de1907, pour ne pas gêner les équilibres que l'Église catholique a mis en place et qui sont tout à fait conformes à l'ordre public. Nous souhaitons que toutes les associations cultuelles relevant de la loi de 1901 se consacrent exclusivement à l'organisation du culte : cela n'empêche pas l'existence d'associations sportives d'inspiration confessionnelle - nul ne veut les interdire -, mais celles-ci ne doivent pas se confondre avec l'association cultuelle.

L'argent public que verserait telle ou telle collectivité ne doit pas l'être au nom de l'activité culturelle pour finalement financer l'activité cultuelle : c'est un détournement flagrant, me semble-t-il, de l'article 2 au moins de la loi de 1905.

Nous souhaitons imposer des contraintes aux associations cultuelles relevant de la loi 1901. Par exemple, des commissaires aux comptes devront certifier tous les comptes de toutes les associations cultuelles, et celles-ci ne pourront pas faire de déductions fiscales sans un expert-comptable, susceptible de saisir les autorités si jamais il voit des différences. Tous les financements étrangers devront obligatoirement être déclarés, ce qui est valable pour tous les cultes. En régime loi de 1905, vous ne payez pas d'impôts locaux. Beaucoup d'associations culturelles musulmanes payent des impôts locaux, parfois élevés, alors que les protestants par exemple, qui sont souvent en régime loi de 1905, ne payent pas d'impôts locaux. L'idée sera donc d'avoir les avantages et les inconvénients de la loi de 1905 et, si on reste en loi de 1901 - le Conseil constitutionnel n'accepterait pas qu'on oblige tout le monde à adopter le régime de 1905, car ce serait une atteinte trop forte à la liberté de culte, qui est une liberté extrêmement importante -, nous imposerons les contraintes de 1905 sur les avantages de 1901, et nous espérerons que chacun aille vers la loi de 1905. Le recteur de la mosquée de Paris m'a indiqué qu'il comprenait tout à fait ce projet, et qu'il allait proposer des modifications à sa structure associative, ce qui sera un beau symbole, me semble-t-il, au lendemain de la loi.

Mme Boyer m'interroge sur le lien entre les associations et des collectifs islamistes. Élue de Marseille, elle sait que beaucoup d'associations et de personnes, parfois dans des zones grises, pourraient être en lien avec la puissance publique. Ce n'est pas toujours évident à première vue, et je n'en veux pas aux élus. Moi-même, quand je suis arrivé aux responsabilités dans ma mairie, j'ai lu dans la presse, quelques semaines après mon arrivée, que le ministre de la ville du gouvernement précédent avait commandé un rapport qui permettait de distinguer des associations salafistes et radicales, mais prétendument sportives, et subventionnées par les collectivités, et que ce rapport citait la ville de Tourcoing. J'ai dû poser, comme j'étais député-maire, trois questions écrites, envoyer douze courriers, faire 47 interpellations, 17 voeux : je n'ai jamais eu de réponse, ni du préfet ni du ministre. Il a fallu que je sois ministre de la République, en l'occurrence chargé de l'intérieur, pour avoir enfin ce rapport. Il disait des choses certes, mais difficiles à publier car non définitives. J'ai arrêté les subventions, sur la base de l'article de presse ; comme personne ne m'a attaqué, je considère que j'ai eu raison de le faire. Mais il n'est pas toujours évident pour des collectivités locales, quand elles ne sont pas parfaitement informées, sans tomber dans le délit de faciès, de mettre fin à des associations qui sont pourtant parfois des officines.

C'est pourquoi le texte du 9 décembre propose, indiscutablement, un progrès dans la mesure où, dans les formulaires Cerfa des structures associatives, on ne mentionnera pas un contrat avec l'association - on ne va pas commencer à discuter les termes de ce qu'est la République ou ce que sont les exigences minimales de la vie en société, pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel -, mais il sera écrit que, que l'on soit membre d'une collectivité locale, de l'État, des offices d'HLM ou des caisses d'allocations familiales (CAF), l'on ne pourra pas verser d'argent public ou prêter des moyens à une association qui ne respecte ni les valeurs de la République, ni les exigences minimales de la vie en société. Un décret sera pris en Conseil d'État, et je m'engage devant le Parlement à ce qu'au moment où nous discuterons de ces articles, nous puissions évoquer aussi le décret en Conseil d'État, pour que chacun comprenne bien à quoi cela correspond.

Vous parliez des réseaux sociaux, monsieur le sénateur. Je ne partage pas tout à fait votre opinion. Vous avez raison sur le fait qu'il faut renforcer les moyens. Ce que nous ne faisons pas vraiment, ce sont les cyberpatrouilles. Nous devons être plus réactifs, et pas simplement plus anticipateurs. Mais la vidéo sur M. Paty ne tombe pas sous le coup de la loi, même si elle a mené au pire. Vous avez raison de dire que ce sont des libertés publiques très importantes, et c'est bien pour cela qu'il faut un débat parlementaire à cet égard pour procéder à des modifications. Ce n'est donc pas uniquement une question de moyens : c'est aussi une question de moyens, mais pas uniquement.

Il va aussi falloir que l'on accepte que l'État ait les mêmes avantages que beaucoup de sociétés privées. Aujourd'hui, les plateformes refusent de donner à l'État des éléments de données qui permettraient pourtant de faire l'enquête. Des journalistes ont ainsi publié le fait que le compte Twitter de cette personne a eu une vingtaine d'interactions. Cette information, à mon avis, a été donnée par les plateformes à des sociétés qui exploitent ces données. Mais les services de renseignement, eux, n'ont pas accès à ces données - je le dis devant le président de la commission des lois. Nous pourrions peut-être obliger les plateformes à nous les communiquer.

Je constate par ailleurs que, dans le débat sénatorial que nous avons eu il y a dix jours, 48 heures avant l'attentat, certains groupes politiques expliquaient que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ne devait surtout pas avoir accès à des algorithmes, parce que ce serait une atteinte absolue à la liberté. Donc, Google, Facebook, Carrefour, Auchan ont le droit d'accéder à vos données numériques, mais pas les services de l'État pour protéger la population !

Nous considérons que ces algorithmes, dès lors qu'ils sont contrôlés et utilisés dans un but extrêmement précis, doivent pouvoir être utilisés par les services de renseignement. Sinon, vous pouvez mettre 850 000 personnes dans des locaux de la DGSI, qui imprimeraient les tweets de chacun, cela n'ira pas très vite !

Une trentaine d'écoles ont été fermées depuis la proposition de loi Gatel, soutenue et enrichie par le ministre de l'éducation nationale. Nous avons des dispositions, sur proposition du ministre de l'éducation nationale, pour aider encore plus les services de l'État à contrôler les écoles hors contrat et à lutter contre les écoles de fait.

En Seine-Saint-Denis, depuis le début de l'année, trois écoles ont été fermées, et parfois dans des conditions où le ministre de l'intérieur et les services de l'État sont conspués et même attaqués. Dans l'école de Bobigny que j'ai fait fermer il y a dix jours, les services de l'État, à commencer par le monde de l'éducation nationale, mais aussi la Direction générale des finances publiques (DGFiP), les Urssaf, les policiers, sont venus. Ils ont été extrêmement respectueux. Ils sont arrivés, et ont demandé aux parents, aux « enseignants » - si je puis dire, car il ne s'agit évidemment pas d'enseignants - de sortir de la « classe » - ma précédente remarque vaut aussi ici - et jamais les enfants n'ont vu les policiers, qui n'étaient évidemment pas en uniforme dans les salles de classe. Cette école comptait une trentaine d'enfants de deux à six ans, notamment des filles qui portaient toutes le voile, et ses enseignantes pédagogues n'avaient aucun diplôme et portaient toutes le voile intégral. Il n'y avait pas de fenêtres dans les classes, ni de cour de récréation. Quant aux livres, autant vous dire que vous appreniez autre chose que simplement la langue, sur autre chose que les textes sacrés, et qu'on était bien loin du programme édicté par M. le ministre de l'éducation nationale. Pour autant, nous n'avons pu la faire fermer que parce qu'elle ne respectait pas les conditions sanitaires de la covid ! Il faudra donc renforcer et modifier la loi de la République. Quasiment tous ces enfants étaient sortis du système scolaire, et n'étaient pas inscrits à l'école de la République. L'action du ministre de l'éducation et la nôtre se complètent très bien. Merci de nous donner des armes administratives pour lutter.

On contrôle des écoles, qui se présentent souvent comme des « associations pédagogiques », à qui l'on n'a rien à reprocher. Il n'y a pas de honte à se faire contrôler ! Nous considérons que le contrôle de la République doit s'exercer tous les lieux de la République. Il y aura d'ailleurs d'autres contrôles dans les semaines qui viennent.

Monsieur Bonnecarrère, je crois que beaucoup d'armes sont aujourd'hui à la disposition des services de renseignement pour lutter contre le terrorisme, ce qui, du reste, n'empêche pas d'améliorer certains outils. Nous en discuterons lors de la suite de l'examen du projet de loi visant à proroger certaines dispositions de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), qui reviendra devant vous prochainement, puis du projet de loi Renseignement, en 2021.

Je veux souligner que les deux dernières personnes ayant commis des attentats n'étaient pas suivies par les services de renseignement. L'apparition d'un terrorisme nouveau devrait nous inciter à réfléchir. Disposons-nous des bons instruments pour le suivre ? Comment fonctionne-t-il ? On voit bien qu'il passe par des réseaux sociaux, notamment ceux qui permettent des cryptages, ce qui nous empêche d'obtenir certaines informations.

Pour être depuis quinze ans élu dans une commune qui connaît ce genre de difficultés, je suis convaincu que le pouvoir politique et les services publics ne sont pas les seuls à avoir une responsabilité dans la réponse à apporter à la question de ce qu'est la communauté nationale et de ce que sont les règles de la République. Les entreprises, les associations en ont une aussi. Tout cela crée une « ambiance », sur laquelle il est très difficile de légiférer, et les susceptibilités rendent les prises de position difficiles.

J'aimerais que la République une et indivisible, qui ne reconnaît aucun culte, puisse aussi être une réalité dans beaucoup d'endroits où une offre républicaine doit être proposée concurremment à l'offre communautaire - je rejoins tout à fait ce qu'a dit Mme la sénatrice à ce sujet. Tous les partis politiques peuvent être tenus pour responsables de la situation actuelle, et chacun doit faire son mea culpa. Quoi qu'il en soit, nous constatons que, la nature ayant horreur du vide, c'est le monde privé ou civil qui supplée la République quand elle est absente. Il offre une société clés en main, de l'éducation des enfants jusqu'au sport, en passant par le commerce alimentaire et les voyages. Les agents de certains départements qui luttent contre la radicalisation constatent qu'il est possible de vivre à plein temps au sein de sa communauté.

Madame la sénatrice, vous avez raison de dire que l'intervention de la République dans la vie sociale, sous ses formes les plus neutres, permet sans doute de combattre ce qui, parfois, prospère sur la misère.

Sous réserve d'une réunion interministérielle qui se tiendra aujourd'hui, je peux vous dire que l'incrimination spécifique de mise en danger de la vie d'autrui par la diffusion d'informations personnelles pourrait être punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Les réseaux sociaux sont évidemment visés, mais pas seulement, raison qui justifie la mention « par quelque moyen que ce soit », car il est possible que la technique évolue encore plus vite que la loi de la République. Il s'agit de punir tous ceux qui pourraient, par quelque moyen que ce soit, diffuser des informations ou des propos afin qu'il soit porté atteinte à l'intégrité physique et psychique d'une personne. On voit bien que la dimension psychique est présente dans les menaces de mort ou les pressions.

Un secret reste à une seule personne à la fois, disait Talleyrand... Loin de moi l'envie de dévoiler le contenu du texte proposé par le garde des sceaux, mais je ne voudrais évidemment pas mentir à la représentation nationale.

M. Bas et Mme Boulay-Espéronnier m'ont interrogé sur la recrudescence de faits envers les enseignants. Je ne crois pas spécialement que ce phénomène existe. Un préfet est placé à la disposition du ministre de l'éducation nationale. À son arrivée, il a mis en place une cellule permettant de faire remonter les faits qui ne sont pas que des menaces.

En revanche, depuis le procès Charlie, les menaces sont nombreuses. Je l'ai dit dès mon entrée en fonctions. Je me suis exprimé à ce sujet lors de trois points presse qui ont été organisés ces trois derniers mois, mais cela n'a pas rencontré le même écho qu'après l'attentat. J'ai dévoilé le nombre d'étrangers en situation irrégulière soupçonnés de radicalisation bien avant celui-ci. Nous avons expulsé plus d'une trentaine d'étrangers en situation irrégulière qui étaient suivis pour radicalisation depuis que je suis ministre de l'intérieur, et plus de 400 depuis 2017.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux attirer votre attention sur le fait que les menaces ne sont pas toujours assez fermes pour permettre l'arrivée rapide de la police. Anonymes ou non, les menaces sont nombreuses. Elles visent les services publics, les élus... J'ai encore appris tout à l'heure que le maire de Bron avait été menacé de décapitation sur un panneau de la ville. Je veux dire qu'elles touchent aussi les musulmans de France. Ainsi, une croix gammée a été retrouvée ce matin sur la tombe d'un soldat musulman. Des personnes, des imams, des responsables cultuels sont menacés par des séparatistes.

Les services de renseignement nous apprennent que le monde de l'éducation nationale, mais aussi l'ensemble de la société, les élus, les policiers, les gendarmes, les militaires, les journalistes, tous ceux qui, finalement, représentent la France, son identité et ses valeurs sont menacés. C'est encore plus vrai aujourd'hui qu'il y a quelques mois.

Je ne peux pas tout dire, mais sachez que les services de renseignement anticipent beaucoup. Ils obtiennent souvent de très bons résultats, mais il y a des attentats que nous ne parvenons pas à déjouer.

On ne peut pas garantir à la représentation nationale qu'il n'y aura plus d'attentats dans les jours, les semaines ou les mois qui viennent. Ce serait mentir que d'affirmer qu'une société peut tout contrôler. Il nous faut des armes administratives, il nous faut des moyens, mais nous devons comprendre que la guerre avec un ennemi particulièrement déterminé, avec qui nous ne pouvons pas discuter et avec qui il n'est pas possible de faire la paix est une guerre d'un genre nouveau. Il y aura malheureusement d'autres attentats. Nous espérons qu'ils seront les moins nombreux et les moins rapides possible, mais je vous mentirais en vous promettant qu'ils n'arriveront pas. Reste à savoir quand.

3 commentaires :

Le 28/11/2020 à 14:15, aristide a dit :

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"Mais la vidéo sur M. Paty ne tombe pas sous le coup de la loi, même si elle a mené au pire"

Pourquoi sanctionner ceux qui la diffusent alors ? Ou c'est légal, ou ça ne l'est pas

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 28/11/2020 à 14:19, aristide a dit :

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"Cette école comptait une trentaine d'enfants de deux à six ans, notamment des filles qui portaient toutes le voile,"

Elles portaient toutes "un" voile.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 28/11/2020 à 14:27, aristide a dit :

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"Les services de renseignement nous apprennent que le monde de l'éducation nationale, mais aussi l'ensemble de la société, les élus, les policiers, les gendarmes, les militaires, les journalistes, tous ceux qui, finalement, représentent la France, son identité et ses valeurs sont menacés. "

Sympa pour les simples citoyens, qui représentent 99% de l'électorat, ils ne sont pas vraiment la France finalement.

Quand je pense qu'on vous a accusé de jouer le peuple contre les élites, certains n'ont rien compris au film...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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