Mais il est préférable que nous gardions tous notre bonne humeur…
Depuis 2001, disais-je, pensez-vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, que nous, Français, ayons réellement pesé dans les aspects militaires et civiles de l’intervention ?
Sur le plan militaire, nous constatons que les Américains mènent leur propre guerre – Enduring Freedom – et continuent à nous imposer leurs options au sein de l’OTAN.
Rien n’a changé depuis que nous avons réintégré le commandement unifié : par exemple, le général McChrystal a été nommé à la tête de l’ISAF – International Security Assistance Force – sans concertation aucune.
Pendant sept ans, la stratégie américaine a privilégié, d’une part, la mise à l’abri des troupes dans leurs cantonnements et, d’autre part, les bombardements, dont les victimes civiles sont évaluées à 100 000. Nous devons peser fortement sur le commandement américain pour que ces tactiques militaires changent. Êtes-vous décidé à le faire ?
Mais huit ans de perdus dans une mauvaise stratégie font que les Américains et nous avec eux sommes perçus par les Afghans et les peuples de toute la région comme une armée d’occupation, armée « chrétienne » de surcroît, en pays musulman.
En Afghanistan, la reconstruction civile n’a représenté que 8 % des sommes dépensées. L’essentiel est allé à l’effort de guerre. La France va-t-elle décider, au moins pour elle-même, de rééquilibrer quelque peu cette proportion ?
Comment les paysans afghans, qui représentent 80 % de la population et qui n’ont été aidés ni à reconstruire leurs routes rurales ni leurs systèmes d’irrigation et pour lesquels l’électricité reste une chimère, pourraient-ils croire que les Occidentaux sont venus dans leur intérêt rétablir des conditions de vie décentes ?
Aujourd’hui, le pouvoir central est déliquescent. Pour rendre la justice dans leurs villages, les Afghans en sont réduits à faire appel aux talibans. Il faut aussi rappeler que, hors des villes, les filles afghanes restent largement bannies de l’école et que les femmes restent soumises à un statut dégradant.
Il est certain que notre présence demeure nécessaire en Afghanistan. Mais rester avec des chances de succès suppose que la France, dirigée par le Président Sarkozy, cesse d’être à la remorque des Américains. Êtes-vous prêt à reconquérir l’autonomie nécessaire ?
Nous devons exiger d’être partie prenante d’une redéfinition des objectifs de l’ensemble des armées engagées. Il faut impérativement que l’action de la coalition soit recentrée et coordonnée.
Nous savons qu’une guerre asymétrique ne peut être gagnée face à un adversaire qui dispose d’un réservoir inépuisable de guérilleros aguerris. Il n’y aura pas de victoire militaire.
Il faudra négocier et, pour cela, il nous faudra reconquérir une position de force et le soutien d’au moins une partie de la population. Ne soyons pas amnésiques, nous sommes tombés dans le même piège que les Soviétiques et nous imaginons en sortir par le même moyen : l’afghanisation. Après notre départ, elle ne durera pas trois mois avec Hamid Karzaï.
Pensez-vous comme nous qu’il faut traiter le problème en associant toutes les parties sans exclusive : les composantes de la société afghane, l’Iran, le Pakistan, l’Inde, la Russie, la Chine, toutes les parties prenantes ?
Une conférence internationale sous l’égide de l’ONU s’impose. Nous avons tous des devoirs envers les Afghans. Ne partons pas en les laissant entre les griffes de mafias ; nous devons les accompagner dans la mise en place d’institutions adaptées à leur société et qui garantissent un minimum d’État de droit. Il y va de la sécurité de tout le Moyen-Orient, du Pakistan, de l’Inde et donc de la paix mondiale.