Intervention de Jean Castex

Réunion du 29 octobre 2020 à 14h30
Évolution de la situation sanitaire et mesures nécessaires pour y répondre — Débat et vote sur une déclaration du gouvernement

Jean Castex :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est en effet dans un contexte particulièrement dramatique, après l’attentat atroce qui vient d’être perpétré à Nice, que je m’adresse à vous cet après-midi

Le Président de la République s’est rendu sur place. Et il était de mon devoir d’être présent ici, au Sénat, dans le cadre de mes fonctions, comme cela était prévu. La vie démocratique, que certains souhaitent abattre, doit plus que jamais suivre son cours.

La France subit une nouvelle fois une attaque sanglante. La République doit rester debout. Et c’est pour cette raison que je prononcerai depuis cette tribune le discours que j’avais préparé à votre intention.

Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que le vendredi 16 octobre, avec le meurtre de Samuel Paty, c’est la liberté d’expression et d’enseigner qui étaient prises pour cibles. Aujourd’hui, avec les victimes de Nice, c’est la liberté de culte et, au-delà, la liberté de conscience qui sont attaquées.

Dans cette heure d’une gravité exceptionnelle où l’émotion du pays est à son comble, permettez-moi d’adresser, au nom du Gouvernement, mes plus profondes condoléances aux familles et aux proches des victimes. Je tiens également à exprimer un message de soutien, en notre nom à tous, aux catholiques de ce pays frappés au cœur, dans une de leurs églises et à la veille des fêtes de la Toussaint.

Le Président de la République a immédiatement convoqué pour demain un conseil de défense et de sécurité nationale, et j’ai d’ores et déjà porté le plan Vigipirate au niveau « urgence attentat » sur l’ensemble du territoire national.

Non, vous avez raison, monsieur le président, la République ne faiblira pas, la République n’abdiquera pas !

Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut remonter à près d’un siècle dans l’histoire de la France, de l’Europe et du monde pour trouver une crise sanitaire comparable à celles que nous vivons.

Hier soir, le Président de la République a souhaité s’adresser directement aux Françaises et aux Français pour leur faire part des décisions qui ont été prises pour affronter l’épidémie. Il me revient aujourd’hui, comme l’article 50-1 de la Constitution m’y autorise, de venir devant vous pour vous présenter tout à la fois les raisons et les modalités de ces nouvelles mesures. Il nous appartiendra ensuite d’en débattre. Et il vous reviendra de vous prononcer.

Je tiens d’emblée à dire devant la Haute Assemblée avoir parfaitement conscience que nous demandons à nos concitoyens, dans une période déjà particulièrement troublée, de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices, rendus nécessaires par cette nouvelle flambée de l’épidémie.

Cette flambée, vous le savez, ne concerne pas que la France ; l’ensemble des pays européens y est aujourd’hui soumis. L’accélération brutale et soudaine, en large partie imprévue avec une telle intensité, y compris par la communauté scientifique, nous oblige à agir plus fortement encore. Car ce virus, convenons-en tous ensemble, doit appeler chacune et chacun à la plus grande humilité. Le caractère totalement inédit de cette crise et les difficultés à y faire face tiennent, en effet, à ce que ce virus n’existait pas il y a encore un an et reste toujours, en large part, imprévisible.

La France, à l’instar de ses voisins, a déconfiné de manière progressive et territorialisée à partir du 11 mai. Dès que les signes de reprise épidémique se sont manifestés cet été, elle a adopté une réponse également progressive et territorialisée, toujours à l’instar de ses voisins.

Devant la Haute Assemblée, dont je connais l’attachement à la France des territoires, au dialogue et à la proximité, je tiens à saluer les élus locaux. Je suis en relation permanente avec ces élus depuis des semaines et voudrais souligner leur grand sens des responsabilités. Dans la gestion de cette crise, le couple préfet-maire, dont je me suis toujours fait l’ardent promoteur, fonctionne très bien. Je remercie également les régions et les départements de leur mobilisation constante.

Toutefois, cette stratégie se heurte aujourd’hui à la flambée de l’épidémie, j’insiste sur ce mot. Je l’ai dit ce matin devant l’Assemblée nationale et vous le savez : aucun pays d’Europe n’est épargné. Je discute régulièrement avec mes homologues de la situation à laquelle ils sont confrontés et des mesures qu’ils prennent.

En France, l’épidémie est désormais partout et sévit sur l’ensemble des territoires. Si la mortalité, comme pendant la première vague, affecte principalement des personnes très âgées, la maladie frappe toutes les générations, avec des formes graves et des séquelles parfois lourdes et durables.

Aujourd’hui, 60 % des lits de réanimation sont occupés par des patients covid, soit deux fois plus qu’il y a quinze jours. Nous allons devoir gérer un mois de novembre avec un pic d’hospitalisations vraisemblablement plus élevé qu’au mois d’avril dernier. L’accélération du virus nous oblige à presser la mise en œuvre de nouvelles mesures sanitaires

C’est la raison pour laquelle le Président de la République a décidé d’instaurer un nouveau confinement à l’échelle du pays tout entier jusqu’au 1er décembre avec des adaptations pour les seuls départements et territoires d’outre-mer. Tous nos voisins européens sont ou seront contraints d’adopter des mesures similaires, et ce pour une raison simple : c’est la seule solution pour sauver des vies.

Il ne m’a pas échappé que certains soutiennent que multiplier les lits de réanimation suffirait à endiguer l’épidémie. Mais c’est refuser de comprendre que les murs et les lits ne suffisent pas, que l’on ne forme pas un médecin réanimateur ou une infirmière spécialisée en six mois. Quand bien même, mesdames, messieurs les sénateurs, pourrions-nous augmenter sans limites nos capacités hospitalières, ce raisonnement supposerait que nous acceptions de voir le nombre de morts et de personnes intubées s’envoler. C’est exactement vers le contraire que nous devons aller : prévenir plutôt que guérir, empêcher l’épidémie de progresser.

Par ailleurs, il est une seconde idée fausse que je ne peux pas laisser prospérer et que j’entends bien combattre devant vous. Certains, en effet, proposent de confiner les plus vulnérables de nos concitoyens, à commencer par les personnes âgées. Qui peut croire qu’il serait possible d’établir un mur étanche entre les aînés et le reste de la population ?

Il est tout aussi faux de penser que l’on pourrait laisser galoper impunément l’épidémie dans toute la population sans qu’elle finisse par atteindre celles et ceux que nous cherchons justement à protéger.

Pourtant, nous savons d’expérience que le confinement n’est pas exempt de graves conséquences économiques, psychologiques et sociales. C’est la raison pour laquelle la nouvelle forme de confinement que nous avons décidée sera différente de celle que nous avons connue au printemps dernier. Nous avons appris et tiré des leçons de la première vague.

Première différence majeure : les établissements scolaires resteront ouverts. Le confinement du printemps dernier a accru le risque de décrochage scolaire pour les enfants, en particulier les plus défavorisés. Je sais également que les enseignants ont été alors affectés d’être séparés de leurs élèves, mais je sais aussi pouvoir compter sur leur dévouement et leur attachement à l’école de la République, à un moment où elle a été attaquée avec la volonté de l’intimider.

Au-delà de l’école, nos grands services publics – je pense à La Poste ou aux guichets des administrations – doivent également continuer à fonctionner dans cette nouvelle phase. Aussi, les crèches, les écoles, les collèges, les lycées resteront ouverts ; et il en ira de même du secteur périscolaire.

Dès la rentrée de lundi, en dehors du renforcement général de nos mesures de sécurité, le protocole sanitaire applicable à ces établissements sera renforcé pour assurer la protection de tous : enfants, enseignants, parents d’élèves. Conformément aux avis que nous ont transmis hier la société française de pédiatrie et le Haut Conseil de la santé publique, le port du masque sera étendu aux enfants du primaire dès l’âge de 6 ans.

Alors que la France avait connu une récession parmi les plus fortes en Europe avec le confinement du mois de mars, tout doit être fait, cette fois-ci, pour éviter de connaître une chute de l’activité économique aussi brutale. Il ne peut être question de mettre de nouveau notre économie sous cloche. Le plus grand nombre d’entre nous doit continuer à pouvoir travailler, autant que possible, dans des conditions sanitaires optimales, tout en stoppant la circulation virale.

Pour cela, le recours au télétravail doit être organisé de la manière la plus massive possible dans les entreprises comme dans les administrations publiques. S’agissant de ceux pour qui le télétravail est impossible et dont les activités resteront autorisées, des attestations dérogatoires permettront de poursuivre leur activité.

Le secteur du BTP doit continuer à travailler, nos usines doivent fonctionner et les agriculteurs poursuivre leurs activités. Pour autant, nous le savons, mesdames, messieurs les sénateurs, ce confinement aura, malgré notre volonté de l’adapter, des conséquences sociales et économiques lourdes, en particulier pour les secteurs déjà fragilisés qui vont de nouveau faire l’objet d’une fermeture administrative. C’est aussi ce défi considérable que nous devons relever.

Je comprends la difficulté immense et la détresse qui touchent ceux que, pour des motifs d’intérêt général sanitaire, l’on empêche de travailler. Comme lors de la première vague, les commerces, à l’exception de ceux de première nécessité, seront fermés, ainsi que les bars et les restaurants. Seront également fermées les entreprises de l’événementiel, du sport, et les secteurs du cinéma et du spectacle vivant cesseront leur activité. Suspendre temporairement ces activités est particulièrement douloureux, car il y va aussi de l’esprit français. Mais nous devons à nos concitoyens une ligne claire et des décisions lisibles.

Je pense aussi à ceux dont l’activité qui, sans être formellement interdite, subit de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire : le tourisme, l’hôtellerie, l’aéronautique et l’automobile. Nous ferons tout pour accompagner ces secteurs, leurs salariés et en particulier les indépendants, afin de repousser et d’éviter le risque de faillite.

L’État, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, a déployé, au cours de la première vague, des mesures de soutien tout à fait exceptionnelles saluées en Europe comme étant parmi les plus ambitieuses. Ces mesures seront reconduites et amplifiées, car nous savons que notre tissu économique a été particulièrement fragilisé depuis le printemps dernier.

Mercredi, le conseil des ministres adoptera un nouveau projet de loi de finances rectificative pour l’exercice 2020 prévoyant une enveloppe de 20 milliards d’euros supplémentaires pour financer ces mesures de soutien exceptionnel. Ces dépenses, que nous devons assumer ensemble, sont d’abord un investissement, car elles ont pour objet de limiter le coût économique, financier, mais surtout humain de cette pandémie.

Le Gouvernement a parfaitement conscience que certains de nos concitoyens ont souffert plus que d’autres depuis le début de cette crise et que ce sont les mêmes qui seront tout particulièrement affectés par ce nouveau confinement ; je pense évidemment aux jeunes, aux indépendants, aux travailleurs dits « de la deuxième ligne », aux personnes fragiles et précaires.

En concertation avec les partenaires sociaux que j’ai reçus en début de semaine et dont je salue le haut sens des responsabilités, avec les associations et les organisations professionnelles, nous allons renforcer les solutions adaptées à leur situation. Permettez-moi de m’adresser directement à eux, à travers vous, pour leur dire que la solidarité nationale continuera à se déployer pleinement.

Les mesures que nous prenons sont particulièrement difficiles à accepter pour une population qui a déjà affronté de longues semaines de confinement au printemps dernier. C’est la raison pour laquelle la situation sera soumise à une première évaluation au bout de quinze jours, afin d’ajuster éventuellement ce dispositif. Nous sommes déjà à pied d’œuvre pour anticiper l’échéance du 1er décembre, pour améliorer encore nos outils de prévention, pour tester mieux et plus, pour alerter plus vite, pour protéger de manière plus efficace, pour vivre avec ce virus jusqu’à ce que la science nous permette d’en venir à bout.

Nos concitoyens sont inquiets, beaucoup sont en souffrance. Tous sont concernés par cette maladie, tous sont menacés par la crise économique qui en résulte. Cette crise, mesdames, messieurs les sénateurs, est finalement un rendez-vous avec nous-mêmes. Car la vie avec le virus, la maîtrise de l’épidémie reposent avant tout sur notre responsabilité individuelle et collective. Une part de la solution est entre les mains de chacune et chacun d’entre nous. Adaptons nos comportements, respectons les gestes barrières. Protégeons-nous, protégeons les autres, y compris chez nous.

Nous devons tous nous hisser à la hauteur des circonstances exceptionnelles que traverse la France. Nous vivons un moment particulièrement difficile. Nous devons affronter avec le virus un ennemi qui n’a ni stratégie, ni tactique, ni volonté particulière, mais qui tue. Aujourd’hui, si la France est de nouveau horrifiée et endeuillée, la République tient debout.

La double épreuve qui nous frappe est totalement inédite. Nous devons, mesdames, messieurs les sénateurs, faire corps. Nous faisons le choix de la vie et de la solidarité, car finalement c’est le seul qui s’impose.

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