Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir bouleversé les industries de la musique et de l’audiovisuel, la révolution numérique touche aujourd'hui le livre. C’est une nouvelle étape dans l’histoire de l’écrit. Nous devons donc revoir notre conception du livre et, surtout, gérer la réorganisation de son économie.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que le livre connaît des bouleversements liés à l’évolution des techniques. Celles-ci ont fait évoluer le support, le contenu, mais aussi les modes de lecture. Mais, aujourd’hui, c’est à une révolution extraordinaire que nous assistons : celle de l’accès au savoir grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il ne faut pas perdre de vue le considérable potentiel que cela représente en termes d’accès libre de tous à la lecture et à la culture.
Les téléphones multifonctions, les ordinateurs miniatures, les liseuses de poche se multiplient, se perfectionnent et offrent de nouveaux supports de lecture, autres que le papier. Si leur essor est, pour l’instant, marginal concernant la lecture, on ne saurait les ignorer et imaginer que leur développement ne sera jamais exponentiel.
C’est bien pour cette raison que nous ne devons pas laisser passer une telle opportunité, ni laisser à des géants du commerce international la gestion de ce qui constitue, selon nous, une mission de service public : la transmission du patrimoine, notamment aux générations futures.
La numérisation du patrimoine écrit est une nécessité, nul ne peut le contester. Cependant, elle doit se faire dans le respect de l’idéal républicain, que nous ne devons pas abandonner, quelles que soient nos sensibilités.
Les géants de l’internet ont déjà pris les choses en main, surtout les Américains, dotés de considérables moyens financiers. Nous n’en sommes qu’à l’aube de la vie numérique du livre, et il importe de ne pas laisser à ces seuls acteurs privés et financiers tout pouvoir pour organiser celle-ci. Si leurs objectifs diffèrent des nôtres, au moins pouvons-nous espérer agir de façon complémentaire, sans opposition ni hostilité. Quelles que soient les évolutions technologiques auxquelles nous devrons faire face, nous devons nous attacher à préserver l’âme, l’esprit de la culture.
À l’heure où les bases de données sont encore d’une taille relativement peu importante, n’est-ce pas le moment pour les Européens et les Américains d’admettre la cohérence et l’intérêt de procéder à une numérisation raisonnée et partagée ?
Le géant de la recherche sur internet, Google, ne fait pas les choses à moitié, c’est le moins que l’on puisse dire. Il va lancer en Europe, au premier semestre 2010, sa bibliothèque numérique dotée d’une base de 500 000 titres proposés aux internautes.
En France, la grande majorité des éditeurs contestent, à juste titre, d’ailleurs, un tel comportement, en invoquant notamment la défense des droits d’auteurs sur internet. Il est en effet impensable que la numérisation des ouvrages puisse avoir lieu sans tenir compte de cette protection. La propriété littéraire et les auteurs doivent être protégés avant tout. Sans auteurs, plus de livres : c’est un lieu commun que de le dire. Sans ce souffle de l’inspiration, sans cette protection indispensable aux écrivains, la création littéraire ira à l’évidence en s’affaiblissant.
Les Européens, quant à eux, travaillent sur la base de données Europeana, un projet encore balbutiant devant permettre la consultation d’œuvres et d’ouvrages appartenant aux fonds des bibliothèques et des musées de l’Union européenne tout entière. Cette base de données est censée représenter l’outil idéal de valorisation du patrimoine culturel européen, capable de dynamiser les universités européennes pour faire face à la concurrence. Mais, pour l’instant, nous en sommes bien loin, et le coût considérable des numérisations rend le développement du projet lent et très incertain.
Aujourd’hui, c’est bien le coût insupportable des numérisations projetées qui pousse la Bibliothèque nationale de France à se rapprocher de son concurrent américain pour compléter sa base de données « Gallica ».
Le secteur musical n’avait pas vu venir la vague internet ; son économie a vacillé et souffre toujours. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, nous ne cessons de légiférer ces derniers mois pour tenter d’endiguer les problèmes liés au téléchargement illégal de musique sur internet.
Il est donc fondamental d’anticiper en ce qui concerne le livre numérique. Il faut développer et consolider le plus rapidement possible une offre légale, même payante.
Monsieur le ministre, où en sommes-nous précisément aujourd’hui ? Au nom du groupe RDSE, je me réjouis que notre collègue Jack Ralite ait souhaité inscrire sa question à l’ordre du jour. Je tiens à saluer son remarquable exposé, qui témoigne de sa parfaite connaissance en la matière.
Ce sujet est passionnant et fondamental pour l’avenir de notre mémoire collective. Toutefois, si la numérisation du livre s’avère indispensable, n’oublions jamais que le support papier demeure encore le meilleur moyen pour créer un moment de plaisir et d’émotion forte, un lien invisible entre l’auteur et le lecteur !