Les territoires doivent avoir les moyens d’être plus dynamiques, plus souples, pour répondre aux défis contemporains. Il est temps de reconnaître la formidable inventivité des territoires et de lui permettre de s’exprimer. À nous désormais, au travers de nos politiques publiques, de mieux prendre en compte la diversité et les singularités de ces derniers, afin de leur permettre d’apporter les réponses les mieux adaptées à leurs besoins et à ceux de leurs habitants. C’est ce que j’appelle – c’est l’une de mes antiennes ! – le « sur-mesure », ou le « cousu-main ».
Cette nouvelle étape que nous vous proposons aujourd’hui, c’est bien celle d’une décentralisation de liberté et, peut-être plus encore, une décentralisation de confiance : confiance dans les territoires, confiance dans les élus locaux et confiance dans les citoyens.
Cette confiance est, je le crois, absolument nécessaire dans le contexte particulièrement difficile que traverse notre pays. À l’heure où nous devons faire face à une crise sanitaire, à bien des égards dramatiques, nous devons également avoir plus que jamais la République en partage.
La cohésion des territoires dont je suis chargée impose de marcher sur une « ligne de crête », de trouver le point d’équilibre entre la pente naturelle vers davantage de liberté et l’impératif de cohésion nationale, c’est-à-dire d’unité de la République et d’équité entre les territoires. Ce débat est essentiel, et je crois que nous allons avoir l’occasion de l’aborder plus en détail puisque le groupe CRCE a déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur ce sujet.
Le projet de loi organique que je présente aujourd’hui vise à faciliter les expérimentations pour les collectivités locales, afin qu’elles ouvrent la voie à une différenciation durable.
Trop d’éléments bloquants demeuraient jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, seules quatre expérimentations ont été menées depuis 2003 sur la base du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution.
Le projet de loi organique, issu en grande partie d’une étude du Conseil d’État que nous avions saisi du sujet, doit permettre d’assouplir les conditions des expérimentations territoriales et de les rendre, à la fois, plus simples d’accès, plus rapides à mettre en œuvre et plus attractives pour les collectivités.
Premier objectif : simplifier considérablement la procédure d’entrée dans l’expérimentation.
Les collectivités qui répondent aux conditions prévues par la loi prévoyant l’expérimentation pourront désormais décider elles-mêmes d’y participer. Vous le savez, elles ne peuvent actuellement qu’en faire la demande, la décision finale relevant du Gouvernement, qui fixe par décret la liste des collectivités admises à participer. L’entrée dans l’expérimentation sera ainsi considérablement facilitée : les collectivités pourront le faire par simple délibération de leur assemblée délibérante, au fur et à mesure qu’elles le décideront.
Cette procédure devrait ainsi réduire le délai moyen d’entrée dans l’expérimentation, actuellement d’un an, à deux mois.
Les actes pris dans le cadre des expérimentations ne seront plus publiés qu’à titre d’information au Journal officiel, alors que cette publication conditionne aujourd’hui leur entrée en vigueur.
Enfin, le contrôle de légalité sera allégé. Actuellement, tous les actes pris dans le cadre des expérimentations sont soumis à un contrôle de légalité renforcé et dérogatoire, avec un déféré suspensif. Le projet de loi organique ne restreint ce régime spécial qu’à la décision d’entrée dans l’expérimentation, pour éviter que des collectivités ne répondant pas aux conditions prévues par la loi n’entament sa mise en œuvre.
Deuxième objectif : assurer une évaluation plus pertinente des expérimentations.
D’abord, le rapport d’évaluation final de chaque expérimentation, transmis au Parlement, est naturellement maintenu. Il s’agit d’un préalable indispensable aux décisions sur le devenir des mesures prises à titre exceptionnel.
Ensuite, la commission des lois a introduit un rapport d’évaluation à mi-parcours de chaque expérimentation. J’y suis très favorable. Il s’agirait, en effet, d’un document fort utile pour les collectivités participantes et pour celles qui hésiteraient à rejoindre l’expérimentation.
Enfin, le rapport annuel recensant les propositions et les demandes d’expérimentation apparaît désormais superflu, au vu des deux points précédents. Ce rapport est non pas un rapport d’évaluation des expérimentations, mais un simple recensement des demandes d’entrée dans les expérimentations. Il n’a plus lieu d’être, dans la mesure où les collectivités entreront désormais directement dans les expérimentations, sans demander l’autorisation du Gouvernement.
Troisième objectif, et c’est un élément décisif de notre texte : sortir de l’alternative binaire entre la généralisation ou l’abandon de l’expérimentation.
Le législateur aura désormais quatre options à l’issue de la période d’expérimentation : la prolongation de l’expérimentation, pour une durée ne pouvant excéder trois ans, si l’on estime qu’elle est nécessaire ; la pérennisation et la généralisation des mesures prises à titre expérimental ; la pérennisation, sans généralisation, des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales ayant participé à l’expérimentation, ou dans certaines d’entre elles, et leur extension à d’autres collectivités territoriales ; l’abandon de l’expérimentation, au motif qu’elle ne serait pas justifiée.
Au regard du bilan du dispositif expérimenté, la loi pourra également modifier les dispositions régissant l’exercice de la compétence ayant fait l’objet de l’expérimentation. Il s’agit de laisser au législateur une marge d’adaptation pour effectuer les ajustements nécessaires.
Je veux ici préciser que c’est naturellement dans le respect du principe constitutionnel d’égalité que la pérennisation de mesures prises à titre expérimental dans certaines parties du territoire pourra être effectuée.
Simplifier ne suffit pas ; il faut aussi accompagner. Pour nous assurer de l’effectivité des futures expérimentations, nous allons renforcer notre organisation institutionnelle pour mieux accompagner les collectivités dans leur mise en place.
En premier lieu, nous allons suivre la recommandation du Conseil d’État de créer des « guichets permanents » afin de favoriser ces initiatives.
Concrètement, un tel guichet permettra à l’État de recueillir les propositions des collectivités territoriales en matière d’expérimentation, et aux collectivités territoriales de solliciter une ingénierie juridique pour les accompagner dans le montage de leurs dérogations aux normes législatives et réglementaires.
Plusieurs amendements soulignent ce besoin d’accompagnement. Celui-ci est légitime et j’y suis très sensible, mais je tiens à dire qu’il ne relève pas du domaine législatif. Cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agit d’une question sans importance.
En second lieu, et c’est une constante de notre action depuis 2017, nous renforçons en parallèle l’aide à l’ingénierie pour libérer partout les initiatives et les projets des collectivités.
Pour permettre le « sur-mesure » que j’évoquais, nous avons forgé un outil complémentaire de ceux qui existaient déjà dans les territoires : l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), que nous avons créée ensemble le 1er janvier 2020.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte, que je viens d’évoquer devant vous, constitue une nouvelle étape, après la loi Engagement et proximité (loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique), de notre action pour les territoires, parce qu’il repose sur les principes clés qui nous guident depuis plus de trois ans – la liberté et la confiance – et surtout parce qu’il donne de nouveaux moyens concrets aux territoires pour imaginer et mettre en œuvre les nombreux projets et initiatives qui, sans cela, n’auraient peut-être pas vu le jour.
Dès janvier 2021, je présenterai en conseil des ministres le second temps de cette nouvelle étape de la décentralisation, avec le projet de loi dit « 3D », ou « 4D » si vous préférez, dans lequel nous allons consacrer les trois principes de différenciation, décentralisation et déconcentration, auxquels s’ajoute désormais la décomplexification.
Ce texte, pleinement complémentaire, permettra également de fournir aux collectivités l’ensemble des outils nécessaires pour accélérer partout les transitions. Il est guidé par les mêmes grands principes : simplifier – c’est d’ailleurs l’objectif récemment assigné au quatrième « D » que je viens de citer –, accompagner, en rapprochant les moyens de l’État des territoires, et enfin, évidemment, libérer.