Parmi les principes qui s’imposent au législateur, l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi ont valeur constitutionnelle.
L’organisation territoriale française a déjà été rendue hautement complexe par les réformes qui ont modifié les niveaux de compétences ou qui ont renforcé les intercommunalités. Ce texte, dans lequel le Gouvernement propose que la loi puisse ne pas s’appliquer partout en France, en fonction des collectivités, ajouterait indéniablement de la complexité à un droit déjà peu lisible. Il créerait, en outre, une insécurité juridique sans commune mesure pour les citoyens et pour les élus locaux.
Une telle complexification irait à rebours de tout apaisement de la crise démocratique qui touche la France. La participation aux élections locales semble, en effet, évoluer en parallèle des mouvements de décentralisation.
Or la différenciation rendrait illisible les enjeux politiques locaux, dans la droite ligne du mécanisme qui a consacré l’échec de la décentralisation, et dont la création de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) constitue l’exemple le plus flagrant : elle a perdu le nom de département, tout en gardant le statut de département, mais en ayant des compétences que n’ont pas les autres départements. Le schéma territorial en ressort émietté et le décideur introuvable. Le Gouvernement a saisi l’opportunité de « faire de la décentralisation » par les élus et pour les élus, ce qui ne manquera pas d’aggraver l’éloignement des citoyens de la vie locale : alors que, en 1986 le taux d’abstention aux élections régionales était de 25 %, il atteignait les 50 %, en 2015.
Une autre raison pour laquelle nous refusons de laisser prospérer un tel projet tient à ce qu’il vient nourrir des antagonismes que nous estimons néfastes pour notre République. De nouvelles réflexions émergent autour du concept pluriel des « territoires », qui sert à opposer les territoires locaux à celui de l’État mais également les collectivités entre elles. Une telle vision ne peut que renforcer les particularismes locaux et les desiderata identitaires.
Les enjeux politiques, de plus en plus complexes, favorisent une incompréhension générale, qui offre aux mouvements régionalistes un terrain fertile où se développer, en mettant en avant des arguments identitaires dans lesquels les électeurs se reconnaîtront d’autant plus facilement.
Le fait de différencier les compétences et l’application des lois accrédite également ces mouvements. Attribuer une dérogation ou une compétence spéciale à une collectivité revient, en effet, à reconnaître son exceptionnalité et à renforcer un sentiment d’identité particulière. Le statut spécifique attribué à la Corse, en 1991, par exemple, n’a fait qu’exacerber le régionalisme corse.
Ce cercle vicieux favorise, en outre, la surenchère entre collectivités : à la suite de la création de la CEA, la Moselle veut devenir un « eurodépartement ». Pourtant, ce n’est pas l’identité d’une collectivité qui la rend plus à même de gérer telle ou telle compétence.
Enfin, le droit à la différenciation territoriale représente une rupture singulière, qui ne pourra que creuser les inégalités entre les territoires et a fortiori entre les citoyens. En effet, exercer une compétence nécessite d’en avoir les moyens. Or seules les collectivités les plus dotées se lanceront sans inquiétude dans de tels combats, pour en tirer avantage aux dépens des collectivités plus pauvres. Les oppositions en sortiront renforcées, que ce soit entre territoires urbains et ruraux, villes riches et villes pauvres, métropole et périphérie.
Mes chers collègues, nous ne sommes plus dans un débat où s’affronteraient Jacobins et Girondins. J’en veux pour preuve qu’aucun Girondin n’a jamais interrogé l’unité de la loi. Le président Macron n’est ni l’un ni l’autre ; il est profondément européen, non pas comme je le suis, mais dans un sens libéral. Il défend une organisation de grandes collectivités autonomes, formées autour de métropoles assez puissantes et indépendantes pour se positionner sur le marché de la mondialisation.
Le texte qui nous est présenté peut sembler n’être qu’un petit pas dans cette voie. Cependant, les petits pas nous éloigneront l’un après l’autre des principes que nous voulons défendre pour notre pays.
C’est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain citoyen et écologiste souhaite ne pas poursuivre la délibération sur ce projet de loi organique.