Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si j’interviens aujourd’hui devant vous pour m’exprimer contre la motion déposée par Mme Assassi et les membres du groupe CRCE, ce n’est certainement pas pour saluer l’ambition et l’ampleur de la réforme du droit des collectivités territoriales traduites dans le texte que nous présente le Gouvernement.
En effet, comme le relèvent très justement mes collègues Mathieu Darnaud et Françoise Gatel, corapporteurs de la commission des lois, ce texte se contente « d’ajustements essentiellement techniques, qui ne sont pas de nature à consacrer un véritable droit à la différenciation ».
Nous sommes donc loin du « grand soir » de la différenciation, ainsi que des propositions gouvernementales d’évolution de la Constitution, contrairement à ce qu’ont laissé entendre nos collègues du groupe CRCE dans l’objet de leur motion. Ce n’est d’ailleurs pas une mauvaise chose, compte tenu des problématiques soulevées, à l’époque, par certaines des orientations territoriales envisagées dans le projet de révision constitutionnelle.
Les ambitions affichées du Gouvernement seraient, de toute manière, impossibles à concrétiser par la loi organique. En effet, l’encadrement des expérimentations, tel qu’il figure au quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution, impose sur ces questions des limites à la créativité de l’exécutif.
Pourtant, le mot d’ordre de « différenciation » a son importance : à une époque où l’échelon local et la proximité sont plus pertinents que jamais dans l’action publique, ce terme résonne chez nos concitoyens et leurs élus locaux. On devine dans le texte d’aujourd’hui un premier pas dans cette direction, dans l’attente d’une loi 3D – ou 4D, entend-on dire aussi maintenant – dont la genèse a été jusqu’ici assez difficile.
En l’occurrence, il est question, en plus d’un certain nombre de mesures purement procédurales et de contrôle parlementaire, de rendre plus flexible l’issue des expérimentations, en autorisant la pérennisation locale des dispositions expérimentales, ou leur extension à une partie seulement des autres collectivités.
Je comprends la nature des questions juridiques soulevées par Mme Assassi, qui nous dit qu’une telle disposition constituerait une brèche dans les principes d’égalité entre les collectivités, d’une part, et entre les citoyens, d’autre part.
En examinant la question sur le plan juridique, je considère néanmoins que les inquiétudes sur la constitutionnalité des modifications qui nous sont présentées restent globalement infondées.
En effet, la Constitution n’impose pas l’absolue identité des règles applicables aux collectivités. J’en veux pour preuve que l’existence de différences, de nature constitutionnelle pour certaines, ou infraconstitutionnelle pour d’autres, est déjà une réalité. Or ces différences ne portent guère de risques pour l’unité nationale de notre pays. Des territoires aussi variés que la Polynésie, la métropole de Lyon ou encore l’Alsace-Moselle – Moselle que je représente au Sénat – possèdent déjà certaines spécificités, sans que cela semble annoncer la fédéralisation de la France.
Par ailleurs, comme je le mentionnais, il semblerait que la transition du véhicule constitutionnel au véhicule organique, pour les mesures proposées par le Gouvernement, se soit également accompagnée d’une diminution sensible de leur ambition. Le Conseil d’État, dans son avis du 16 juillet dernier, n’a pas soulevé de difficultés particulières à ce sujet.
Enfin, je me dois aussi de relever que la commission des lois a effectué un travail de consolidation juridique de nature à garantir la constitutionnalité des dispositions de l’article 6 du texte : les expérimentations devront nécessairement intervenir « dans le respect du principe d’égalité ».
La question politique demeure donc de savoir s’il faut de la différenciation territoriale. La commission et mon groupe y apportent une réponse globalement favorable ; avec pour réserve que cette différenciation devra être soigneusement discutée et calibrée. Une révision du dispositif des expérimentations de l’article 72 de la Constitution, même d’envergure limitée, est un petit pas dans la bonne direction.
Dans ses cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales, la Haute Assemblée a déjà posé des jalons. De nombreux travaux restent à mener pour trouver les bons équilibres, par exemple en ce qui concerne l’outre-mer, comme le démontrait, dans son dernier rapport, notre ancien collègue président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, M. Michel Magras.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains est en désaccord avec la motion des membres du groupe CRCE, et votera contre.