Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à vous dire que, moi aussi, j’aurais aimé que le projet de révision constitutionnelle aille à son terme ! Il aurait permis de simplifier encore davantage la procédure et d’aller plus loin dans la différenciation.
Pour autant, je ne crois pas qu’il fallait ne rien faire et rester les bras ballants. Par conséquent, madame la présidente Assassi, ce texte n’est ni un subterfuge ni une manipulation, c’est un moyen de donner du souffle, pour reprendre le terme employé par Mme Gatel, pour avancer dans le cadre du droit constitutionnel constant.
En effet, aucune modification de la Constitution n’est nécessaire pour adopter les dispositions que contient ce projet de loi organique, dont je rappelle qu’il devra être soumis à l’examen du Conseil constitutionnel. Voilà une garantie importante.
Le Conseil d’État l’a énoncé à deux reprises, ces dernières années, dans son avis du 7 décembre 2017, et dans son étude sur les expérimentations, publiée en octobre 2019 : la différenciation est possible à cadre constitutionnel constant et se fonde sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, plus précisément la décision du 6 mai 1991, aux termes de laquelle « le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».
Il en résulte donc que les règles régissant l’exercice des compétences locales peuvent être différentes selon les territoires, sous réserve qu’elles soient justifiées par des différences de situation entre ces territoires.
C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État a permis que nous prévoyions que les mesures prises à titre expérimental puissent être maintenues dans tout ou partie des collectivités expérimentatrices, et étendues à d’autres.
Quant à vos craintes que ce projet de loi organique mette à mal l’égalité entre les territoires et l’unicité de la République, je veux faire preuve de la plus grande clarté.
D’abord, il est important de distinguer l’égalité « formelle », à laquelle vous faites référence, de l’égalité « réelle ». Ces dernières années, l’égalité formelle de traitement entre les territoires n’a pas contribué à résorber les fractures territoriales. Au contraire, ces dernières se traduisent très concrètement par de très fortes assignations à résidence et d’insupportables inégalités de destins, ce qui in fine remet fortement en cause notre modèle social.
Dès la première Conférence des territoires, qui s’est tenue au Sénat, en juillet 2017, le Président de la République avait prévenu : « L’égalité, qui crée de l’uniformité, n’assure plus l’égalité des chances sur la totalité de notre territoire, aujourd’hui. »
Voilà pourquoi l’égalité devant la loi doit parfois être contrebalancée par un principe d’équité. En effet, qui comprendrait qu’on traite exactement de la même manière un quartier politique de la ville ou un quartier d’affaires ? Un territoire urbain ou un territoire rural ? Un territoire de montagne ou un territoire littoral ? Les revendications sur ces sujets se font souvent entendre dans la Haute Assemblée.
Les politiques publiques sont déjà différenciées et les territoires souhaitent que le Gouvernement accentue cette tendance, de sorte que nous ne pouvons pas rater cette étape.
En tant que ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, je veillerai à garantir l’équilibre, l’équité et l’unité de notre pays. Le texte que nous examinons aujourd’hui est une chance pour les territoires qui souffrent de la fracture territoriale.
Le Gouvernement ne peut qu’émettre un avis défavorable sur cette motion.