Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà près de vingt ans que le droit à l’expérimentation s’exerce en France, avec un bilan mitigé.
Le projet de loi organique discuté aujourd’hui s’appuie sur le rapport rendu par le Conseil d’État à la suite d’une commande du Premier ministre datant de janvier 2019 et l’on entend traduire, au travers de ce texte, certaines des préconisations de ce rapport, mais pas toutes.
Ainsi, l’une des principales recommandations consistait à alléger les contraintes de procédure qui freinent la participation des collectivités territoriales aux expérimentations. Nous partageons le constat ; la procédure à suivre pour participer à ce type d’expérimentation, qui comprend sept étapes, est trop lourde et elle dissuade les collectivités territoriales. Elle n’est pas en adéquation avec les pratiques en matière de politique locale et les élus attendent plus de facilité et de souplesse dans la mise en œuvre des expérimentations.
Le principe même de celles-ci repose sur la méthode expérimentale théorisée par les sciences empiriques, en particulier par les travaux de Claude Bernard, notamment dans son Introduction à l ’ étude de la médecine expérimentale, publiée en 1865 : la science progresse par essais et par erreurs, par conjonctures et par réfutations. Le concept est donc ancien, mais les pratiques sont encore très récentes, même si elles se sont développées au cours des dernières années, de même que la pratique du retour d’expérience.
Pour encourager les collectivités à recourir davantage à l’expérimentation, l’assouplissement de la procédure permettant d’y participer ne suffira pas ; nous devons également accroître les moyens des collectivités afin de sécuriser, en amont, la méthodologie utilisée et de permettre une meilleure capitalisation des expériences menées.
Sur ces points, il est regrettable que le Gouvernement n’ait pas suivi les recommandations du Conseil d’État, préférant notamment renoncer à la transmission obligatoire au Parlement, par l’exécutif, de rapports annuels d’évaluation, qui sont pourtant la clé de voûte du dispositif d’expérimentation, car cela permet de comprendre, de mesurer et d’ajuster les politiques publiques. Heureusement, la commission des lois a amélioré, au travers des amendements des corapporteurs, le projet initial du Gouvernement sur ce point.
Autre écueil de ce texte : l’absence de prise en compte du cadre méthodologique utilisé par les collectivités. Nombre d’expérimentations souffrent encore de carences méthodologiques : objectifs contradictoires, faible association des citoyens et des publics concernés par l’expérimentation ou encore absence d’outils d’évaluation.
Certaines actions sont également présentées à tort comme des expérimentations, faute de cadre méthodologique et d’évaluation, et ressemblent plus à des manœuvres visant à faire accepter une décision déjà prise plutôt qu’à une vérification de la pertinence d’une réforme envisagée. Soyons collectivement responsables et rigoureux sur le cadre proposé pour mener ces expérimentations et ne dévoyons pas l’outil.
D’autres recommandations du rapport ont été occultées alors qu’elles contribueraient à la qualité et à la fiabilité des expérimentations, notamment le renforcement du besoin d’ingénierie et d’accompagnement par l’État, l’amélioration des modalités d’évaluation ou encore la capitalisation des expérimentations menées.
Enfin, ne l’oublions pas – le Conseil d’État vient de nous le rappeler –, le « recours accru aux expérimentations […] est aussi un symptôme de la complexité et de la rigidité de notre système normatif. » Dans la mesure où les lois et règlements sont trop nombreux et trop complexes et qu’ils laissent peu de place au pouvoir réglementaire local, nous pouvons assouplir le processus du recours aux expérimentations, mais nous devons aussi veiller à simplifier le cadre normatif et à accélérer les étapes de la décentralisation, afin de redonner plus de pouvoir aux collectivités locales.