Intervention de Éric Kerrouche

Réunion du 3 novembre 2020 à 14h30
Simplification des expérimentations du quatrième alinéa de l'article 72 de la constitution — Discussion générale

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

… d’où ce projet de loi organique. La loi Engagement et proximité est utile mais limitée ; en particulier, elle n’a pas traité son objet principal, à savoir la question du statut de l’élu, puisqu’elle n’avait qu’une vocation corrective. Un projet de loi intitulé « 3D » puis « 4D » a été annoncé, confirmé, réannoncé, reconfirmé, mais il est toujours différé. Enfin, on nous présente ce projet de loi organique, deuxième véritable texte du Gouvernement.

Beaucoup de choses ayant été dites, je ne reviendrai pas sur tout.

Nous nous inscrivons dans le cadre du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution, qui permet aux collectivités territoriales de déroger, pendant un temps limité et sur un objet circonscrit, aux dispositions législatives et réglementaires régissant l’exercice de leurs compétences.

L’expérimentation, c’est, précisons-le, de l’adaptation. Pour reprendre les conclusions de ma collègue, le professeur Géraldine Chavrier, l’expérimentation permet de vérifier qu’une adaptation n’est pas dangereuse et qu’elle est pertinente. Ainsi, l’idée d’expérimentation renvoie plutôt à une technique d’élaboration des normes fondée sur l’expérience et sur l’évaluation ; elle se distingue donc de la différenciation.

Il y a eu peu d’utilisations de cette faculté, cela a été dit, peut-être par manque d’appétence pour les possibilités qu’elle offre, mais ce n’est pas sûr, puisque les collectivités ont recouru aux expérimentations prévues à l’article 37-1 de la Constitution.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’est pas, par principe, hostile à la démarche expérimentale en tant que telle. D’ailleurs, l’expérimentation existe dans de multiples textes : elle concerne les modes d’organisation de la fonction publique ou le transfert de certaines compétences de l’État vers les collectivités territoriales et elle s’est appliquée dans le domaine des transports ou des télécommunications. Par exemple, la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité confiait déjà, à titre expérimental, des compétences aux régions en matière de port maritime, d’aérodrome ou de patrimoine culturel.

Par conséquent, quel est l’objet de ce texte et y répond-il ? Son objet est tout simple : il s’agit de simplifier l’expérimentation sans passer par une révision constitutionnelle, puisque, selon le Conseil d’État, les différents blocages de l’expérimentation sont liés à son caractère trop contraignant. Ainsi, ce texte s’inscrit dans une logique – peut-être trop – procédurale et il n’apporte pas, cela a été dit, de grands bouleversements.

Pour l’instant, sept étapes sont nécessaires pour lancer une expérimentation ; le texte propose de simplifier ces étapes : il suffirait désormais d’une délibération motivée de la collectivité. De la même façon, le projet de loi organique instaure un rapprochement entre le régime juridique des actes pris pendant l’expérimentation et le droit commun. Enfin, le Gouvernement offre, et c’est une bonne chose, de nouvelles issues à l’expérimentation, en se fondant sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, selon laquelle les règles applicables aux compétences des collectivités territoriales ne sont pas forcément identiques pour toutes les collectivités qui relèvent de la même catégorie.

Je rappelle juste que l’identité ne saurait forcément conduire à l’égalité et qu’il faut traiter de façon différente les situations qui ne sont pas identiques. C’est le sens des deux issues ajoutées par le Gouvernement : le maintien des mesures dans les collectivités locales de l’expérimentation pour certaines de ces collectivités ou pour d’autres ; la modification des dispositions régissant l’exercice de la compétence qui a fait l’objet de l’expérimentation.

Pour autant, si, je le répète, le texte n’est pas mauvais, va-t-il apporter des solutions à la faiblesse des expérimentations ? Les rend-il plus incitatives ? Rien n’est moins certain.

L’exposé des motifs indique que la loi organique permettra d’« illustrer le principe de différenciation territoriale ». Or le texte n’a absolument pas cette portée ! Outre la différence que j’ai soulignée entre expérimentation et différenciation, sans modification constitutionnelle, le projet de loi organique n’a pas la portée qu’il prétend avoir.

Ergo, la pérennisation de l’expérimentation ne pourra se faire que dans le respect du principe d’égalité, comme cela a été précisé dans le texte par la commission des lois.

De la même façon, celle-ci a ajouté le maintien de la possibilité d’abandon, qui était nécessaire.

Je répète qu’elle a également insisté sur le fait que l’évaluation est consubstantielle de l’expérimentation. Je crois qu’il faut se réjouir de cette prise de position, parce que la vision du Gouvernement en la matière était trop limitative.

Au final, ce texte ressemble surtout à un texte d’attente pour faire patienter les territoires.

Qu’y manque-t-il ? Ce n’est sûrement pas à moi, madame la ministre, de vous dire ce qu’il faut faire. De toute façon, vous ne m’écouteriez pas plus qu’actuellement et cela ne changerait pas grand-chose…

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