Comme à l'accoutumée, ma collègue Sophie Taillé-Polian et moi-même allons présenter à deux voix notre rapport sur les crédits demandés pour la mission « Travail et emploi ». Malgré nos divergences, nous pouvons dans certains cas porter des constats communs.
En premier lieu, nous ne pouvons que nous satisfaire de la hausse substantielle de ces crédits, qui s'élèveraient, en 2021, à 14,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 13,4 milliards d'euros en crédits de paiement. Cela représente une hausse d'environ 3 %, en rupture avec la tendance observée les années précédentes de baisse importante, puis de stabilité des crédits.
Cette augmentation apparaît d'autant plus nécessaire que la situation du marché du travail s'est brutalement dégradée. Pour ne donner qu'un chiffre, le nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A a déjà progressé de près de 10 % sur un an. Tous les indicateurs sont au rouge : augmentation des plans sociaux et du nombre de personnes en sous-emploi notamment. La situation est cependant trop instable pour que je vous livre des estimations précises de l'impact de la crise sur l'emploi à ce stade. Les prévisions - déjà pessimistes - que nous évoquons dans notre rapport avaient elles-mêmes été établies avant la décision du second confinement. Une certitude cependant : les ajustements à ces chocs sur le marché du travail touchent en premier lieu les jeunes et les salariés les plus précaires. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) relève ainsi, à titre d'exemple, que seulement 76 % de l'emploi intérimaire, où ces publics sont surreprésentés, détruit à fin avril 2020 avait été recréé à fin août.
Pour faire face à la crise, la mission « Plan de relance » prévoit d'allouer près de 10 milliards d'euros supplémentaires à la politique de l'emploi. Ces crédits permettront de venir renforcer des dispositifs existants d'ores et déjà financés par la mission, comme les Parcours emploi compétence (PEC) ou la Garantie jeunes. Ce choix est, selon moi, le bon : l'heure n'était pas à l'improvisation de mesures nouvelles dans la précipitation. Le principal enjeu est bien d'être en mesure de déployer les actions le plus rapidement et le plus puissamment possible.
Je relève cependant qu'au strict plan de la lisibilité budgétaire, la situation n'est pas vraiment optimale. Prenons l'exemple de l'activité partielle : alors que le dispositif de droit commun relevait de la mission « Travail et emploi », les 21 milliards d'euros débloqués au titre des lois de finances rectificatives en 2020 ont été retracés sur un programme ad hoc de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ». En 2021, aucun crédit ne figure sur ce programme puisque le dispositif sera financé par la mission « Plan de relance ».
Cette architecture permet donc difficilement aux parlementaires de connaître avec précision l'effort budgétaire que le Gouvernement entend déployer en faveur de la politique de l'emploi, pourtant cruciale pour l'année à venir. En gestion, les modalités précises du pilotage du plan de relance, qui fait intervenir la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et la direction du budget, ne sont pas encore parfaitement clarifiées.
Sur le fond des politiques menées, la stratégie est sensiblement la même que les années précédentes et me semble être la bonne : concentrer les moyens sur les publics les plus fragiles grâce à des dispositifs ciblés, tout en conduisant dans le même temps des efforts structurels, notamment en matière d'effectifs.
Pour ne prendre que quelques exemples, on constate que, pour la seconde année consécutive, les crédits alloués au secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE), qui emploie des personnes rencontrant des difficultés particulièrement importantes d'accès au marché du travail, dépassent le milliard d'euros. Les crédits mobilisés en faveur des travailleurs en situation de handicap au titre des aides aux postes dans les entreprises adaptées progressent également. On relève aussi une augmentation des moyens octroyés au dispositif des emplois francs, qui vise à favoriser l'emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville, même si la complète évaluation du dispositif et de ses effets d'aubaine potentiels reste à faire.
En tout état de cause, les publics concernés par ces dispositifs sont frappés de plein fouet par la crise. Plus préoccupant encore, l'expérience des crises passées indique qu'ils ne bénéficieront pas spontanément des effets de la reprise lorsqu'elle aura lieu. Il faudra les accompagner dans la durée ; ce sera notre rôle de rapporteurs spéciaux d'y veiller.
Le budget qui nous est proposé, renforcé par les crédits du plan de relance, apparaît, dans l'ensemble, sérieux et nécessaire. Je vous propose donc d'adopter les crédits de la mission « Travail et emploi ».