Intervention de Louis-Constant Fleming

Réunion du 16 novembre 2009 à 21h30
Imposition des revenus de source locale à saint-martin et saint-barthélemy — Adoption de deux propositions de loi organique en procédure accélérée

Photo de Louis-Constant FlemingLouis-Constant Fleming, auteur de la proposition de loi organique relative à Saint-Martin :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui, en plus d’être essentielle à un meilleur fonctionnement de notre jeune collectivité d’outre-mer, revêt un caractère symbolique fort.

En effet, c’est avec une grande satisfaction que je prends la mesure du chemin accompli lorsque je repense au vote de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer auquel j’avais assisté ici-même depuis la galerie des visiteurs.

Deux ans et demi plus tard, c’est en tant que premier sénateur de Saint-Martin que je vous prie de bien vouloir amender cette loi dans un souci principal de clarification de la compétence fiscale qui a été transférée à la collectivité de Saint-Martin.

Comme vous le savez, la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, désormais régie par l’article 74 de la Constitution, doit maintenant exercer les compétences qui étaient celles de la commune, du département et de la région de Guadeloupe, ainsi que certaines autres compétences qui lui ont été transférées par l’État.

Or l’exercice de ces compétences, qui représentent surtout des obligations d’assurer des missions d’intérêt général, se traduit évidemment par des coûts budgétaires, financés principalement par le produit des impositions que la collectivité applique sur la base de la compétence fiscale qui lui a été transférée.

Aux termes du I de l’article L.O. 6314-3 – créé par la loi de 2007 – du code général des collectivités territoriales, la collectivité fixe les règles applicables en matière d’ « impôts, droits et taxes dans les conditions prévues à l’article L.O. 6314-4. » Cependant, ces conditions posent problème et entravent le plein exercice de sa compétence fiscale par la collectivité. En effet, l’article L.O. 6314-4 du code général des collectivités territoriales fixe une règle dite « des cinq ans », selon laquelle, pour être considérées comme fiscalement domiciliés à Saint-Martin, les personnes physiques ou morales auparavant domiciliées dans un département de métropole ou d’outre-mer doivent avoir résidé à Saint-Martin au moins cinq années.

L’édiction de cette règle visait à prévenir le risque éventuel de délocalisation de particuliers ou de sociétés vers Saint-Martin, dont on supposait que le régime fiscal serait particulièrement attractif. Ce préjugé n’a pu être vérifié, et la fiscalité de la collectivité de Saint-Martin, nécessaire au financement de ses charges, n’a strictement rien de celle d’un paradis fiscal, ni pour ses résidents ni pour d’éventuels opérateurs internationaux.

Mais telle n’est pas la question en débat. Les autorités économiques et financières de l’État ayant souhaité le maintien de cette règle des cinq ans, nous en prenons acte. La question est celle des effets de cette règle sur la compétence fiscale de la collectivité et, par voie de conséquence, sur ses ressources propres.

Pour la collectivité de Saint-Martin, et sans doute pour le législateur organique de 2007, la règle des cinq ans est une simple règle de domicile. Elle fixe un critère de domicile additionnel aux critères usuels permettant de déterminer la résidence fiscale d’une personne physique ou morale. Son effet sur la compétence fiscale de la collectivité se résume au fait que celle-ci ne peut imposer, en tant que contribuables domiciliés à Saint-Martin, selon le régime prévu pour cette situation, que les contribuables répondant, notamment, à la condition d’une résidence d’au moins cinq années à Saint-Martin. Cette règle spéciale de domicile n’affecte pas le droit de la collectivité, propre à toute juridiction disposant de la compétence fiscale, de taxer, suivant le régime des non-résidents, les revenus trouvant leur source sur son territoire, réalisés par des personnes ne pouvant y être considérées comme domiciliées.

Toutefois, c’est une autre interprétation qui, d’emblée, a été retenue par les administrations financières de l’État : la règle des cinq ans est une règle de compétence, ce qui signifie que la collectivité de Saint-Martin n’a le droit d’exercer sa compétence fiscale qu’à l’endroit des personnes pouvant être considérées comme fiscalement domiciliées sur son territoire.

Une telle contradiction dans les interprétations a conduit le Gouvernement à solliciter l’avis du Conseil d’État. Celui-ci, statuant en tant que conseiller du Gouvernement, a estimé, dans un avis du 27 décembre 2007, que la règle des cinq ans laissait à la collectivité le droit d’imposer les revenus de source saint-martinoise des personnes domiciliées hors d’un département de métropole ou d’outre-mer, mais la privait du droit d’imposer les revenus de même source, réalisés, soit par une personne qui, venant de métropole ou d’un DOM, se trouverait à Saint-Martin, mais depuis moins de cinq ans, soit même par des personnes physiques ou morales n’ayant jamais cessé d’être domiciliées dans un tel département de métropole ou d’outre-mer.

La restriction de la compétence fiscale transférée à la collectivité l’a privée des ressources fiscales propres qui pouvaient être attendues de l’imposition, notamment, des bénéfices réalisés par les sociétés françaises exploitant à Saint-Martin un établissement, mais ayant leur siège en métropole ou dans un DOM, ou à Saint-Martin, mais depuis moins de cinq ans ; des revenus fonciers et des plus-values immobilières de source saint-martinoise réalisés par des contribuables – ils sont nombreux – domiciliés dans un département de métropole ou d’outre-mer ; des dividendes de source saint-martinoise distribués à des bénéficiaires domiciliés en métropole ou dans un DOM ; des salaires versés à des personnes ayant transféré leur domicile à Saint-Martin depuis un département de métropole ou d’outre-mer sans répondre à la condition d’une résidence de cinq années.

Parallèlement, la collectivité de Saint-Martin, en dépit d’une politique de dépenses publiques et d’adaptation de sa fiscalité propre particulièrement prudente, se trouve confrontée à de très sérieuses difficultés de trésorerie et de financement, principalement liées aux conditions, pas toujours suffisamment anticipées, du changement statutaire.

Il s’agit, en particulier, de la suppression du versement mensuel par l’État de douzièmes provisoires calculés par rapport aux montants émis des anciens impôts directs locaux, ce qui oblige la collectivité à recourir systématiquement à des avances de trésorerie auprès d’établissements financiers, dont il n’a pas été prévu de compenser la charge ; de la suppression de la ressource permettant de financer les charges communales transférées, que représentait le produit d’octroi de mer auparavant versé à la commune de Saint-Martin ; de retards dans la récupération effective, par la collectivité, de montants de divers produits fiscaux collectés – droits de mutation, plus-values immobilières, taxe sur les conventions d’assurances… –, dus à l’inadaptation des circuits financiers au changement statutaire ; du défaut total ou partiel de perception effective d’impositions dues à la collectivité ou votées par elle, pour des raisons diverses, par exemple, en ce qui concerne la taxe d’habitation, pour inexistence d’un logiciel d’application opératoire.

Ces difficultés de trésorerie et de financement ont convaincu les administrations économiques et financières de l’État de la nécessité de reconnaître à la collectivité de Saint-Martin, sans remettre en cause la règle des cinq ans, une pleine compétence de juridiction fiscale « de source » sur les revenus trouvant leur source à Saint-Martin, y compris lorsqu’ils sont réalisés par des contribuables domiciliés en France métropolitaine ou dans un DOM, ou à Saint-Martin, mais depuis moins de cinq ans.

Tel est l’objet principal des dispositions de l’article 1er de la proposition de loi organique, qui reconnaît cette compétence.

Le risque de double imposition résultant du concours des juridictions fiscales de l’État et de Saint-Martin sera éliminé par les dispositions, dans ces conditions largement conformes au modèle de l’OCDE, de la convention contre la double imposition à conclure entre l’État et la collectivité. Nous ne voyons pas d’obstacle à ce que, dans l’attente de l’entrée en vigueur de cette convention, la double imposition soit éliminée par les mesures en matière de crédit d’impôt prévues dans la proposition de loi organique telle qu’elle est proposée par la commission des lois.

Par ailleurs, nous avons souhaité que certaines précisions utiles ou nécessaires soient apportées au dispositif statutaire concernant les compétences fiscales de la collectivité et l’application par les agents de l’État des impositions créées par elle. Il s’agit, d’une part, de la précision selon laquelle c’est le préfet, représentant de l’État dans la collectivité, ou, sur délégation, le directeur des services fiscaux qui rendent exécutoires les rôles d’impôts directs perçus pour la collectivité et, d’autre part, de la possibilité que des personnels de la collectivité placés sous l’autorité de l’administration de l’État apportent leur concours à l’exécution des opérations d’assiette, de contrôle et de recouvrement des impôts. Il est particulièrement important, pour des raisons d’emploi et de meilleure acceptation du devoir contributif, que de jeunes Saint-Martinois puissent être associés à de telles opérations.

Nous vous proposons également, par voie d’amendement, que soit reconnue au conseil territorial de la collectivité de Saint-Martin la possibilité de prévoir le recours aux règles prévues par les lois et règlements de l’État en matière douanière pour l’application d’impositions assises sur des importations, comme la taxe sur les carburants. En effet, la collectivité ne dispose pas de la compétence douanière et n’entend pas l’exercer.

Mais, en certaines circonstances, les règles de la procédure douanière permettent, le cas échéant avec le concours partiel de l’administration des douanes, l’application effective d’impositions créées ou maintenues par la collectivité, dans le cadre de sa compétence fiscale.

Toujours en matière fiscale, l’article 2 de la présente proposition de loi organique vise à préciser quelle est l’autorité chargée de délivrer les agréments ouvrant droit à un avantage fiscal. Il est proposé que ce soit le conseil exécutif ; celui-ci jouerait ainsi, en quelque sorte, le rôle d’un ministre du budget.

De même, il est suggéré que le conseil exécutif puisse jouer un rôle supplétif en matière de désignation des membres des commissions administratives dans le domaine fiscal, en cas d’inertie des organismes professionnels initialement compétents.

Si la proposition de votre commission des lois de maintenir dans la compétence du conseil exécutif la délivrance des permis de construire est retenue, il y aura lieu de prévoir que ce même conseil exécutif détermine l’assiette et la liquidation des taxes d’urbanisme. Tel est l’objet d’un amendement que nous avons déposé sur l’article 2.

En effet, le strict respect des dispositions existantes de la loi statutaire, réservant les opérations d’assiette, de contrôle et de recouvrement des impôts à la seule administration fiscale de l’État, exclurait l’application pratique des taxes d’urbanisme, communément assurée par les services d’urbanisme des collectivités ; une autorité y est compétente pour délivrer les permis de construire et instruit en conséquence les dossiers, y compris dans leurs aspects financiers et fiscaux.

Enfin, la proposition de loi organique qui est aujourd'hui soumise à votre examen comporte quelques dispositions accessoires relatives à des domaines autres que la fiscalité : elles visent à améliorer le fonctionnement général de la collectivité.

Conformément à la demande du président du conseil territorial de Saint-Martin, ces mesures concernent, notamment, les compétences du président du conseil territorial et du conseil exécutif ; il s’agit des articles 3 et 5 de la proposition de loi organique, dans la rédaction proposée par votre commission des lois.

L’article 5 a pour objet de favoriser un remplacement rapide du président du conseil territorial, en précisant que les dispositions de l’article L.O. 6321-22 du code général des collectivités territoriales, prévoyant l’envoi d’un rapport aux conseillers territoriaux douze jours avant la réunion du conseil territorial, ne s’appliquent pas à la réunion convoquée aux fins de renouvellement du conseil exécutif.

L’article 3 concerne les pouvoirs respectifs du président du conseil territorial et du conseil exécutif en matière de direction de l’administration territoriale, d’animation et de contrôle de celle-ci.

Pour ces deux articles, nous nous en remettons à la sagesse de la commission des lois pour son appréciation des éléments de clarification à apporter au dispositif statutaire.

Nous approuvons pleinement les dispositions relatives à l’environnement que la commission des lois propose d’introduire dans le statut de Saint-Martin.

En outre, l’ensemble de ces articles ont reçu un avis favorable du conseil territorial de Saint Martin le 29 octobre 2009.

Ainsi, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition que je soumets à votre approbation aujourd’hui a pour objectif principal de préciser et de clarifier l’exercice de la compétence fiscale de la collectivité de Saint-Martin dans un souci d’efficacité et de rationalisation.

Il s’agit de prendre encore plus en considération les spécificités de Saint-Martin dans le respect des engagements pris par moi-même dans le cadre de mes missions parlementaires, mais également par le chef de l’État, qui souhaite plus de respect de nos différences ultra-marines.

Car il est vrai que chaque territoire d’outre-mer est particulier et qu’une mesure vitale pour une collectivité peut se révéler superflue pour sa voisine. Cela justifie bien que chaque collectivité, département ou territoire d’outre-mer doive pouvoir jouir de sa représentation nationale propre et dédiée. Mais il s’agit là d’un autre débat...

Pour conclure, je souhaiterais simplement vous redire à quel point il est primordial que Saint-Martin puisse exercer sa pleine compétence de juridiction fiscale « de source ». Ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra fonctionner en toute autonomie financière, telle qu’elle en détient le potentiel.

Je reste convaincu que si, parallèlement, nous parvenons également à consolider un réel partenariat avec l’État, la collectivité de Saint-Martin pourra s’ériger comme modèle au sein de notre République dans le cadre, notamment, de la réforme des collectivités territoriales.

Je vous remercie de votre attention et de votre soutien.

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