Intervention de Elisabeth Doineau

Commission des affaires sociales — Réunion du 4 novembre 2020 à 8h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 — Examen du rapport

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau, rapporteure pour la branche famille :

À l'image des comptes de la sécurité sociale, la situation financière de la branche famille s'est profondément dégradée en 2020 puisqu'elle afficherait, sous l'effet de la crise sanitaire, un déficit de 3,3 milliards d'euros.

Cette situation s'explique principalement par une baisse significative des recettes, en particulier du produit des cotisations sociales affectées à la branche, du fait de la contraction de l'activité économique.

S'agissant des dépenses, des mesures exceptionnelles sont intervenues dans le périmètre de la branche famille pour atténuer les effets de la crise, et il faut saluer ces dispositifs qui ont aidé les familles et les acteurs du secteur de la petite enfance. Citons, s'agissant des prestations légales, la revalorisation exceptionnelle de l'allocation de rentrée scolaire, intervenue cet été, qui a représenté une dépense supplémentaire de 500 millions d'euros. Dans le champ de l'action sociale, je tiens à souligner la mobilisation de beaucoup de caisses d'allocations familiales (CAF) qui, par leurs aides exceptionnelles, ont activement soutenu les structures d'accueil du jeune enfant, et plus encore : certaines ont octroyé des aides exceptionnelles pour l'habitat des jeunes ou l'accompagnement des familles.

Ces dépenses exceptionnelles ont été partiellement compensées, au sein de la branche, par une baisse des prestations d'accueil du jeune enfant, grâce à la diminution du recours aux gardes d'enfant pendant le premier confinement. Mais, comme l'ont souligné devant nous les associations, le télétravail, ce n'est pas garder les enfants !

Les projections émises par le Gouvernement dans ce PLFSS nous indiquent que l'année 2021 serait toutefois bien plus favorable pour la branche famille, qui afficherait un solde de 1,1 milliard d'euros, à la faveur de la reprise économique. Bien que favorable, cette perspective est plus qu'incertaine au regard de la situation sanitaire actuelle, qui se dégrade, et de ses conséquences futures en matière économique et sociale. Puis, il y a un vrai manque d'ambition pour la branche famille, qui explique ce solde positif.

Cette année encore, la branche famille fait l'objet de peu de mesures en dépenses dans le PLFSS : manque d'ambition ! Bien que relativement limitées, ces dispositions me semblent aller dans le bon sens et je vous proposerai de les adopter.

La principale mesure qui nous est proposée concerne le congé paternité, dont on a beaucoup parlé dans les médias il y a quelques semaines et qui est, d'une part, allongé de 14 à 28 jours, et d'autre part, rendu obligatoire pour sept jours consécutifs. Plus précisément, les trois jours du congé de naissance, qui sont des autorisations d'absence à la charge de l'employeur, deviendraient obligatoires ainsi que quatre des vingt-cinq jours du congé paternité qui sera, lui, financé par la sécurité sociale. Les autres jours restants pourront ensuite être pris de manière facultative, les délais et les possibilités de fractionnement devant être précisés par décret.

Je salue cette mesure, qui permettra d'offrir au jeune enfant de meilleures conditions de développement lors de ses premiers jours, et de renforcer l'égalité entre les hommes et les femmes. Elle est le résultat des conclusions du comité d'experts sur les 1 000 premiers jours de l'enfant, présidé par Boris Cyrulnik. Nous avons eu avec l'un des membres de ce comité, le docteur Dugravier, des échanges passionnants, et je vous encourage à lire le rapport, qui a souligné, en se basant sur de nombreuses études scientifiques, l'importance de la relation et de la proximité entre parents et enfants sur la santé et le développement des jeunes enfants.

La mesure proposée dans le PLFSS ne va pas aussi loin que la proposition du comité, qui était d'allonger le congé paternité à neuf semaines. Elle me semble néanmoins avoir trouvé un bon équilibre. Sa durée et sa part obligatoire permettront d'offrir plus de temps aux parents pour s'occuper de leur enfant, en assurant un recours plus effectif à cette prestation, tout en laissant la liberté au second parent de prendre ou non la grande majorité des jours de congé. Cet équilibre permettra, d'un autre côté, de ne pas déstabiliser les entreprises par des absences obligatoires trop longues de leurs salariés.

Je regrette néanmoins que ce PLFSS ne soit pas l'occasion de revoir plus largement l'ensemble des congés parentaux, pour lesquels beaucoup d'améliorations restent à faire. C'est d'ailleurs le sens des conclusions du comité sur les 1 000 jours. Je rappelle que le recours au congé parental, dans le cadre duquel la prestation partagée d'éducation de l'enfant est versée, chute d'année en année, faute d'une revalorisation significative.

Je m'arrêterai également sur la mesure introduite par nos collègues députés, qui permettra de verser de nouveau la prime à la naissance avant la naissance de l'enfant, ce que nous attendions depuis longtemps ! Nous en avons beaucoup débattu, avec Mme Rossignol, et je m'étais vigoureusement opposée à cette prise de guerre budgétaire.

Je rappelle que le Gouvernement avait décidé par décret, fin 2014, de décaler ce versement après la naissance de l'enfant, ce qui était à la fois contraire à la loi, qui dispose que la prime est versée avant la naissance, et à l'objectif de cette prime, qui est d'aider financièrement les parents à préparer l'arrivée de l'enfant.

L'avancement du versement de la prime dans la loi a pu être introduit par les députés grâce à l'adoption préalable, en juin dernier, de la proposition de loi de Gilles Lurton, avec l'avis favorable du Gouvernement.

Je regrette toutefois que cette mesure n'intervienne qu'à présent, alors que le Gouvernement aurait très bien pu prendre cette mesure par décret pour revenir à la situation antérieure à 2015 ! C'est, au final, beaucoup de temps perdu, au détriment des familles modestes, qui comptent sur cette prime pour les acquisitions et aménagements nécessaires à l'arrivée de l'enfant dans de bonnes conditions.

Je vous proposerai également d'adopter les autres mesures qui portent sur des ajustements techniques concernant l'intermédiation financière pour les pensions alimentaires, une habilitation à prendre des ordonnances pour adapter le droit social à Mayotte et l'objectif de dépenses de la branche, et qui ne soulèvent pas, selon moi, de difficultés de fond.

Au total, je vous invite donc à soutenir les quelques avancées pour les familles qui nous sont proposées cette année, tout en regrettant, une nouvelle fois, l'absence d'ambition en matière de politique familiale. Les dirigeants de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) nous l'ont dit : les objectifs de création de places en crèches ne seront pas tenus - comme nous le savions bien. Malgré les aides des CAF, les collectivités ont des difficultés à s'engager pour financer des investissements en faveur des crèches. Du côté des familles, la crise sanitaire a aggravé les situations de précarité. Ces facteurs ne contribuent pas à favoriser la natalité et je rappelle que le nombre de naissances, qui s'est élevé à 758 000 en 2018, a baissé de 8,5 % en dix ans.

Il conviendrait donc de se doter d'une véritable politique familiale ambitieuse, qui renouerait avec sa vocation universelle, en ayant en tête que miser sur les générations futures est un investissement pour l'avenir et la garantie de la soutenabilité de notre modèle social.

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