Intervention de Marc Leone

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 14 octobre 2020 à 16h35
Audition commune des professeurs éric maury président de la société de réanimation de langue française hervé bouaziz président de la société française d'anesthésie et de réanimation et marc leone chef du service d'anesthésie-réanimation des hôpitaux universitaires de marseille

Marc Leone, chef du service d'anesthésie-réanimation des hôpitaux universitaires de Marseille :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs, je vais d'abord décrire une réanimation, puisque c'est l'objet de cette audition.

Une réanimation, ce n'est pas simplement une architecture destinée à recevoir des patients dont le pronostic vital est engagé. Une réanimation a besoin de matériel, de ventilateurs, de moniteurs, de pousse-seringues. Mais une réanimation, c'est surtout une équipe où chacun a son rôle dans une transversalité qui est exemplaire. Une réanimation, c'est 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, deux infirmiers pour cinq patients, un aide-soignant pour quatre patients et un nombre conséquent de médecins qui peuvent être des professionnels de la réanimation, issus de deux filières, l'anesthésiste-réanimation et la médecine intensive-réanimation.

La réanimation est centrée sur ses patients, qui relèvent de la médecine ou de la chirurgie. Les patients présentent des défaillances d'organes dues à l'aggravation soudaine d'une maladie, à des complications chirurgicales, à un traumatisme grave. Ils nécessitent des soins et un projet pour parvenir à survivre à cette étape. Enfin, la réanimation est un lieu confronté à une mortalité d'environ 20 %, dans lequel chaque admission est réfléchie en fonction d'un projet de vie.

La réanimation est à différencier des unités de surveillance continue (dans lesquelles les patients sont surveillés car à risque de défaillance d'organes), des unités de soins intensifs (qui sont centrées sur un seul organe), des salles de surveillance post-interventionnelle (qui prennent en charge les patients après chirurgie). Il existe un socle commun à tous ces sites, qui devraient pouvoir, en cas de nécessité, être transformés sans délai en réanimations - de là la conception des soins critiques et de la réanimation éphémère. Les liens sont nombreux au sein de l'hôpital, par exemple avec les blocs opératoires et hors de l'hôpital, via la régulation hospitalière, qui constitue un élément déterminant de la chaîne.

Durant la première vague de la Covid-19, les soins critiques ont été mis sous les projecteurs. Alors qu'environ 5 500 lits de réanimation sont disponibles en France, 7 148 patients Covid-19 ont été admis durant cette période. Des patients non-Covid ont aussi été traités. La baisse drastique des admissions, notamment liée à la traumatologie, conséquence du confinement, a permis de passer ce cap. La déprogrammation chirurgicale massive (seules les chirurgies les plus urgentes ayant été pratiquées) a permis de diminuer la pression sur les soins critiques et a libéré des professionnels, notamment des médecins anesthésistes-réanimateurs et des infirmières anesthésistes diplômées d'État, qui, par la plasticité de leur formation, ont concentré leurs activités sur la réanimation, apportant à celle-ci un renfort salutaire.

Devant l'afflux de patients Covid-19, des réanimations éphémères ont été créées dans les USC, soins intensifs, salles de surveillance post-interventionnelle et sur d'autres sites, permettant d'augmenter le nombre de lits de 95 % en quelques jours. Cette organisation a montré la capacité de notre système à surmonter un afflux brutal de patients dans un court laps de temps. Elle a été possible et efficace là où les médecins des établissements ont parfaitement collaboré entre eux, là où les établissements privés, publics, ESPIC et HIA ont parfaitement collaboré entre eux, dans les régions où cette collaboration a été parfaite. En tant que médecins, nous avons été confrontés à un débat éthique autour de la priorisation des patients, entre les patients Covid-19 et les patients non-Covid. Nous sommes également conscients des enjeux socio-économiques induits par un confinement.

L'évolution récente de la situation, qu'on l'appelle deuxième vague ou marée montante, présente un profil différent. L'activité, en dehors et dans l'hôpital, est extrêmement intense, liée au rattrapage des activités chirurgicales, au retard pris lors du déconfinement, du fait des déprogrammations et au nombre important de traumatisés, partout en France. En cette rentrée, les établissements de santé sont sous tension. La plupart des CHU et CH sont en pénurie chronique de personnel soignant et médical (pénurie d'infirmières et infirmiers, pénurie en kinésithérapie, pénurie de médecins anesthésistes réanimateurs, sans doute aussi pénurie de médecins intensivistes réanimateurs).

La montée de la Covid-19 s'est faite sans marge de sécurité, avec un personnel à peine remis de la première vague. Nous sommes confrontés à un monde de la santé concurrentiel, dans lequel certaines activités typiques du service public ne sont plus valorisées depuis très longtemps. La Covid-19, qui s'installe pour une durée indéterminée dans notre paysage médical, met en lumière les faiblesses de notre système.

Enfin, soyons prudents avec les messages dont le niveau de preuve n'est pas avéré. En dépit de la progression des connaissances sur la maladie, de l'introduction de quelques nouveaux traitements et stratégies, les durées d'hospitalisation en réanimation restent prolongées. Le pronostic des patients reste incertain et la hauteur de la vague, ou de la marée, indéterminée à ce jour.

Pour conclure, je reprendrai ce que le professeur Maurizio Cecconi, de Milan, président de la société européenne de réanimation, affirme ces jours-ci : « la réanimation est une illusion. Si des mesures ne sont pas prises en amont, elle sera comme la ligne Maginot, elle ne servira à rien ».

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