Mes chers collègues, nous allons poursuivre nos travaux avec l'audition des représentants des sociétés savantes de réanimation.
Plutôt mal connue, la réanimation, qui assure la prise en charge des patients présentant ou portant le risque de présenter une ou plusieurs défaillances d'organes, a été mise en lumière par la crise que nous traversons. La question du nombre de lits, des critères d'admission des patients, des comorbidités (en particulier l'obésité), de la disponibilité des produits de santé ou encore des personnels ont constitué la chronique de la crise au cours des derniers mois, avec des comparaisons défavorables, notamment par rapport à nos voisins allemands. Sans surprise, les disparités territoriales ont également été évoquées dans le débat public, alors même que certaines des régions les plus exposées, comme le Grand Est ou l'Île-de-France, comptaient au nombre de celles qui sont les mieux dotées.
Par rapport au début de la crise, la prise en charge a beaucoup évolué. Les patients sont pris en charge selon des protocoles différents. Leur séjour est plus bref et le pronostic semble plus favorable. Pour autant, les services semblent de nouveau en difficulté devant la seconde vague, alors même que les fédérations hospitalières avaient affirmé à l'unisson, devant notre commission, que les hôpitaux étaient prêts à y faire face.
Sur toutes ces questions, la prise en charge des patients, les moyens, l'organisation mais aussi les évolutions souhaitables pour la médecine intensive, nous avons souhaité entendre le professeur Hervé Bouaziz, président de la Société française d'anesthésie-réanimation et le professeur Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française. Le professeur Bouaziz nous a fait savoir que le professeur Marc Leone, chef de service d'anesthésie-réanimation de l'Assistance Publique des hôpitaux de Marseille, interviendrait à titre liminaire pour la Société française d'anesthésie-réanimation. Le professeur Maury a souhaité être accompagné du docteur Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence et du docteur Patrick Pelloux, président de l'association des médecins urgentistes de France, qui pourront donc intervenir en réponse aux questions des rapporteurs et des commissaires.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Elle sera consultable à la demande.
Le port du masque et la distance d'un siège entre deux commissaires sont obligatoires. Je vous remercie de bien vouloir y veiller.
Conformément à la procédure applicable aux procédures d'enquête, je vais maintenant vous demander, madame, messieurs, de prêter serment. Je vous rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire serait passible des peines prévues aux articles 434-13 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Hervé Bouaziz, Éric Maury, Marc Leone, Patrick Pelloux et Mme Agnès Ricard-Hibon prêtent serment.
Je donne la parole au professeur Leone, puis au professeur Maury, pour cinq minutes chacun.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs, je vais d'abord décrire une réanimation, puisque c'est l'objet de cette audition.
Une réanimation, ce n'est pas simplement une architecture destinée à recevoir des patients dont le pronostic vital est engagé. Une réanimation a besoin de matériel, de ventilateurs, de moniteurs, de pousse-seringues. Mais une réanimation, c'est surtout une équipe où chacun a son rôle dans une transversalité qui est exemplaire. Une réanimation, c'est 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, deux infirmiers pour cinq patients, un aide-soignant pour quatre patients et un nombre conséquent de médecins qui peuvent être des professionnels de la réanimation, issus de deux filières, l'anesthésiste-réanimation et la médecine intensive-réanimation.
La réanimation est centrée sur ses patients, qui relèvent de la médecine ou de la chirurgie. Les patients présentent des défaillances d'organes dues à l'aggravation soudaine d'une maladie, à des complications chirurgicales, à un traumatisme grave. Ils nécessitent des soins et un projet pour parvenir à survivre à cette étape. Enfin, la réanimation est un lieu confronté à une mortalité d'environ 20 %, dans lequel chaque admission est réfléchie en fonction d'un projet de vie.
La réanimation est à différencier des unités de surveillance continue (dans lesquelles les patients sont surveillés car à risque de défaillance d'organes), des unités de soins intensifs (qui sont centrées sur un seul organe), des salles de surveillance post-interventionnelle (qui prennent en charge les patients après chirurgie). Il existe un socle commun à tous ces sites, qui devraient pouvoir, en cas de nécessité, être transformés sans délai en réanimations - de là la conception des soins critiques et de la réanimation éphémère. Les liens sont nombreux au sein de l'hôpital, par exemple avec les blocs opératoires et hors de l'hôpital, via la régulation hospitalière, qui constitue un élément déterminant de la chaîne.
Durant la première vague de la Covid-19, les soins critiques ont été mis sous les projecteurs. Alors qu'environ 5 500 lits de réanimation sont disponibles en France, 7 148 patients Covid-19 ont été admis durant cette période. Des patients non-Covid ont aussi été traités. La baisse drastique des admissions, notamment liée à la traumatologie, conséquence du confinement, a permis de passer ce cap. La déprogrammation chirurgicale massive (seules les chirurgies les plus urgentes ayant été pratiquées) a permis de diminuer la pression sur les soins critiques et a libéré des professionnels, notamment des médecins anesthésistes-réanimateurs et des infirmières anesthésistes diplômées d'État, qui, par la plasticité de leur formation, ont concentré leurs activités sur la réanimation, apportant à celle-ci un renfort salutaire.
Devant l'afflux de patients Covid-19, des réanimations éphémères ont été créées dans les USC, soins intensifs, salles de surveillance post-interventionnelle et sur d'autres sites, permettant d'augmenter le nombre de lits de 95 % en quelques jours. Cette organisation a montré la capacité de notre système à surmonter un afflux brutal de patients dans un court laps de temps. Elle a été possible et efficace là où les médecins des établissements ont parfaitement collaboré entre eux, là où les établissements privés, publics, ESPIC et HIA ont parfaitement collaboré entre eux, dans les régions où cette collaboration a été parfaite. En tant que médecins, nous avons été confrontés à un débat éthique autour de la priorisation des patients, entre les patients Covid-19 et les patients non-Covid. Nous sommes également conscients des enjeux socio-économiques induits par un confinement.
L'évolution récente de la situation, qu'on l'appelle deuxième vague ou marée montante, présente un profil différent. L'activité, en dehors et dans l'hôpital, est extrêmement intense, liée au rattrapage des activités chirurgicales, au retard pris lors du déconfinement, du fait des déprogrammations et au nombre important de traumatisés, partout en France. En cette rentrée, les établissements de santé sont sous tension. La plupart des CHU et CH sont en pénurie chronique de personnel soignant et médical (pénurie d'infirmières et infirmiers, pénurie en kinésithérapie, pénurie de médecins anesthésistes réanimateurs, sans doute aussi pénurie de médecins intensivistes réanimateurs).
La montée de la Covid-19 s'est faite sans marge de sécurité, avec un personnel à peine remis de la première vague. Nous sommes confrontés à un monde de la santé concurrentiel, dans lequel certaines activités typiques du service public ne sont plus valorisées depuis très longtemps. La Covid-19, qui s'installe pour une durée indéterminée dans notre paysage médical, met en lumière les faiblesses de notre système.
Enfin, soyons prudents avec les messages dont le niveau de preuve n'est pas avéré. En dépit de la progression des connaissances sur la maladie, de l'introduction de quelques nouveaux traitements et stratégies, les durées d'hospitalisation en réanimation restent prolongées. Le pronostic des patients reste incertain et la hauteur de la vague, ou de la marée, indéterminée à ce jour.
Pour conclure, je reprendrai ce que le professeur Maurizio Cecconi, de Milan, président de la société européenne de réanimation, affirme ces jours-ci : « la réanimation est une illusion. Si des mesures ne sont pas prises en amont, elle sera comme la ligne Maginot, elle ne servira à rien ».
Monsieur le président, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord remercier la commission de donner à la SRLF, que j'ai l'honneur de présider, l'opportunité d'apporter quelques éclairages sur le rôle de la réanimation pendant l'épidémie Covid.
La réanimation, comme l'a dit mon collègue Marc Léone, est la prise en charge des patients qui présentent une ou plusieurs défaillances d'organes nécessitant une méthode de suppléance. Il peut s'agir de la ventilation artificielle lorsque la ventilation est défaillante. Ce peut être l'épuration extrarénale quand le rein est défaillant, ou encore la circulation extracorporelle lorsque l'activité cardiaque est défaillante. L'un des points positifs de cette crise est qu'elle a mis en lumière la réanimation vis-à-vis du grand public, alors que cette discipline était jusqu'à présent assez méconnue. Elle a souligné le fait que les structures de réanimation devaient être en nombre suffisant sur le territoire. Elle a aussi souligné l'importance de la présence d'un personnel médical et d'un personnel soignant qualifiés. Cette crise sanitaire a été effroyable. Elle a cependant permis, grâce au dynamisme des deux disciplines (médecine intensive réanimation et anesthésiste réanimation) de partiellement compenser l'importance de la crise.
Je voudrais revenir sur ces deux disciplines. La médecine intensive-réanimation (dite MIR) est exclusivement dédiée aux soins critiques. L'anesthésie-réanimation-médecine périopératoire (dite MAR) comporte l'anesthésie et la prise en charge non chirurgicale des patients chirurgicaux et polytraumatisés durant leur hospitalisation.
Nous avons reçu, durant la crise sanitaire, de nombreux messages de détresse des collègues du Grand Est. Dans certaines situations, il semblait que la capacité de prise en charge des patients était dépassée, malgré de nombreux transferts et l'ouverture de lits de réanimation ex nihilo. Des situations difficiles ont été signalées et ces praticiens ont eu beaucoup de difficulté.
Le capacitaire de réanimation français est le suivant. Nous avons un peu plus de 7 lits pour 100 000 habitants, soit environ 5 000 lits de réanimation. Ce nombre oscille entre 5 000 et 5 700, car 500 ou 600 lits sont fermés faute de personnels soignants. Ceci ne nous place pas dans le peloton de tête par rapport à certains de nos voisins.
Il a fallu, durant la crise, augmenter cette capacité car au plus fort de la crise, plus de 7 000 patients Covid étaient en réanimation, auxquels il fallait ajouter les patients non-Covid qui avaient aussi besoin de réanimation.
Ceci a été possible grâce au dynamisme des anesthésistes réanimateurs, qui ont pu se consacrer, à la faveur de déprogrammations chirurgicales massives, à la mise en place et à la mise en fonction d'unités de réanimation créées ex nihilo. Ils sont parvenus à augmenter le nombre de lits. La médecine intensive-réanimation a été en première ligne également pour la prise en charge du Covid, qui est une pneumonie. Les premiers malades ont d'abord rempli les services de médecine intensive-réanimation. Lorsque leur nombre a excédé les capacités de ces services, ils ont dû être hospitalisés dans les services d'anesthésie-réanimation et dans les lits créés ex nihilo. Cette pathologie était essentiellement une pathologie médicale. Malgré l'absence de déprogrammation de leurs activités, les médecins intensivistes-réanimateurs sont également parvenus à doubler leurs capacités d'hospitalisation.
Comment devient-on réanimateur en 2020 ?
Il y a deux voies pour y arriver. Une première voie est le diplôme d'études spécialisées en médecine intensive-réanimation, qui dure cinq ans. Il comporte une phase socle, une phase de consolidation de trois ans (durant laquelle les étudiants acquièrent une compétence dans des spécialités médicales variées) et une phase d'approfondissement d'un an.
Le DESAR, le diplôme d'études spécialisées en anesthésie-réanimation médecine périopératoire, qui est l'autre voie pour accéder à la réanimation, dure également cinq ans. Il comporte un parcours pédagogique spécifique. Au terme d'une formation qui comporte de la réanimation et de l'anesthésiste, on estime qu'environ trois quarts des médecins issus de cette filière vont se tourner vers l'exercice de l'anesthésie.
En 2016, le diplôme de réanimation médicale, qui était un DESC, va devenir un DES pour prendre l'intitulé de médecine intensive-réanimation, du fait de la disparition des DESC en 2016. La discipline a changé de nom mais continue de prendre en charge des défaillances d'organes dans un contexte médical (pneumonies graves, méningites, comas, insuffisances rénales ou hépatiques, etc.). Elle est exercée en CHU dans des services de médecine intensive-réanimation à côté des réanimations chirurgicales et dans les hôpitaux de plus petite taille (généralement non universitaires) dans le cadre de réanimations polyvalentes dont on estime que plus de trois quarts des séjours sont des séjours médicaux et non chirurgicaux.
Les pneumologues, internistes, infectiologues, cardiologues, néphrologues, hématologues, nous transfèrent de nombreux patients afin que nous les prenions en charge. Il existe aussi une articulation très importante avec la médecine d'urgence, via les services d'accueil d'urgence ou via le SAMU, ce qui plaide pour une voie de communication aussi simple que possible entre le SAMU et les services de réanimation.
Le comité national de coordination de la recherche en France a élaboré un diagramme que je vais commenter. En haut à droite est représentée la production scientifique des CHU de 2006 à 2015 et tout en haut apparaît la réanimation médicale, ce qui fait dire à cette commission que la réanimation médicale, la gastroentérologie, l'hépatologie, la cardiologie, qui se trouvent dans l'angle supérieur droit, sont des spécialités dans lesquelles les CHU excellent, avec un impact presque deux fois supérieur à la moyenne mondiale. Au niveau national, ils dominent largement la recherche, avec un indice de spécialisation de 4,5 à 5. Cela veut dire que nous oeuvrons dans des disciplines de spécialités médicales et non dans la recherche fondamentale.
Il existe en France la réanimation médicale (qu'on appelle désormais la médecine intensive-réanimation) et la réanimation chirurgicale. Les lits présents en France se ventilent de la façon suivante :
- 900 lits de médecine intensive-réanimation ;
- 3 200 lits de réanimation polyvalente (dont à peu près deux tiers des effectifs sont des médecins de médecine intensive-réanimation et un tiers des anesthésistes-réanimateurs) ;
- les lits de réanimation chirurgicale, de chirurgie cardiaque et neurochirurgie (pris en charge exclusivement par des médecins anesthésistes-réanimateurs).
Il serait nécessaire de disposer de personnels un peu plus motivés afin de disposer de 2 710 médecins intensivistes-réanimateurs et 2 420 anesthésistes réanimateurs sur le territoire pour prendre en charge les structures de réanimation.
Les besoins de formation en médecine intensive-réanimation, c'est-à-dire les besoins d'internes, avaient été estimés à 130 postes par an suite à une enquête de 2012. Lorsque le DESC s'est transformé en DES, il a fallu réestimer ce nombre. Nous avions retenu le nombre de 130, qui a été ramené à 120 et finalement à 60. Nous avons ainsi perdu 30 % du nombre de personnels que nous demandions. 60 internes de médecine intensive-réanimation sont formés annuellement, ce qui est notoirement insuffisant. Notre profession, sinistrée, présentait déjà un déficit de 300 professionnels. Nous fonctionnons très difficilement en période normale et ces difficultés sont naturellement amplifiées durant la crise.
Aujourd'hui, il y a trop peu d'internes de médecine intensive-réanimation formés pour occuper les postes d'assistants en services de médecine intensive-réanimation, les postes de chef de clinique en CHU et les postes d'assistant en CH. Le nombre de réanimateurs est insuffisant, problème qui est aggravé par la crise. La pandémie étant désormais nationale, les transferts n'étant pas possibles et du fait de l'absence de possibilité de renforts venant d'autres régions, il est impossible d'ouvrir des lits de réanimation supplémentaires sans déprogrammation chirurgicale, ce qui revient à déshabiller Pierre pour habiller Paul. C'est un moyen de faire face à la crise mais cette situation n'est évidemment guère satisfaisante.
Lorsqu'on va se faire opérer d'une appendicite aujourd'hui, on se pose la question de la compétence du praticien qui va vous prendre en charge : on souhaite quelqu'un qui ne fasse que de la chirurgie digestive et un anesthésiste dont c'est l'exercice habituel. Il en est de même pour le métier de réanimateur. C'est un métier à temps plein et exclusif, au même titre que celui d'infirmier de réanimation, dont on a beaucoup parlé. Nous avons vu que ces infirmiers étaient indispensables dans la crise. Si vous n'avez pas d'infirmier en réanimation, celle-ci ne tourne pas. Il faudrait que cette spécialité soit reconnue en France, comme dans d'autres pays européens. Ce métier spécifique n'est pas le même que celui d'infirmier de salle, d'infirmier de consultation, d'infirmier de bloc opératoire ou d'infirmier d'anesthésie. Tous ces métiers présentent leurs compétences et leurs spécificités mais ce ne sont pas le métier d'infirmier de réanimation.
Le métier de réanimateur est une spécialité complexe, à l'interface de la physiologie, de spécialités médicales (néphrologie, cardiologie, hématologie notamment). La compétence passe par une formation initiale de qualité et un exercice régulier à temps plein de cette spécialité. La médecine intensive-réanimation remplit parfaitement ces conditions puisque cette discipline est exclusivement dédiée aux soins critiques.
Il ne vous aura pas échappé que l'évolution médicale va vers l'hyperspécialisation. Nous avions des chirurgiens généralistes et nous avons désormais des chirurgiens spécialisés en chirurgie osseuse, en chirurgie digestive, en chirurgie urologique. Même au sein de l'ophtalmologie, il y a des spécialistes de la cornée, d'autres de la rétine. L'anesthésie est une spécialité complexe, présentant des spécificités et des domaines d'excellence particuliers (neurochirurgie, chirurgie cardiaque, chirurgie hépatique). Même dans des disciplines médicales telles que la cardiologie, il existe des sous-spécialités (rythmologie, insuffisance cardiaque, hépatologie coronaire). Les internes suivent une de ces filières dès l'internat et n'en sortent plus par la suite. La réanimation doit également constituer un exercice exclusif du fait de sa complexité.
Je suis moi-même anesthésiste de formation mais je n'ai pas fait d'anesthésiste depuis 25 ans. Si l'on me demandait, dans une situation de crise, d'endormir des malades, je le ferais volontiers, après avoir révisé un peu. Je ne serais sans doute pas capable d'apporter le niveau de compétence et de qualité au regard de ce qui est attendu en 2020 pour anesthésier un patient.
Sans vouloir polémiquer, je voudrais montrer un résultat publié au cours de notre e-congrès de septembre dernier, concernant l'expérience de l'hôpital Henri-Mondor, présentée conjointement par un médecin anesthésiste et un médecin intensiviste. Un bâtiment de l'hôpital Henri-Mondor devait être achevé en septembre. Du fait de la crise, ce bâtiment a été rapidement équipé et a pu devenir fonctionnel début avril. L'équipement de ce service a permis de monter 43 lits et de prendre en charge bon nombre de patients.
Deux exercices ont été comparés, d'une part un secteur de médecine intensive-réanimation avec une extension du service de réanimation médicale existant et d'autre part une section MAR constituée en grande partie de médecins anesthésistes, disponibles du fait de déprogrammation en chirurgie. Ils sont venus aider leurs collègues à faire de la réanimation et nous ne pouvons que les en remercier. Alors que les patients semblaient à peu près comparables en termes de gravité (nombre de patients ventilés, présence d'environ 25 % de patients sous dialyse de chaque côté, 25 % de patients sous ECMO), on observe que la mortalité était plus importante dans l'unité prise en charge par des praticiens dont le métier initial n'est pas la réanimation.
On ne fait correctement que ce qu'on fait régulièrement. Les MAR ont peut-être été mis en difficulté dans des situations qu'ils n'avaient pas l'habitude de gérer. Encore une fois, nous ne pouvons que remercier ces praticiens pour ce qu'ils ont fait. Dans une situation difficile, on fait ce qu'on peut. Nous avons fait de la réanimation comme nous le pouvions.
Merci monsieur le président et merci professeurs. Vous nous avez indiqué la façon dont vous aviez affronté la première vague. Comment avez-vous tiré le retour d'expérience parmi vous ? Avez-vous été aidés dans cet exercice par des institutionnels ou l'avez-vous tiré en interne ? L'épidémie étant nationale et les patients étant hospitalisés dans des services qui ne sont pas forcément des services « de pointe », comment l'information des praticiens de ces services est-elle assurée quant à ce qui doit être fait, afin que chacun applique d'emblée la bonne méthode en réanimation ? Voyez-vous dans le rebond actuel une typologie différente de patients au regard de celle de la première vague ?
Par ailleurs, quels sont les enseignements majeurs tirés de la première vague en termes de manques (équipements, produits de santé, matériels) ? Qu'aimeriez-vous souligner afin de ne plus subir de nouveau, dans les hospitalisations qui s'annoncent, ce que vous avez subi lors de la première vague ?
Le retour d'expérience est constant dans nos disciplines et fait partie de la culture des soins critiques et de l'anesthésie-réanimation. Il a été fait dans chaque service et dans chaque hôpital. Il n'a pas été formalisé par nos encadrements administratifs. Il se fait de manière naturelle au sein des services, dans le cadre de RMM (revues mortalité-morbidité) et de réunions de retour d'expérience. Le nombre de publications sur la Covid-19, depuis le début de la crise, est ahurissant. Des publications françaises rapportent l'expérience nationale. Récemment, un article de Jean-Yves Lefranc, dans le journal de notre spécialité, dresse un bilan des hospitalisations et une sorte de retour d'expérience national.
L'information des praticiens va très vite et nous ne pouvons la contrôler. Nous ne savons pas où nous en sommes. Je ne vais pas entrer dans la polémique. Vous avez compris que mon collègue et ami voulait polémiquer. Je ne dirai pas que les anesthésistes-réanimateurs sont meilleurs ou moins bons que les médecins intensivistes-réanimateurs. Je n'oserai pas aller sur ce terrain-là. Je trouve cela assez surprenant. Qu'il y ait des différences de niveau entre les réanimations en France, c'est probable, selon la localisation et selon les équipes. En revanche, l'information est riche avec les réseaux sociaux et des sites tels que celui de la SFAR, qui a produit des référentiels quasiment en continu, tout au long de la crise. Ce fut une source d'information pour la plupart de nos mandants. Nous avons par exemple un dispositif à travers lequel nous avons été sollicités plus de 200 fois durant la première vague. Tous les jours, des praticiens nous demandaient que faire et nous leur répondions dans l'heure qui suivait.
J'étais de garde cette nuit encore dans une unité Covid et je constate que les patients sont les mêmes que lors de la première vague. J'entends beaucoup, sur les réseaux sociaux, dans les médias, que les patients sont très différents. Je ne vois pourtant pas de différence. Leur évolution est d'ailleurs assez similaire. Nous avons eu quelques progrès, notamment du fait de la dexaméthasone. Quelques études randomisées montrent un léger bénéfice avec l'emploi de ce corticoïde. Il y a des traitements à propos desquels nous étions incertains et qui sont en recul, comme l'hydroxychloroquine. La ventilation, avec l'oxygénation à haut débit, est un peu plus utilisée, même si nous avions déjà corrigé le tir assez rapidement durant la première vague. Nous nous étions assez vite rendu compte qu'il fallait l'utiliser. Je ne pense pas qu'il y ait de révolution dans la prise en charge des patients ni que la dexaméthasone ne fasse disparaître les décès dus à la Covid-19, pour des patients intubés et ventilés. Peut-être allons-nous intuber un peu moins de patients et peut-être les patients non intubés auront-ils une meilleure évolution.
Nous avons manqué de tout. Il faut être clair. Comme cela se fait toujours, dans les hôpitaux, nous travaillons tous ensemble car il n'y a pas de frontière étanche entre les services en particulier dans les hôpitaux publics. Cela se fait grâce à la bonne volonté et à l'engagement des professionnels qui y travaillent. Cet engagement a été exemplaire durant la première vague. Tout a reposé sur cet engagement. Les gens n'ont pas compté leurs heures et ont répondu présent. Il n'en demeure pas moins que nous avons manqué de blouses, de masques, de lunettes de protection... Nous étions habillés d'une façon peu digne pour un pays comme le nôtre pour traiter ces patients à risque de contagion élevé. Nous avons créé des lits dans les salles de surveillance post-interventionnelle car nous n'avions pas d'autre solution.
Heureusement, la première vague a pris fin quasiment au moment où nous n'avions plus de produits d'anesthésie, à quinze jours près, pour assurer la sédation des patients. Cela pose de réelles questions quant à notre dépendance vis-à-vis de l'extérieur pour l'approvisionnement en médicaments, en ventilateurs et dans tous les matériels dont nous avons besoin en réanimation.
Je partage une grande partie des propos qui viennent d'être tenus par le professeur Léone. Nous avons bénéficié de l'expérience du Grand Est en phase initiale de la crise, car nos collègues nous ont dit être submergés par un afflux de patients qu'ils ne parvenaient pas à contenir, et nous incitaient fortement à anticiper en ouvrant des lits. Ce fut un message très fort.
Des recommandations multi-sociétales ont été commandées par la mission nationale Coordination opérationnelle risque épidémiologique et biologique, qui regroupait la Société de réanimation de langue française, la Société française d'anesthésie-réanimation, la Société des infectiologues, les urgentistes, les pédiatres et les pneumologues. Ces recommandations multi-sociétales ont été publiées sur les sites de toutes les sociétés savantes et ont été mises à jour quatre fois. Nous nous sommes interrompus durant l'été et nous sommes en train de les remettre à jour afin que les professionnels disposent de données validées par toutes les sociétés.
Je suis d'accord avec mon collègue pour ce qui est de la gravité des patients. L'oxygénothérapie à haut débit est largement utilisée. Elle l'était moins en première vague car nous craignions de contaminer tout le monde. On s'est aperçu qu'en portant un masque, elle n'entraînait pas de contamination des soignants. Les patients réveillés se mettent eux-mêmes sur le ventre et on a l'impression qu'on améliore un peu les choses par cette pratique. Tout ceci reste néanmoins à confirmer. Lorsque ces techniques échouent et que le patient doit être passé sous ventilation artificielle, on a l'impression de retomber exactement sur les patients de la première vague. Je suis d'accord avec le professeur Leone. Ces patients nécessitent parfois une ventilation prolongée, durant trois, voire quatre semaines, ou présentent des complications infectieuses.
Je dirai aussi la même chose quant aux manques. Nous avons manqué de tout (respirateurs, lits, etc.). Le système D a fonctionné à plein. Tout le monde s'est mobilisé pour essayer d'ouvrir des lits et de les équiper. Un collègue me disait récemment : « au mois de mars, nous avons manqué de masques. En octobre, nous manquons d'enthousiasme ».
Nous avons mis en place des webinars pour communiquer. Avant que la vague n'arrive en Île-de-France, nous avons mis en place un webinar avec la région Grand Est qui a permis aux régions, notamment l'Île-de-France, de se préparer à ce qui allait nous arriver. Ce partage d'informations a été important. Nous avons beaucoup communiqué avec la SFAR et la SRLF car les patients qui vont en réanimation sont majoritairement adressés par le SAMU et les urgences. Dans les critères d'admission et les techniques d'oxygénation, nous avons modifié nos pratiques grâce à ce partage d'expériences afin d'obtenir une meilleure pertinence d'admission des patients en réanimation et développer notamment les techniques d'oxygénothérapie haut débit, afin de permettre aux patients de passer un cap sans aller en réanimation, si possible. Nous organisons régulièrement des sessions communes afin de poursuivre cet échange d'expériences et ce travail commun.
Tout a été dit quant à ce qui nous a manqué. J'ajouterais que des transporteurs sanitaires urgents nous ont manqué également, en médecine d'urgence, pour adresser les patients aux hôpitaux, notamment au tout début de la première vague. Cela dit, cette difficulté a finalement constitué un facteur de succès car elle nous a conduits à travailler avec des partenaires que nous ne sollicitions sans doute pas assez, des acteurs associatifs, qui n'ont pas les mêmes missions que les pompiers et ambulanciers privés (qui se sont fortement mobilisés). Les associatifs permettent de gérer le médico-social en évaluant la possibilité de laisser le patient à domicile, plutôt que de mobiliser à tort le service hospitalier. Cela requiert du personnel ayant l'empathie du médico-social afin de déterminer si les patients peuvent être laissés à domicile ou non. Cette diversité d'acteurs, qui a constitué une difficulté au départ, apparaît finalement comme un atout qui me semble à conforter.
Au SAMU centre 15, les appels sont en augmentation continue concernant des patients présentant une suspicion de Covid. Certains patients sont plus jeunes et certains présentent des pathologies graves. J'étais également de garde la nuit dernière. Nous sommes confrontés au manque de lits de réanimation et au manque d'unités de médecine pour adresser les patients Covid et les patients non-Covid. Lorsque la situation se tend dans les services de réanimation, cela entraîne l'immobilisation des unités de SMUR et la stagnation des patients dans les services d'urgences. Or, comme le montrent des données publiées depuis longtemps, la surcharge des services d'urgence entraîne une surmortalité de 9 %, tous patients confondus et de 30 % pour les patients les plus graves. La régulation médicale a joué un rôle central dans la gestion de la vague, en phase 1. Nous n'avons pas été confrontés aux difficultés qu'ont connues l'Italie et l'Espagne, car la régulation médicale a permis d'adresser les patients directement aux services spécialisés sans surcharger les services d'urgence. Il s'agit là aussi d'un point essentiel qu'il faut conforter.
A l'heure actuelle, lorsqu'il n'y a plus de place en réanimation, nous n'avons d'autre solution que d'adresser le patient à des structures d'urgence qui ne sont pas en mesure, au regard du nombre de personnels et des compétences qui s'y trouvent, de créer des unités d'hospitalisation éphémères dans les box des salles d'accueil d'urgences vitales.
60 % de nos lits, dans le département, sont actuellement occupés par des patients Covid et nous ne pouvons pas faire de déprogrammation, comme en première vague, car les patients semi-urgents sont devenus des patients urgents. La situation commence à se tendre de façon importante.
Le retour d'expérience me paraît important. Le professeur Maury a présenté des chiffres de mortalité. On sait que de très nombreux facteurs peuvent expliquer des écarts de mortalité entre deux populations. Nous n'allons pas entrer dans ce débat, qui n'a aucun intérêt, de même que la différence entre MAR (anesthésie-réanimation-médecine périopératoire) et MIR (médecine intensive-réanimation) n'a aucun intérêt pour la population française. Je pense que ce n'est pas ce que vous attendez. La SFAR a travaillé sur le retour d'expérience en association avec le Conseil national professionnel d'anesthésie-réanimation et la SRLF. Dix points, en particulier, ont été validés par les deux sociétés. Il nous a paru important de tirer parti des réanimations éphémères. Nous nous sommes rendu compte que certaines n'étaient pas bien adossées à des réanimations pérennes et qu'il fallait faire évoluer cela.
Nous nous sommes rendu compte qu'il fallait former le personnel et c'est ce qui est fait actuellement, dans les écoles d'infirmier anesthésiste diplômé d'État (IADE) et dans d'autres structures. Nous essayons de former un maximum de personnel afin de disposer de personnels soignants qui ont déjà fait de la réanimation. Le problème ne porte pas tellement sur les lits de réanimation. L'Allemagne est toujours citée comme un exemple formidable. Un article intéressant, paru dans Le Monde Diplomatique, début septembre, soulignait que si les Allemands avaient eu à faire face à la situation qu'a connue la France, de leur aveu même ils auraient connu un problème de personnel. Arrêtons de toujours citer le nombre de lits de réanimation en Allemagne. Nous sommes capables de faire la même chose en France avec nos USC (unités de surveillance continue). Il faut disposer de respirateurs et de matériels placés d'emblée dans ces unités, de façon à faire face aux prochaines vagues, car cela n'aurait pas de sens de vouloir adapter les lits de réanimation à une crise aiguë. Nous pouvons espérer ne pas être confrontés à une telle situation en permanence. Il faut donc raison garder de ce point de vue.
Les IADE qui sont allés en réanimation ont des compétences particulières, comme l'a indiqué le professeur Maury, et ces compétences particulières doivent être mises à profit lorsqu'ils vont aider en réanimation. Ce sont eux qui ont permis de créer des réanimations éphémères très rapidement, car ils connaissent très bien le matériel. Ils ont des connaissances en curarisation et en matière de sédation prolongée, ainsi que sur plusieurs points particuliers. Il faut mettre en valeur ces compétences afin que cela soit utile dans les services de réanimation qui ont besoin d'elles. Ce travail est en cours au niveau de la SFAR. Malgré ce qu'a présenté le professeur Maury, nous travaillons en excellente collaboration avec la SRLF.
Merci pour vos propos très francs et très clairs, qui sont extrêmement instructifs. Pouvez-vous préciser ce qu'il en est concernant les lits de réanimation ? Il y a trois semaines, nous avons entendu le ministre de la Santé, qui nous a indiqué que 12 000 lits de réanimation pouvaient être ouverts. J'ai retenu de votre exposé que nous avions actuellement 5 700 lits en France. Je n'ai pas tout à fait compris si le nombre de 600 lits indisponibles, faute de personnel suffisant, était déduit ou non de ce chiffre : avons-nous 5 700 lits, 5 100 lits ou 6 300 lits ?
Combien de lits de réanimation peut-on faire fonctionner actuellement au bénéfice de patients Covid sans toucher à l'activité usuelle des hôpitaux ? J'ai conscience que ce nombre variera suivant les régions. Nous avons l'impression qu'à 1 630 lits, on atteint déjà de grandes difficultés.
En supposant que l'on décide de nouvelles déprogrammations massives parmi les activités hospitalières, comme cela a été fait au printemps, combien de lits de réanimation peut-on faire fonctionner dans ce pays dans des conditions satisfaisantes en termes de personnel ? Le professeur Bouaziz vient de citer le chiffre de 10 000 lits de réanimation. Pouvez-vous préciser à quel coût, pour l'ensemble du système hospitalier, un tel nombre de lits pourrait fonctionner ?
Vous avez également expliqué que, lors de la première vague, vous étiez arrivés à court de médicaments. D'autres nous ont expliqué qu'ils avaient mis en place des protocoles afin d'économiser de façon importante les médicaments. Quelle est la situation aujourd'hui ? Disposez-vous des stocks de médicaments nécessaires, dans l'hypothèse d'un nombre de plusieurs milliers de patients Covid en réanimation et, si oui, pour combien de temps ?
Le nombre de 12 000 lits peut être atteint en termes de lits armés. Il existe le matériel, les scopes et les respirateurs mais le problème porte sur le personnel. Nous avons bénéficié lors de la première vague de la solidarité nationale et du renfort de nombreux soignants venus d'autres régions. Ils ne reviendront pas. Sans déprogrammation, je ne vois donc pas comment nous pourrions faire fonctionner ces unités de réanimation sur le plan du personnel.
Quel est le nombre de lits que l'on peut faire fonctionner aujourd'hui, sans déprogrammation ?
À mon avis, sans déprogrammation, nous sommes actuellement au maximum de nos capacités.
Nous nous sommes effectivement aperçus de tensions sur les médicaments car il n'y a pas de stock. Les commandes sont effectuées de façon très tendue. Il a fallu faire face à une demande considérable venant de tous les pays d'Europe et les fournisseurs se sont rapidement trouvés en difficulté. Comme vous l'avez indiqué, des programmes de rationnement ont été définis. J'ai entendu que nous avions plusieurs semaines de stocks de médicaments mais je ne saurais vous dire dans quelle mesure ces stocks pourront être utiles.
Je suis parfaitement en ligne avec ces réponses. En l'absence de déprogrammation, nous pouvons théoriquement monter jusque 10 000 ou 12 000 lits mais nous n'avons pas le personnel nécessaire pour faire fonctionner ce nombre de lits. Une réanimation fonctionne avec deux infirmières pour cinq lits. Les équipes de réanimation comptent, pour environ quinze lits, sept ou huit praticiens hospitaliers. C'est un système extrêmement tendu en termes d'effectifs. Nous ne pouvons laisser des lits libres « au cas où ». En activité normale, nous sommes programmés pour être remplis à hauteur de 90 % ou 95 %. Il n'y a pas de marge de manoeuvre. Si vous avez 20 lits, peut-être y a-t-il un lit libre, au maximum pour prendre en charge une urgence éventuelle.
Je suis parfois très surpris d'entendre ce que j'entends. Pour former un réanimateur, quelle que soit son obédience, il faut cinq ans. Je ne vois donc pas comment nous pourrions augmenter rapidement le nombre de lits. Ce n'est pas une architecture. C'est du personnel. Il faut six mois à un an d'ancienneté pour qu'un personnel infirmier soit autonome en réanimation. Il est donc extrêmement compliqué d'élever de façon brutale le nombre de lits.
En ce qui concerne les médicaments, je suis d'accord avec ce qu'a indiqué le professeur Maury. Nous avions connu une situation très tendue. Dernièrement, la situation s'est un peu améliorée. Nous avons un peu plus de stocks, sans avoir beaucoup plus de détail.
Nous sommes au niveau de saturation car le taux de patients Covid atteint 30 %, 40 % voire 50 % des lits de réanimation dans certaines régions, sachant que les 50 % restants sont occupés par des patients non-Covid.
Ce que viennent de dire le professeur Leone et le président Maury est juste : nous sommes arrivés au bout d'un système. C'est d'autant plus grave que nous avions tous à peu près la certitude, aux mois de mars et d'avril, que la situation allait se calmer. C'est avec cette conviction que nous avions mobilisé fortement le personnel, partout en France, et que nous avions tous accepté le principe des déprogrammations.
Aujourd'hui, nous ne savons pas où nous allons et nous sommes arrivés au bout de ce que nous pouvions faire. L'épidémie n'est pas seulement située, comme en mars et avril, dans l'Est, en Île-de-France, dans les Hauts-de-France et à Marseille : elle est partout. Les renforts dont nous avons bénéficié, et que nous saluons tous, venant de professionnels dont il faut saluer l'engagement et la citoyenneté, alors qu'ils ne connaissaient pas les services dans lesquels ils sont venus travailler, ne seront pas là cette fois-ci. En outre, comme l'ont dit des collègues chirurgiens, la déprogrammation n'est plus entendable par les malades. Certains d'entre eux ont été opérés avec de longs délais, notamment dans le cas de cancers. L'idée selon laquelle tous les lits seraient réservés au coronavirus n'est pas entendable par des malades souffrant de pathologies présentant une mortalité supérieure à celle du coronavirus, même si je comprends l'engagement politique et social qui existe sur cette question.
Nous n'avons pas de réserves. On a ouvert un hôpital de campagne du service de santé des armées mais celui-ci est également exsangue, même s'il ne peut le dire car il n'a pas la même liberté de parole que nous. À Paris, on a fait l'erreur de fermer l'hôpital du Val-de-Grâce. C'est une interpellation que j'adresse : il faut rouvrir cet hôpital et y installer des lits. Il y a aussi eu toutes ces fermetures de lits. Je n'accuse pas le gouvernement actuel. Nous sommes dans une commission d'enquête. L'analyse faite ces vingt ou trente dernières années, selon laquelle la France avait trop lits d'hospitalisation, nous a conduits à privilégier une économie de santé et à rechercher toujours plus d'efficience, ce qui nous a conduits à réduire la voilure en diminuant de 100 000 le nombre de lits, ce qui est énorme. C'est une autocritique collective qu'il faut faire et je m'y inclus. Nous travaillons avec les urgentistes. Nous représentons les premières heures de prise en charge. Nous devons ensuite transférer ces malades aux réanimateurs médicaux, pour l'essentiel. Je travaille actuellement au SAMU de Paris. La situation est extrêmement tendue sur l'ensemble de l'Île-de-France. On essaie de trouver des lits de différentes manières mais c'est très compliqué. Si l'on en croit les courbes mathématiques de l'INSERM et de Pasteur, les jours qui vont arriver seront très difficiles.
Le noeud du problème réside dans le personnel. Vous avez lu des articles montrant que le personnel n'en peut plus. Il y a des interpellations sociales liées à l'attractivité des hôpitaux et au management qui y est pratiqué. Tous ces éléments sont liés.
Croyez bien à l'engagement des professionnels de santé, qui veulent tout faire pour sortir de la crise, d'autant plus que celle-ci a des retentissements sur l'ensemble de la société et de notre civilisation. Nous sommes très engagés mais nous souffrons du fait que nous sonnons l'alerte depuis des années sans avoir été beaucoup écoutés. Vous évoquiez les problèmes de matériels et de médicaments. Il faut réindustrialiser la France de toute urgence afin que nous soyons de nouveau autonomes concernant les médicaments.
Lorsqu'on est au bout d'un système, il faut travailler sur la prévention. Nous sommes effectivement en tension importante. Le professeur Leone a souligné, dans son introduction, qu'il fallait tout miser sur la prévention. Peut-être le Président de la République va-t-il, ce soir, instaurer un couvre-feu. On peut espérer que cela modifie un peu la donne en diminuant l'afflux de patients polytraumatisés. Ceux qui ont expérimenté ce type de mesure ont constaté une diminution immédiate de l'afflux de tels patients, la nuit en particulier.
Il faut aussi effectuer une déprogrammation intelligente. Nous en revenons à la notion de retour d'expérience. Des erreurs ont probablement été faites, en ne réfléchissant pas de façon suffisamment fine avec nos collègues chirurgiens ou interventionnistes aux activités qui pouvaient faire l'objet d'une déprogrammation. Tels sont à mon avis les aspects sur lesquels il faut mettre l'accent pour donner un peu d'oxygène au système.
À l'heure actuelle, la plus grande inquiétude des soignants est de faire face à un patient qui a des chances de survie et de ne pouvoir le prendre en charge dans des conditions de qualité et de sécurité qui seraient celles prévalant en temps normal. C'est un métier que nous avons choisi. L'engagement des professionnels a été remarquable. La coopération interrégionale, voire transfrontalière, a témoigné d'une grande solidarité durant la première vague. Nous étions habitués, en tant qu'urgentistes, à des difficultés chroniques d'hospitalisation mais tout était devenu possible car les relations avec notre administration et les décisions étaient intégralement centrées sur l'intérêt des patients. Nous parlions le même langage. Aujourd'hui, les soignants s'inquiètent du retour à l'anormalité d'avant car les niveaux de discussion ne sont pas les mêmes.
Nous avons aujourd'hui besoin de l'aide de la population pour nous aider à la prendre en charge et diminuer la propagation de l'épidémie. On ne va pas trouver du personnel soignant dans des pochettes surprises. Ces professionnels sont engagés mais nous en manquons cruellement, en médecine d'urgence comme en réanimation. Nous avons besoin de l'aide de la population pour freiner la circulation du virus et rester sous le seuil de saturation des hôpitaux. Le plus démotivant, pour un soignant, est de ne pouvoir faire son métier dans les conditions de qualité et de sécurité que nous devons à la population.
Effectivement nous ne parviendrons pas à équiper les 12 000 lits de réanimation sans déprogrammation. Il faut trois ans pour former une infirmière de réanimation et cinq ans pour un médecin. Je voudrais mettre deux chiffres en perspective. En ce moment, 1 500 patients occupent 5 000 lits et mettent un pays de 66 millions d'habitants en grande difficulté. Il n'est peut-être pas nécessaire d'avoir 30 000 lits de réanimation mais si nous en avions un peu plus, nous ne serions peut-être pas dans cette situation.
De quel chiffre les 600 lits de réanimation actuellement fermés se déduisent-ils ?
Nous avons 5 700 lits opérationnels actuellement du fait de la fermeture de ces 600 lits.
Vous indiquez que nous avons 5 700 lits. Si l'on accroît ce nombre, y compris par des déprogrammations, où allez-vous trouver le personnel nécessaire pour faire fonctionner ces lits supplémentaires ?
La seule solution, pour libérer rapidement du personnel, est la déprogrammation chirurgicale. Quoi qu'on en dise, le personnel d'anesthésie-réanimation et les médecins anesthésistes-réanimateurs sont formés pour la réanimation. Ils suivent autant de stages que les personnels des services de médecine intensive-réanimation. Ils ont une formation équivalente. Les IADE (infirmiers anesthésistes des blocs) sont souvent issus des réanimations. Le parcours classique d'un IADE est celui d'infirmier, puis infirmier en réanimation avant de se former, au bout de quelques années, en tant qu'IADE. C'est le personnel qui peut être le plus rapidement opérationnel pour la réanimation parmi l'ensemble des infirmiers.
C'est la clé de la crise. Je m'en suis ouvert à Katia Julienne, directrice des hôpitaux, la semaine dernière. Je ne sais pas où en est ce travail mais un certain nombre de verrous doivent être levés pour mieux calibrer les contrats de travail. J'ai relayé ce matin un appel solennel lancé par Martin Hirsch afin d'inciter à revenir des personnels ayant quitté les hôpitaux. L'AP-HP s'efforce d'augmenter la rémunération proposée en la calquant sur celle proposée aux personnels intérimaires mais il reste des verrous trop complexes. Nous pourrions créer un appel d'air intéressant en termes financiers et lancer un appel à la mobilisation citoyenne pour que des personnels reviennent travailler à l'hôpital (pourvu de faire en sorte que celui-ci soit accueillant, car ce n'est pas toujours le cas). Nous pourrons reformer, par des gestes simples, des personnels qui étaient en réanimation avant de rejoindre un exercice libéral par exemple. Peut-être certains praticiens peuvent-ils revenir un jour ou deux par semaine. Ce serait toujours cela. Encore faut-il bien les accueillir et bien les rémunérer. Il n'y a pas que les infirmières. Il y a les manipulateurs radios, les biologistes - qui sont submergés par les tests PCR en ce moment. C'est toute l'architecture de l'hôpital qu'il faut prendre en compte. Il faut mettre le paquet sur le plan financier. Peut-être pourrons-nous alors franchir ce cap difficile. En tout état de cause, nous ne disposons plus de la réserve dont nous avons bénéficié durant la première vague à travers des renforts de professionnels venant d'autres régions.
Monsieur Pelloux, le porte-parole de votre association a déclaré, le 20 septembre : « le problème qu'on a aujourd'hui à l'hôpital, plan blanc ou pas, c'est qu'on a eu quatre mois de répit et rien n'a été fait pour préparer l'hôpital à une augmentation d'activité qui était prévisible ». Quels sont, selon vous, les enseignements qui n'ont pas été tirés ? Qu'est-ce que le ministère et les ARS auraient pu mettre en place pour que cela fonctionne mieux aujourd'hui, alors que nous sommes dans la seconde vague et que les interrogations sont encore nombreuses ?
Je peux émettre des idées mais je ne me poserai pas en donneur de leçons car il n'y a pas plus difficile que la gestion de crise. Nous sommes à un moment historique de la vie du pays. Je crois en mon pays et en la capacité de mobilisation collective dont nous pouvons faire preuve pour éviter le pire, c'est-à-dire l'écroulement de notre pays, comme l'avait dit Edouard Philippe. Nous en sommes là.
Probablement fallait-il acheter le matériel et il y a encore des endroits où le matériel n'a pas été acheté suffisamment tôt.
La mobilisation pour conserver le personnel aurait pu être plus forte. Certes, il y a eu le Ségur mais cela n'a pas été à la hauteur de l'espoir qui existait. Les augmentations sont considérables et toutes les organisations syndicales ont salué l'effort du contribuable pour augmenter les salaires. Le retard était tel que l'espoir était immense. Or aucun changement radical ne s'est produit, surtout dans les grandes villes, où le coût de la vie est particulièrement élevé du fait du logement.
Sans doute eût-il fallu mieux anticiper cette seconde vague mais, comme l'a souligné le Premier ministre, nous espérions que cela allait se calmer. Nous avons été un peu lassés d'entendre dire tous les quinze jours qu'une situation grave se profilait. La forme que prend l'évolution de l'épidémie décrit une augmentation lente. Aurélien Rousseau, directeur de l'Agence régionale de Santé d'Île-de-France, parle d'une marée montante.
On parle aujourd'hui, entre autres propositions, de former des réanimateurs. En juin avait lieu le concours des internes qui peuvent intégrer l'internat. Il y avait la possibilité d'utiliser ce levier et j'avais proposé au ministre de la Santé d'augmenter le nombre de réanimateurs médicaux, en passant de 74 à 150, par un redéploiement que tout le monde aurait compris. Le ministère ne l'a pas voulu et les chiffres sont restés inchangés. Je pense que c'est une occasion ratée. Lorsque, dans une région, on ferme une réanimation, cela a des conséquences pour les urgences et pour le SAMU car nous devons parcourir beaucoup plus de kilomètres et la régulation devient plus difficile. Ne trouvant pas de réanimateurs, nous faisons venir des réanimateurs d'Afrique du Nord, sans se soucier d'ailleurs des manques que cela peut causer dans ces pays. Ce problème du personnel est crucial. Il doit être pris à bras-le-corps en augmentant ou en répartissant différemment le nombre d'internes. Cette crise ne nous surprend pas car le problème des lits d'aval ou de lits pouvant accueillir des patients graves se pose régulièrement. Le nombre de lits disponibles est descendu à un niveau trop bas.
Je suis un peu surpris d'entendre le bilan présenté. J'ai l'impression que nous sommes le 20 février, lorsque le professeur Caumes nous annonçait ce qui allait nous arriver. Nous avons l'impression d'être au même point qu'au mois de mars. Nous ne sommes pas préparés, alors que dès janvier nous savions que cela allait arriver. J'ai l'impression que trois mois (juin, juillet, août) ont été perdus alors qu'on savait à quoi s'en tenir. Je remercie le docteur Pelloux pour ses commentaires sur cette période.
Certains pays ont mis à jour leur parc de respirateurs. On sait que quelques polémiques ont éclaté sur ce sujet, à propos notamment de respirateurs non adaptés. Où en sommes-nous ?
Au lieu de nous annoncer de façon très médiatique l'augmentation du nombre de lits de réanimation (je parle du ministère de la Santé), ne pourrions-nous nous mobiliser pour ouvrir les lits existants mais actuellement fermés faute de personnel qualifié ?
J'aimerais également savoir quelles conséquences peuvent être tirées de cette première phase, de mars à juin, pour réagir en conséquence aujourd'hui et quels seraient les mesures et moyens à mettre en place pour faire face à cette nouvelle marée montante et à des épidémies qui risquent de se répéter à l'avenir ?
Merci pour vos exposés. Effectivement, vos propos confirment les auditions que nous avons eues antérieurement. Les éléments que vous apportez, concernant les lits de réanimation, ne manquent pas de susciter un certain nombre d'interrogations car, compte tenu des politiques qui ont été menées depuis plus de vingt ans, une baisse extrêmement importante du nombre de lits a eu lieu. C'est ce que nous payons aujourd'hui. Les solutions sont les déprogrammations et le renoncement aux soins. Autrement dit, on a le sentiment que l'on déshabille Pierre pour habiller Paul, avec de façon prévisible des conséquences graves pour des patients qui ne mourront pas du coronavirus mais des pathologies qui les affectent, tels que des cancers.
Il n'y a pas d'anticipation de la part du gouvernement dans cette situation de crise. On pourrait décider de changer de braquet et de rouvrir des lits. Certes, il y a le problème des personnels, que vous avez souligné. J'ai posé une question d'actualité au ministre tout à l'heure, car il demande aux personnels de tenir bon. C'est une phrase terrifiante. Une infirmière dit : « on a travaillé plus de 50 heures par semaine six jours sur sept. Ce n'est pas un sacrifice de temps mais de personne ». Pour rendre l'hôpital attractif, il faut augmenter les salaires, et d'au moins 300 euros plutôt que deux fois 90 euros. Mais il faut aussi réduire les cadences, donc embaucher du personnel.
Je ne comprends pas le décret, concernant la profession de réanimateurs, qui limite le nombre de postes ouverts à 64 alors qu'il en faut 130. C'est maintenant qu'il faut élargir cette possibilité et donner des moyens aux universités. Pour réellement supprimer le numerus clausus, il faut donner des moyens aux universités pour que des étudiants soient formés et qu'ils disposent de lieux de stage.
Peut-on essayer de faire en sorte que les étudiants qui arrivent en fin de formation d'infirmier fassent l'objet d'un aménagement, pour la validation de leur diplôme, afin qu'ils soient disponibles plus tôt ? Est-ce envisageable également pour les médecins et les internes ? Que pensez-vous d'une telle idée ?
Nous sommes plusieurs parlementaires à constater que le nombre de lits de réanimation est deux fois inférieur à celui d'autres pays industrialisés tels que le Japon et l'Allemagne. Il ne s'agit pas de comparer pour comparer, car les politiques de santé peuvent varier d'un pays à l'autre. Ces chiffres fournissent tout de même une indication intéressante. En dehors de la crise, un nombre d'environ 5 000 lits n'est-il pas sensiblement insuffisant (puisqu'il représente à peine six lits pour 1 000 habitants) ?
Enfin, un certain nombre de services d'hôpitaux ont été fermés. Patrick Pelloux a évoqué le Val-de-Grâce. Je pense également à la sous-utilisation de l'Hôtel-Dieu. Faut-il de grandes surfaces pour installer des lits de réanimation ? C'est un argument qui nous a été opposé, auquel je ne crois guère. J'aimerais cependant entendre l'avis de professionnels.
Le gouvernement n'a pas fait d'annonce immédiatement en faveur de la réouverture de lits pour l'avenir et la formation de médecins réanimateurs. Cela me semble préjudiciable. Cela pourrait sans doute figurer parmi nos recommandations.
Avez-vous été entendus en ce qui concerne les déprogrammations à décider intelligemment et avez-vous le sentiment que cela va être fait ?
Nous sommes nombreux à avoir l'impression de devoir dresser un constat terrible. Nous devons préparer l'avenir et le sentiment dominant est que l'on ne prépare rien, c'est-à-dire que nous restons dans une situation de saturation. Je suis très inquiète pour les jours qui viennent et pour l'avenir, par voie de conséquence. Le ministre de la Santé a évoqué tout à l'heure la nécessité de former certains personnels en dix ans. Il nous faudrait donc certainement inscrire l'augmentation du nombre de lits et du nombre de médecins réanimateurs dans nos orientations pour les années à venir.
Je ne répondrai peut-être pas point par point à toutes ces questions car cela me serait difficile.
Je commencerai par la formation. Vous avez évoqué la possibilité de solliciter des internes et les IDE en fin de formation. Oui, toutes ces solutions sont largement éprouvées sur le terrain. Tous nos internes sont au sein des unités et ont un rôle actif de professionnels de santé. Ils ne sont aucunement mis sur le côté. Tout le monde participe à la prise en charge de ces patients à l'hôpital.
Le problème réside dans la pénurie complète qui prévaut. Je ne comprends même pas que vous soyez surpris du fait qu'on ne peut, en trois mois, changer une situation de pénurie pérennisée depuis vingt ans. Vous avez compris à travers les propos du professeur Maury qu'il y a une composition entre les MIR et les MAR. Cela témoigne bien de l'esprit très négatif qui peut exister dans les hôpitaux : si l'on crée des MIR, ce ne peut être qu'aux dépens des MAR. À Marseille, à l'APHM, nous manquons de 30 anesthésistes réanimateurs pour aller dans les blocs opératoires faire de la chirurgie courante et pour faire de la réanimation. Le problème n'est pas d'enlever des MAR pour créer des MIR. Il s'agit d'augmenter les ressources disponibles pour tous, de façon significative.
Se pose aussi la question de l'attractivité du secteur privé pour les personnes qui sont en fin de formation. Les personnels ont été formés jusqu'à leur thèse. Ils restent un ou deux ans chez nous en post-internat, puis sont naturellement tentés de rejoindre le privé, dont l'attractivité est immense. Les pratiques sont aussi assez différentes de celles qui existent dans nos centres. Les rémunérations n'ont aucun rapport avec celles pratiquées dans le secteur public. Autrement dit, nous formons nos propres concurrents et, une fois formés, ils partent pour la clinique en face, où ils vont gagner beaucoup d'argent. En revanche, le rôle social ne sera pas forcément rempli.
Il faut sortir de cette logique de compétition entre nous. Il faut des internes supplémentaires formés pour la réanimation et formés pour le bloc opératoire. Nous défendons cette ligne, via la SFAR, car cette plasticité des anesthésistes-réanimateurs peut être très utile. La pratique, au bloc opératoire n'est pas si différente de celle qui existe en réanimation. Je suis ami avec de nombreux médecins intensivistes-réanimateurs et je n'alimenterai pas ce débat.
La situation pouvait être anticipée il y a vingt ans mais nous payons aujourd'hui le prix de la politique instaurée il y a vingt ans, assortie d'un numerus clausus très sévère. Il faut aussi mentionner l'évolution des pratiques. Lorsqu'un anesthésiste-réanimateur remplace un autre anesthésiste-réanimateur dans le secteur privé, deux postes seront pourvus, car les gens travaillaient, à l'époque, 70 heures par semaine. De ce fait, deux voire trois professionnels vont remplacer un seul professionnel partant. Le paysage de la santé a complètement changé ces dernières années.
La surface nécessaire, en réanimation, est assez normée, à raison, je crois, de 20 mètres carrés par chambre. Ce n'est pas vraiment un problème. En revanche, les familles ne supportent pas que les patients se trouvent en réanimation s'il n'y a pas un plateau technique à côté. Si vous dites à une famille qu'un patient a été placé sous ventilateur mais qu'il n'y a pas de cardiologue pour effectuer une coronographie ni de scanner dans l'hôpital, les familles refusent la prise en charge. Les réanimations doivent se trouver là où existent des plateaux techniques permettant une prise en charge performante des patients, faute de quoi ceux-ci et leurs familles sont furieux, à juste titre. Des lits de réanimation seuls, sans le plateau technique qui doit se trouver autour, ne sont donc pas très utiles.
Nous avons un système hospitalier qui est, en ce moment, fatigué, peut-être même exsangue. Nous devons nous demander si nous sommes arrivés au bout d'un modèle. Nous sommes confrontés à un problème d'attractivité. Comme vous l'avez vu, le collectif inter-hôpitaux se fait entendre depuis de nombreux mois, en soulignant la perte de compétitivité de l'hôpital public et les nombreux départs de soignants vers le privé. Tout le monde est content de trouver l'hôpital public pour faire face à la crise mais il y a là de vraies questions.
Vous avez indiqué qu'il fallait cinq ans pour former des internes. En médecine intensive-réanimation, nous demandons depuis trois ans 130 internes. Nous en avons obtenu 64. Ce nombre est maintenant de 70. Nous sommes encore loin du compte.
La polémique, concernant les respirateurs, a été largement discutée. Des respirateurs ont été commandés, au plus fort de la crise, car le seul fournisseur français qui pouvait agir, L'Air Liquide, n'était pas en mesure de proposer d'autres respirateurs que ceux-là. Il est vrai que ce n'est pas une Ferrari. Ce n'est pas un respirateur perfectionné. Cela dit, si nous avions été confrontés à des hordes de malades, nous aurions été bien contents de les avoir. Je sais que des respirateurs ont été achetés dans un certain nombre d'hôpitaux. Je n'ai pas de vision globale sur les stocks disponibles de ces équipements.
Le problème porte bien sur le personnel, car nous disposons des structures et des respirateurs. Il faut armer ces unités de réanimation afin de pouvoir faire face à de nouvelles crises. Celles-ci surviennent à peu près dix ans, comme vous l'aurez peut-être remarqué. Il y a eu la grippe en 2010. Il y avait eu des épisodes du même type en 1959 et en 1969. Quel est le prix d'un lit de réanimation dont on se servirait tous les dix ans ? Certes, il faut disposer du personnel. Ce sont néanmoins des axes de réflexion au long cours à considérer. Fallait-il obliger les infirmières à se former en réanimation durant l'été, afin qu'elles soient opérationnelles dès leur sortie de l'école (sachant que le stage en réanimation n'est plus obligatoire) ?
Je ne travaille pas au bloc opératoire. Au début, une déprogrammation nationale a été décidée, alors que certaines zones n'étaient peut-être pas fortement impactées. Je crois qu'il faut redonner la main aux régions et peut-être même aux hôpitaux, afin qu'ils gèrent la situation au mieux, car nous allons vraiment vers des périodes difficiles.
En ce qui concerne les déprogrammations intelligentes, je crois qu'il est un peu dur d'affirmer que rien n'a été anticipé. J'ai évoqué devant vous un certain nombre de dispositions prises concernant par exemple les réanimations éphémères. Des groupes se sont constitués pour faciliter la communication entre les autorités sanitaires et les médecins, ce qui a présenté une certaine efficacité pour les médicaments dont nous avions besoin. Ce dispositif serait d'emblée actif si nous en avions de nouveau besoin.
Chacun sait désormais que des déprogrammations massives ont eu des effets délétères et qu'un certain nombre de patients en ont payé le prix. Je pense que les médecins, dans les régions, réfléchissent avec les chirurgiens et les interventionnistes pour une déprogrammation intelligente. J'en discutais récemment avec un responsable à Rennes, où cette pratique est une réalité. Des leçons ont donc bel et bien été tirées de ce qu'il s'est passé. Ne pensons pas que nous repartons de zéro.
Nous avons aussi besoin de conserver notre personnel. On ne s'attache pas assez aux motifs de démission. Se posent des problèmes de statuts, d'avancement, de titularisation, de contraintes à l'embauche. Il y a une quantité d'obstacles administratifs en conséquence desquels nous avons du mal à recruter mais aussi à conserver nos professionnels dans les hôpitaux.
Vous avez évoqué à juste titre les professionnels en fin de formation, qui sont largement mobilisés. Une réforme du troisième cycle devait apporter des améliorations dans les coopérations entre CHU et CH. C'est l'inverse qui se produit en Île-de-France en raison d'une répartition inhomogène de ces docteurs juniors, en faveur du centre de la région. Il faut prendre en compte ces énormes disparités dans la répartition des moyens.
Là où ces docteurs juniors (qui sortent de dix années de médecine ou d'une quatrième année de spécialisation) sont présents, dans le cadre d'une « autonomie supervisée », nous commençons à entendre qu'ils vont remplacer des seniors et que l'on va revoir le tableau des effectifs. C'est une information très récente et ce n'est pas entendable, en particulier dans des périodes d'épidémie telles que la période actuelle. Ces professionnels qui sont en phase d'envol peuvent venir nous renforcer avant de devenir des seniors mais ils ne viendront jamais en substitution de professionnels seniors confirmés. C'est un exemple du retour à l'anormalité d'avant que j'évoquais, à travers certains discours qui nous sont tenus actuellement.
Pour répondre à la question de madame Cohen, la fermeture de lits remonte à une période assez ancienne. Une technostructure, venant souvent de Bercy, nous expliquait que les lits coûtaient cher et que nous n'en avions plus besoin. Certes, nous n'étions plus à l'époque du président Pompidou, qui a construit un hôpital tous les 100 kilomètres, lorsqu'il a construit l'autoroute 16, car tout le monde se tuait sur la route. La prévention routière a été créée et nous n'avons plus eu besoin d'autant d'infrastructures.
Le problème réside dans la Copermo, une commission d'efficience qui vient de Bercy. C'est elle qui ferme les lits. Beaujon et Bichat vont fermer pour faire l'hôpital Nord. Martin Hirsch se félicitait de constater qu'on lui avait accordé 100 lits supplémentaires mais les deux hôpitaux qui ferment représentent encore la fermeture de 300 ou 400 lits. L'hôpital de Garches, qui est un des fleurons de la médecine de réadaptation pour les grands handicapés, va être fermé pour rejoindre Ambroise Paré. Cela représente encore quelques centaines de lits en moins. Ça n'arrête pas ! Je pensais que nos dirigeants allaient en prendre conscience à travers la crise actuelle. Je comprends tout à fait qu'un nouvel hôpital soit construit en Seine-Saint-Denis, car c'est un des départements les plus pauvres de France, mais qu'on ne ferme pas les autres ! Cette volonté d'efficience est toujours présente. Durant la crise, nous avons proposé de rouvrir des lits à l'Hôtel-Dieu. On nous a dit que ce n'était pas possible car les structures de circulation des fluides étaient cassées. Les syndicats de personnels sont allés voir. Tout fonctionne très bien. On pouvait y remettre des lits mais ils ne l'ont pas voulu.
Le problème est aussi celui de « l'après ». Nous ne savons pas où nous allons, alors que les patients, une fois sortis de réanimation, doivent être réadaptés. Certains feront probablement des fibroses pulmonaires. Les services de soins de suite et réadaptation (SSR) sont peu nombreux. Si l'on y ajoute les personnes âgées et celles qui sont en perte d'autonomie, c'est le jeu des dominos. Nous ne travaillons pas mieux aujourd'hui. J'ai l'honneur de présider la commission d'organisation de la permanence des soins. Je ne suis pas du tout associé à la cellule de crise de l'AP-HP, car cela gêne. Autour de la table, ce sont tous des professeurs prestigieux. Un simple praticien hospitalier, ce n'est pas possible. On décrète alors qu'il faut déprogrammer. Nous leur avons expliqué que ce sont des malades que l'on va retrouver aux urgences, car on a déjà déprogrammé des malades pendant deux à trois mois au printemps dernier. De façon de plus en plus pressante, on déprogramme l'activité chirurgicale. On ne peut faire autrement. Mais les chirurgiens veulent opérer leurs malades. C'est le sens d'une tribune qu'ils ont fait paraître dans Le journal du dimanche. Ils vont partir dans le privé. Je n'ai rien contre le privé mais celui-ci est en train de s'organiser pour les recevoir. Nous risquons d'amorcer la bascule de la chirurgie publique vers la chirurgie privée.
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale va vous être présenté. Nous avons constaté que 4 milliards d'économies avaient été décidés. 8 milliards nous ont été alloués au mois de juin. Le nouveau PFLSS comporte déjà 4 milliards d'euros de moins, avec - 1,4 milliard sur les hôpitaux publics. Autrement dit, on va nous dire qu'il faut fermer les lits ouverts actuellement. On fait un pas en avant et trois pas en arrière.
Le PLFSS demande cette année aux hôpitaux un effort de 850 millions d'euros.
L'ECMO peut-il être pratiqué dans tous les services de réanimation ? Quelle est la particularité de cette technique ?
J'aimerais également savoir comment vous définissez un lit armé en réanimation. S'agit-il des équipements nécessaires et du personnel dédié ou seulement du matériel selon votre définition ?
Vous avez formulé des propositions concernant les étudiants, notamment les étudiants infirmiers, qui pourraient être formés et habilités pour travailler dans les services de réanimation. Ne serait-il pas judicieux également de solliciter les IBODE (infirmiers de bloc opératoire), qui pourraient sans doute être intéressés par un travail en réanimation, compte tenu de leur expertise et de leur expérience ?
De nombreux Français ont eu recours à des formations à l'étranger, du fait des limites induites par le numerus clausus en France. Pourrait-il être fait appel aux médecins français qui auraient été diplômés à l'étranger et qui pourraient revenir en France, en les habilitant afin de mettre en cohérence leur formation et en mettant en place des passerelles afin de pallier les difficultés que vous rencontrez actuellement ?
Nous savons que les chances ne sont pas les mêmes en tout point de notre territoire. Il y a des pertes de chances en certains lieux, compte tenu des disparités existantes. Il serait donc intéressant d'identifier tous les leviers permettant de soulager les soignants.
Cette audition invite à une redoutable lucidité et cela fait mal, du point de vue des constats, que je partage. Nous comprenons bien que vous ne souhaitiez pas des déprogrammations, car ce terme laisse entendre un tri des patients, avec tous les problèmes éthiques que cela suppose. Nous serions là aux antipodes de ce que vous faites au quotidien dans vos pratiques de soignants.
Quelle est la réalité de l'appel aux praticiens étrangers ? En début de crise, un ou deux articles ont paru, dans la presse nationale, évoquant ces médecins étrangers qui seraient moins rémunérés. Ce phénomène a-t-il vraiment existé ?
Le 24 septembre à 11 h 55, dans une clinique chirurgicale privée, un mail est arrivé, disant : « mesdames et messieurs, nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint une fiche relative aux recommandations d'organisation pour les prises en charge non-Covid ». Ce mail était signé par Katia Julienne et le professeur Jérôme Salomon. Chacun peut imaginer les conséquences d'un tel mail sur l'organisation de chaque structure compte tenu de ce qu'impliquent des changements d'organisation pour la prise en charge des patients. Le même jour, à 13 h 03, la clinique recevait un autre mail : « mesdames et messieurs, merci de ne pas tenir compte de l'envoi précédent. Un envoi ultérieur sera réalisé. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée. Bien cordialement, le centre de crise sanitaire ».
Cela n'a pas d'incidence majeure mais je voulais savoir si vous aviez connaissance de ce type d'anomalie. S'agit-il d'un problème d'articulation entre le public et le privé ou d'un problème général de pilotage ? Subissez-vous également, à l'hôpital public, ce type d'ordre et contrordre arrivant dans les heures suivantes ? En sommes-nous encore là aujourd'hui ?
Le constat est lucide, comme cela a été souligné, mais incomplet. Le docteur Ricard-Hibon a évoqué le rôle des acteurs médico-sociaux et les patients restent à domicile lors de la première vague. Les médico-sociaux (notamment les services infirmiers à domicile, qui maillent tout le territoire) ont bien été présents, parfois pour soigner sur place, à domicile, les personnes âgées en perte d'autonomie qui pouvaient être atteintes par la Covid. Une mobilisation assez extraordinaire a prévalu dans ce domaine également. Jamais le taux d'absentéisme n'a été aussi bas. Mais les services intervenant à domicile sont actuellement en décompensation et les démissions flambent, car le Ségur de la santé n'a pas inclus les médico-sociaux intervenant à domicile, renvoyant aux travaux du Laroque de l'autonomie la revalorisation du personnel médico-social intervenant à domicile.
Je voudrais vous alerter à ce sujet, car le domicile ne tiendra pas la seconde vague. Dans les services de soins infirmiers à domicile, on ne peut plus prendre les patients entrants. Le personnel médico-social à domicile est en train de partir vers les EHPAD, voire à l'hôpital, ce qui ne fait qu'accroître les problèmes d'aval qu'évoquait monsieur Pelloux. Le Ségur de la santé n'a fait que rattraper le retard de décennies de déflation salariale. Il n'y a rien là d'extraordinaire. Dans le médico-social règne le primat de l'établissement. Le domicile constitue un point aveugle et il n'est pas du tout prêt à affronter la deuxième vague.
L'ECMO est un système d'oxygénation extracorporelle qui nécessite un appareillage et peut être placé dans toute réanimation. Dans notre région, le choix a été fait de disposer d'une réanimation référente car il y a des effets de centre. La réanimation moderne, ce sont aussi des spécialisations. Nous faisons 600 traumas par an et je pense que nous le faisons bien. Un service de réanimation d'un établissement voisin pratique les ECMO et en fait énormément. C'est ainsi que l'on progresse. Tout le monde peut le faire mais la littérature montre qu'il est préférable de rechercher un effet de centre, c'est-à-dire lorsque cette technique est mise en oeuvre par un seul centre.
Comme tout, on ne fait bien que ce qu'on fait souvent. L'ECMO reste une thérapeutique d'exception.
Un lit armé est un lit comprenant le matériel et le personnel adéquat.
Je me suis mal fait comprendre tout à l'heure. À mes yeux, un lit armé est un lit équipé mais non opérationnel faute de personnel suffisant.
Nous manquons d'IBODE dans tous les secteurs. La pénurie est générale. Les IBODE manquent aux blocs opératoires. Si on demande aux chirurgiens que leurs IBODE viennent en réanimation, on peut craindre que cela ne se passe pas très bien, car il faut aussi faire tourner les blocs opératoires. En outre, les gens ne sont pas forcément enchantés de rejoindre les réanimations, où l'on a 20 % de mortalité, c'est-à-dire un patient sur cinq. Même à l'hôpital, on n'est pas familier d'un tel taux de mortalité. C'est quelque chose d'assez traumatisant pour une infirmière non habituée à la réanimation. C'est la raison pour laquelle nous avions écrit avec Jean-Michel Constantin une tribune dans Le Figaro pour défendre le métier d'infirmière en réanimation.
Le métier d'infirmière en réanimation est une spécificité qui doit être reconnue comme telle.
Pour nous, la déprogrammation n'est pas possible aujourd'hui. On ne peut pas considérer que le malade Covid est plus important que le malade non-Covid. Inversement, des chirurgiens viendront sans doute vous expliquer que leurs patients de 40 ans, atteints de cancer, sont plus importants que les patients Covid. C'est tout aussi faux. Il n'y a pas de compétition entre les patients. Nous devons traiter les deux filières le mieux possible. L'on peut déprogrammer à la marge certaines interventions fonctionnelles mais même ces patients seront mécontents si l'on retarde les interventions.
Dans mon département, je manque de 12 médecins anesthésistes-réanimateurs sur 40. Un tiers de mon temps est consacré à envoyer des annonces, recevoir des CV et des candidats du monde entier. Dès lors que nous les recrutons, nous les incluons dans l'équipe. Nous sommes en crise et la pénurie d'anesthésistes-réanimateurs et de médecine intensivistes dure depuis de nombreuses années. Cela pose effectivement des questions vis-à-vis des pays d'où viennent les médecins étrangers.
Il y a des différences dans les organisations entre le public et le privé. Durant la première vague, l'appui de nos collègues du privé a été salutaire. Sans eux, nous n'aurions pas réussi. Ils nous sont venus en aide, dans le secteur public, de façon volontaire. Aujourd'hui encore, en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, les établissements privés jouent parfaitement le jeu et accueillent de nombreux patients Covid dans leur réanimation. Cette complémentarité existe entre les deux secteurs et montre toute son efficacité. Cependant, si on ne déprogramme pas, les professionnels ne sont pas disponibles.
Il existe un besoin en réanimation. Néanmoins, s'il s'agit de faire appel à des infirmières des services des étages pour pourvoir les réanimations, ce ne sera pas efficient car les patients des étages risquent alors de voir leur état se dégrader, faute d'un personnel suffisant dans les étages. Nous récupérerons ces patients en réanimation et nous aurons finalement aggravé le cercle vicieux. Ce ne sera donc jamais une solution envisageable. Ce serait la pire chose à faire pour la santé de la population.
Nous avons énormément de postes vacants, en réanimation comme en médecine d'urgence. Vous avez parlé, madame la sénatrice, d'égalité des chances. La répartition des internes et des jeunes seniors devient très hétérogène au détriment des CH périphériques. Un tiers de la promotion des docteurs juniors en médecine d'urgence, en Île-de-France, n'a pas choisi d'affectation. Ceux qui ont choisi ont opté pour le centre de la région, dégarnissant tous les CH. Ce n'est pas le cas dans toutes les régions mais dès lors que l'organisation existante ne permet pas de découvrir l'offre et les qualités pédagogiques proposées dans les CH (donc les perspectives de carrière qui existent dans ces établissements, avec de vrais partenariats entre CHU et CH), nous perdons des professionnels.
Nous essayons de compenser ce déficit par des praticiens étrangers mais la situation est ubuesque pour parvenir à les titulariser, tant les difficultés sont grandes. Nous avons des professionnels, venant de pays où ils ont reçu une formation remarquable, que nous souhaiterions garder dans nos établissements mais nous n'y parvenons pas, tant les contraintes sont grandes. Il ne faut pas que ces professionnels étrangers viennent compenser la pénurie là où l'on organise presque la désertification médicale. Il faut un meilleur partenariat entre CHU et CH et que les CH soient intégrés dans les commissions pédagogiques afin qu'il existe une répartition homogène des professionnels formés. Ainsi pourra être préservée l'égalité des chances dans l'ensemble des régions.
Vous avez évoqué à juste titre, madame la sénatrice, l'aide à domicile. Comme je le soulignais, lorsque la situation se bloque en réanimation, cela se répercute sur les urgences. Nous avons besoin de laisser à domicile des patients qui n'ont pas besoin de l'ensemble du plateau technique. On nous a beaucoup reproché de ne pas laisser des personnes âgées d'EHPAD venir dans les établissements. On s'est au contraire reposé sur la ville de sorte que les prises en charge soient adaptées avec des professionnels de ville plutôt que d'entraîner une maltraitance de personnes âgées dans les couloirs des urgences.
Nous avons des solutions permettant d'améliorer ce travail partenarial entre la médecine d'urgence et la médecine de ville, notamment par le service d'accès aux soins et ses liens avec les CPTS. Nous devons renforcer la coopération et la valorisation de ces professionnels, qui auront alors le sentiment de travailler avec nous (et non seuls dans leur coin) à la pertinence de l'accès aux soins, avec le souci de réserver le plateau technique à ceux qui en ont vraiment besoin. Pour ce faire, il faut organiser la prise en charge à domicile, en amont ou en aval de l'hospitalisation. Nous avons beaucoup d'espoirs à travers cette coopération qui a très bien fonctionné durant la première vague, de même que la mobilisation de la ville dans les centres Covid. La mobilisation des professionnels médico-sociaux peut être d'un précieux secours afin que les patients pouvant être pris en charge en ville le soient. Cela passe par la régulation généraliste et urgentiste. Ce pourrait aussi être une solution pour améliorer l'attractivité de ces métiers, à travers un travail d'équipe.
Je réponds à l'interpellation de madame Meunier concernant les praticiens étrangers. Lorsque le numerus clausus a été fixé à un niveau très bas, au début des années 80, tout le monde savait d'emblée que cela ne permettrait pas le renouvellement des générations. Il a alors été décidé de faire appel à des médecins étrangers, particulièrement en Afrique du Nord. On les a moins bien rémunérés. Tout est là. À chaque fois, ils subissent une décote, au motif qu'ils n'ont pas le diplôme ou l'équivalence requise. Si la France reconnaît leur diplôme et les rémunère correctement (ce qui passe par des négociations internationales), il faut que cela soit valable dans l'autre sens et non que lorsque des Français veulent aller travailler en Algérie, au Liban ou aux États-Unis, on leur impose des examens. Cette réflexion doit surtout être menée au plan européen. Nous n'avons pas constaté un afflux de nombreux médecins européens alors que les frontières sont ouvertes. C'est sans doute, là aussi, un enjeu d'attractivité et de rémunération. Rémunérez les médecins étrangers comme les médecins français. C'est aussi une question d'égalité. Vous verrez que, très vite, le numerus clausus augmentera. Il existe toujours un numerus clausus et une sélection, même si celle-ci s'opère de façon plus sournoise.
Les ordres et contrordres ont toujours existé. Bienvenue à l'hôpital ! Nous recevons des bulletins et des contre-bulletins. Nous nous y sommes habitués et nous ne leur en voulons pas, car parfois il n'est pas plus mal que certains ordres soient annulés.
Madame Jasmin, vous avez mille fois raison à propos des inégalités. Je pourrais citer de nombreux départements où les patients subissent une perte de chances du fait de l'absence de coronarographie. Je pense au Cotentin. Le même problème se pose pour l'accès au plateau technique en cas de cancer. Ce débat est à avoir avec le ministère de la Santé et surtout le ministère des Finances. Parlez-en avec le directeur de l'agence régionale d'Île-de-France, qui s'arrache les cheveux au vu des inégalités qui existent entre la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne ou les Hauts-de-Seine.
Vous avez également raison, madame, en soulignant que le médico-social a été le parent pauvre des accords du Ségur. Pourtant, sans ce secteur, aucun retour à domicile ne pourrait être envisagé. C'est un enjeu politique majeur. Les personnes âgées disent immédiatement qu'elles ne veulent pas aller en EHPAD ni en maison de retraite. Je ne crois pas que ce soit un luxe. Le curseur est placé très haut, en termes d'humanisme, dans notre pays et notre civilisation. Il ne faut pas l'oublier, même en période de crise. Celle-ci n'est pas dérogatoire aux droits ni à l'humanisme. J'ai l'impression que nous portons tous ce message ici. Nous devons être entendus, et pas seulement à court terme.
Les ordres et contrordres peuvent toujours se produire. L'erreur est humaine. Il est difficile d'en dire davantage dans la mesure où je ne connais pas le détail de ce mail.
La question éthique de la déprogrammation se pose en effet. Il faudra aller au bout de ce questionnement et veiller à ce que les patients ne paient pas les conséquences d'une déprogrammation. Les questions éthiques se posent tous les jours en réanimation. Nous avions même anticipé le débordement du dispositif hospitalier, lors de la première vague, et des questions éthiques se sont fait jour avec le service de santé des armées, en coopération avec la SFAR, pour prévoir qui irait dans les lits de réanimation.
Je suis pleinement d'accord avec le professeur Bouaziz. Cela fait partie de notre quotidien. Nous faisons de l'éthique pour se demander notamment si la réanimation est justifiée, car la réanimation est agressive. Nous allons faire subir un traitement douloureux, long, pénible à des malades dont la qualité de vie, à l'issue de la réanimation, est parfois si dégradée que nous considérons qu'elle n'est pas acceptable.
Nous vous avions fait parvenir des questions écrites auxquelles vos réponses seront bienvenues.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 45.