Intervention de Éric Maury

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 14 octobre 2020 à 16h35
Audition commune des professeurs éric maury président de la société de réanimation de langue française hervé bouaziz président de la société française d'anesthésie et de réanimation et marc leone chef du service d'anesthésie-réanimation des hôpitaux universitaires de marseille

Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord remercier la commission de donner à la SRLF, que j'ai l'honneur de présider, l'opportunité d'apporter quelques éclairages sur le rôle de la réanimation pendant l'épidémie Covid.

La réanimation, comme l'a dit mon collègue Marc Léone, est la prise en charge des patients qui présentent une ou plusieurs défaillances d'organes nécessitant une méthode de suppléance. Il peut s'agir de la ventilation artificielle lorsque la ventilation est défaillante. Ce peut être l'épuration extrarénale quand le rein est défaillant, ou encore la circulation extracorporelle lorsque l'activité cardiaque est défaillante. L'un des points positifs de cette crise est qu'elle a mis en lumière la réanimation vis-à-vis du grand public, alors que cette discipline était jusqu'à présent assez méconnue. Elle a souligné le fait que les structures de réanimation devaient être en nombre suffisant sur le territoire. Elle a aussi souligné l'importance de la présence d'un personnel médical et d'un personnel soignant qualifiés. Cette crise sanitaire a été effroyable. Elle a cependant permis, grâce au dynamisme des deux disciplines (médecine intensive réanimation et anesthésiste réanimation) de partiellement compenser l'importance de la crise.

Je voudrais revenir sur ces deux disciplines. La médecine intensive-réanimation (dite MIR) est exclusivement dédiée aux soins critiques. L'anesthésie-réanimation-médecine périopératoire (dite MAR) comporte l'anesthésie et la prise en charge non chirurgicale des patients chirurgicaux et polytraumatisés durant leur hospitalisation.

Nous avons reçu, durant la crise sanitaire, de nombreux messages de détresse des collègues du Grand Est. Dans certaines situations, il semblait que la capacité de prise en charge des patients était dépassée, malgré de nombreux transferts et l'ouverture de lits de réanimation ex nihilo. Des situations difficiles ont été signalées et ces praticiens ont eu beaucoup de difficulté.

Le capacitaire de réanimation français est le suivant. Nous avons un peu plus de 7 lits pour 100 000 habitants, soit environ 5 000 lits de réanimation. Ce nombre oscille entre 5 000 et 5 700, car 500 ou 600 lits sont fermés faute de personnels soignants. Ceci ne nous place pas dans le peloton de tête par rapport à certains de nos voisins.

Il a fallu, durant la crise, augmenter cette capacité car au plus fort de la crise, plus de 7 000 patients Covid étaient en réanimation, auxquels il fallait ajouter les patients non-Covid qui avaient aussi besoin de réanimation.

Ceci a été possible grâce au dynamisme des anesthésistes réanimateurs, qui ont pu se consacrer, à la faveur de déprogrammations chirurgicales massives, à la mise en place et à la mise en fonction d'unités de réanimation créées ex nihilo. Ils sont parvenus à augmenter le nombre de lits. La médecine intensive-réanimation a été en première ligne également pour la prise en charge du Covid, qui est une pneumonie. Les premiers malades ont d'abord rempli les services de médecine intensive-réanimation. Lorsque leur nombre a excédé les capacités de ces services, ils ont dû être hospitalisés dans les services d'anesthésie-réanimation et dans les lits créés ex nihilo. Cette pathologie était essentiellement une pathologie médicale. Malgré l'absence de déprogrammation de leurs activités, les médecins intensivistes-réanimateurs sont également parvenus à doubler leurs capacités d'hospitalisation.

Comment devient-on réanimateur en 2020 ?

Il y a deux voies pour y arriver. Une première voie est le diplôme d'études spécialisées en médecine intensive-réanimation, qui dure cinq ans. Il comporte une phase socle, une phase de consolidation de trois ans (durant laquelle les étudiants acquièrent une compétence dans des spécialités médicales variées) et une phase d'approfondissement d'un an.

Le DESAR, le diplôme d'études spécialisées en anesthésie-réanimation médecine périopératoire, qui est l'autre voie pour accéder à la réanimation, dure également cinq ans. Il comporte un parcours pédagogique spécifique. Au terme d'une formation qui comporte de la réanimation et de l'anesthésiste, on estime qu'environ trois quarts des médecins issus de cette filière vont se tourner vers l'exercice de l'anesthésie.

En 2016, le diplôme de réanimation médicale, qui était un DESC, va devenir un DES pour prendre l'intitulé de médecine intensive-réanimation, du fait de la disparition des DESC en 2016. La discipline a changé de nom mais continue de prendre en charge des défaillances d'organes dans un contexte médical (pneumonies graves, méningites, comas, insuffisances rénales ou hépatiques, etc.). Elle est exercée en CHU dans des services de médecine intensive-réanimation à côté des réanimations chirurgicales et dans les hôpitaux de plus petite taille (généralement non universitaires) dans le cadre de réanimations polyvalentes dont on estime que plus de trois quarts des séjours sont des séjours médicaux et non chirurgicaux.

Les pneumologues, internistes, infectiologues, cardiologues, néphrologues, hématologues, nous transfèrent de nombreux patients afin que nous les prenions en charge. Il existe aussi une articulation très importante avec la médecine d'urgence, via les services d'accueil d'urgence ou via le SAMU, ce qui plaide pour une voie de communication aussi simple que possible entre le SAMU et les services de réanimation.

Le comité national de coordination de la recherche en France a élaboré un diagramme que je vais commenter. En haut à droite est représentée la production scientifique des CHU de 2006 à 2015 et tout en haut apparaît la réanimation médicale, ce qui fait dire à cette commission que la réanimation médicale, la gastroentérologie, l'hépatologie, la cardiologie, qui se trouvent dans l'angle supérieur droit, sont des spécialités dans lesquelles les CHU excellent, avec un impact presque deux fois supérieur à la moyenne mondiale. Au niveau national, ils dominent largement la recherche, avec un indice de spécialisation de 4,5 à 5. Cela veut dire que nous oeuvrons dans des disciplines de spécialités médicales et non dans la recherche fondamentale.

Il existe en France la réanimation médicale (qu'on appelle désormais la médecine intensive-réanimation) et la réanimation chirurgicale. Les lits présents en France se ventilent de la façon suivante :

- 900 lits de médecine intensive-réanimation ;

- 3 200 lits de réanimation polyvalente (dont à peu près deux tiers des effectifs sont des médecins de médecine intensive-réanimation et un tiers des anesthésistes-réanimateurs) ;

- les lits de réanimation chirurgicale, de chirurgie cardiaque et neurochirurgie (pris en charge exclusivement par des médecins anesthésistes-réanimateurs).

Il serait nécessaire de disposer de personnels un peu plus motivés afin de disposer de 2 710 médecins intensivistes-réanimateurs et 2 420 anesthésistes réanimateurs sur le territoire pour prendre en charge les structures de réanimation.

Les besoins de formation en médecine intensive-réanimation, c'est-à-dire les besoins d'internes, avaient été estimés à 130 postes par an suite à une enquête de 2012. Lorsque le DESC s'est transformé en DES, il a fallu réestimer ce nombre. Nous avions retenu le nombre de 130, qui a été ramené à 120 et finalement à 60. Nous avons ainsi perdu 30 % du nombre de personnels que nous demandions. 60 internes de médecine intensive-réanimation sont formés annuellement, ce qui est notoirement insuffisant. Notre profession, sinistrée, présentait déjà un déficit de 300 professionnels. Nous fonctionnons très difficilement en période normale et ces difficultés sont naturellement amplifiées durant la crise.

Aujourd'hui, il y a trop peu d'internes de médecine intensive-réanimation formés pour occuper les postes d'assistants en services de médecine intensive-réanimation, les postes de chef de clinique en CHU et les postes d'assistant en CH. Le nombre de réanimateurs est insuffisant, problème qui est aggravé par la crise. La pandémie étant désormais nationale, les transferts n'étant pas possibles et du fait de l'absence de possibilité de renforts venant d'autres régions, il est impossible d'ouvrir des lits de réanimation supplémentaires sans déprogrammation chirurgicale, ce qui revient à déshabiller Pierre pour habiller Paul. C'est un moyen de faire face à la crise mais cette situation n'est évidemment guère satisfaisante.

Lorsqu'on va se faire opérer d'une appendicite aujourd'hui, on se pose la question de la compétence du praticien qui va vous prendre en charge : on souhaite quelqu'un qui ne fasse que de la chirurgie digestive et un anesthésiste dont c'est l'exercice habituel. Il en est de même pour le métier de réanimateur. C'est un métier à temps plein et exclusif, au même titre que celui d'infirmier de réanimation, dont on a beaucoup parlé. Nous avons vu que ces infirmiers étaient indispensables dans la crise. Si vous n'avez pas d'infirmier en réanimation, celle-ci ne tourne pas. Il faudrait que cette spécialité soit reconnue en France, comme dans d'autres pays européens. Ce métier spécifique n'est pas le même que celui d'infirmier de salle, d'infirmier de consultation, d'infirmier de bloc opératoire ou d'infirmier d'anesthésie. Tous ces métiers présentent leurs compétences et leurs spécificités mais ce ne sont pas le métier d'infirmier de réanimation.

Le métier de réanimateur est une spécialité complexe, à l'interface de la physiologie, de spécialités médicales (néphrologie, cardiologie, hématologie notamment). La compétence passe par une formation initiale de qualité et un exercice régulier à temps plein de cette spécialité. La médecine intensive-réanimation remplit parfaitement ces conditions puisque cette discipline est exclusivement dédiée aux soins critiques.

Il ne vous aura pas échappé que l'évolution médicale va vers l'hyperspécialisation. Nous avions des chirurgiens généralistes et nous avons désormais des chirurgiens spécialisés en chirurgie osseuse, en chirurgie digestive, en chirurgie urologique. Même au sein de l'ophtalmologie, il y a des spécialistes de la cornée, d'autres de la rétine. L'anesthésie est une spécialité complexe, présentant des spécificités et des domaines d'excellence particuliers (neurochirurgie, chirurgie cardiaque, chirurgie hépatique). Même dans des disciplines médicales telles que la cardiologie, il existe des sous-spécialités (rythmologie, insuffisance cardiaque, hépatologie coronaire). Les internes suivent une de ces filières dès l'internat et n'en sortent plus par la suite. La réanimation doit également constituer un exercice exclusif du fait de sa complexité.

Je suis moi-même anesthésiste de formation mais je n'ai pas fait d'anesthésiste depuis 25 ans. Si l'on me demandait, dans une situation de crise, d'endormir des malades, je le ferais volontiers, après avoir révisé un peu. Je ne serais sans doute pas capable d'apporter le niveau de compétence et de qualité au regard de ce qui est attendu en 2020 pour anesthésier un patient.

Sans vouloir polémiquer, je voudrais montrer un résultat publié au cours de notre e-congrès de septembre dernier, concernant l'expérience de l'hôpital Henri-Mondor, présentée conjointement par un médecin anesthésiste et un médecin intensiviste. Un bâtiment de l'hôpital Henri-Mondor devait être achevé en septembre. Du fait de la crise, ce bâtiment a été rapidement équipé et a pu devenir fonctionnel début avril. L'équipement de ce service a permis de monter 43 lits et de prendre en charge bon nombre de patients.

Deux exercices ont été comparés, d'une part un secteur de médecine intensive-réanimation avec une extension du service de réanimation médicale existant et d'autre part une section MAR constituée en grande partie de médecins anesthésistes, disponibles du fait de déprogrammation en chirurgie. Ils sont venus aider leurs collègues à faire de la réanimation et nous ne pouvons que les en remercier. Alors que les patients semblaient à peu près comparables en termes de gravité (nombre de patients ventilés, présence d'environ 25 % de patients sous dialyse de chaque côté, 25 % de patients sous ECMO), on observe que la mortalité était plus importante dans l'unité prise en charge par des praticiens dont le métier initial n'est pas la réanimation.

On ne fait correctement que ce qu'on fait régulièrement. Les MAR ont peut-être été mis en difficulté dans des situations qu'ils n'avaient pas l'habitude de gérer. Encore une fois, nous ne pouvons que remercier ces praticiens pour ce qu'ils ont fait. Dans une situation difficile, on fait ce qu'on peut. Nous avons fait de la réanimation comme nous le pouvions.

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