L'Intersyndicale nationale des internes fédère les syndicats locaux d'internes au sein des 30 subdivisions locales que sont les villes de Centres hospitaliers universitaires (CHU). Interne est une fonction : les internes sont des agents publics, encore étudiants, qui ont fait six ans de médecine et qui sont employés à temps plein à l'hôpital pour prendre en charge les patients jusqu'à la fin de leur internat et l'obtention de leur diplôme d'enseignement supérieur. Pendant la crise sanitaire, les internes ont été en première ligne. Ils représentent 25 % des médecins hospitaliers et 40 % des médecins dans les CHU. Habituellement, les internes sont indispensables au fonctionnement des hôpitaux.
Je souhaite revenir sur le contexte dans lequel cette crise sanitaire est arrivée. Quand elle a commencé, nous avons mis fin, le 19 février, à une grève historique, qui a duré 70 jours et dans laquelle nous nous sommes fortement mobilisés contre le manque de moyens et de personnel. Pendant ces 70 jours de grève, qui a été massivement suivie, aucune de nos revendications, notamment sur la question du temps de travail et sur celle des situations d'épuisement professionnel, n'a été entendue. Nous avons fait en 2019 une enquête dont il ressort que le temps hebdomadaire moyen de travail était de l'ordre de 56 heures. Nous demandons que la réglementation française permette un décompte horaire du temps de travail des internes, pour ne plus dépasser la durée fixée par la réglementation européenne, qui est de l'ordre de 48 heures. Nous nous sommes heurtés à un refus, à l'époque, de Mme la ministre Agnès Buzyn. Début 2020, quand la crise sanitaire a commencé, déjà quatre internes s'étaient suicidés, notamment par épuisement professionnel. Et je vous passe les chiffres sur la santé mentale des internes en France, qui est catastrophique, notamment en raison de la multiplicité de situations d'épuisement. C'est dans ce contexte que la crise sanitaire est arrivée.
Nos rapports avec les instances nationales sont d'habitude d'assez bonne qualité, avec des réunions bihebdomadaires ; nous discutons régulièrement avec les conseillers des cabinets, et notre interlocuteur est le directeur de cabinet. Au début de la crise, il y a eu un retard à l'allumage : nous avons écrit un courrier le 19 février pour être reçus par les cabinets, et ce n'est que le 19 mars que nous avons enfin reçu une réponse et une proposition de rendez-vous ! Il y a donc eu un mois de latence, pendant lesquelles nous n'avons reçu ni consignes ni perçu d'initiatives des différentes administrations, notamment pour nous permettre de réaffecter les internes là où il y en avait le plus besoin. Nous avons donc décidé de prendre l'initiative de ces réaffectations, en commençant par recenser les internes et faire état de leurs compétences. Nous avons lancé un appel à la mobilisation générale des internes, pour faire revenir tous ceux qui étaient en vacances, en disponibilité, en année de recherche... Dans toutes ces démarches, les administrations ont été particulièrement absentes. Nous avons dû créer nos propres cellules de crise pour organiser toutes ces réaffectations.
L'important pour nous était avant tout qu'il n'y ait pas, pendant cette crise sanitaire, de suicide d'interne par épuisement professionnel. Nous avons érigé le droit au remplacement, pour qu'un interne qui sentait que la charge de travail était trop importante puisse être remplacé par un collègue. Nous avons fini par écrire un courrier, cosigné par la Conférence des doyens de santé, la Conférence des directeurs généraux de CHU et la Conférence des présidents de commissions médicales d'établissement (CME), pour obtenir les mesures réglementaires nécessaires pour pouvoir procéder à ces réaffectations.
Ce n'est qu'à la suite de ce courrier que nous avons finalement obtenu une instruction des cabinets, puis des rendez-vous hebdomadaires avec les cabinets permettant de faire d'appliquer au mieux la réglementation et de mettre en place des guides à destination des agences régionales de santé (ARS) et des centres hospitaliers. Une mesure très importante pour nous a été le report de la fin de semestre, du 1er mai à fin juin. Il était clair que, dans le contexte, on ne pouvait pas désorganiser l'ensemble des services et se priver d'une bonne partie des internes en fonction. Nous avons donc demandé à ce que la fin de semestre soit repoussée d'un mois, ce qui a permis de conserver des médecins au sein de l'hôpital public.
Nous avons réalisé plusieurs enquêtes, et les conclusions que nous en avons tirées sont graves. Nous avons interrogé 980 internes. Les deux tiers d'entre eux disent ne pas avoir pu accéder à du matériel de protection en quantité suffisante - il s'agit des masques et des surblouses. Seulement la moitié des internes - 53 % - qui présentaient des symptômes de covid au début de la crise ont pu accéder à des tests de dépistage. Autrement dit, la plupart des internes n'ont pas pu connaître leur statut. Et on sait aujourd'hui que plus d'un interne sur deux qui se savait positif au covid a été obligé de travailler malgré sa positivité, c'est-à-dire qu'il a mis en danger ses collègues et des patients : nous savons que les soignants, et particulièrement les internes, sont une source de contamination pour les patients.
Pourquoi ont-ils dû travailler ? Parce que les politiques de gestion des ressources humaines des hôpitaux, notamment à destination des internes, sont de très mauvaise qualité. La durée moyenne des arrêts maladie a été de huit jours, il n'y a eu aucun contrôle, aucune surveillance, et surtout le personnel était manquant : dans les services, on ne pouvait pas se mettre en arrêt maladie et cesser de soigner les patients. Je précise que 5 % des internes infectés ont présenté une forme sévère de la maladie. Heureusement, nous n'avons pas eu à déplorer la perte d'un interne, mais un certain nombre d'entre eux ont été hospitalisés pour cette maladie. Enfin, il n'y a pas eu de priorisation pour le rapatriement des personnels soignants et des internes se trouvant l'étranger : on nous a renvoyés vers le ministère des affaires étrangères, sans aucune aide pour rapatrier des forces sur le territoire.