Intervention de Justin Breysse

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 octobre 2020 à 14h30
Audition commune de Mm. Justin Breysse président de l'intersyndicale nationale des internes isni et julien flouriot président du syndicat des internes des hôpitaux de paris sihp

Justin Breysse, président de l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI) :

Un interne est affecté réglementairement dans un service. Jusqu'à la crise, il n'était pas possible qu'il change de service. N'oublions pas qu'un interne est un médecin prescripteur. Quand il prescrit, il le fait par délégation de son chef de service, et il met en jeu sa responsabilité pénale : il y a déjà eu plusieurs cas d'accusation d'homicide involontaire. Nous avions donc besoin d'un support réglementaire pour procéder à des réaffectations. Mais il y a eu, pendant un mois, une sorte de sidération, pendant laquelle nous n'avons pas pu obtenir ce support réglementaire. Il a fallu attendre le 18 mars. Autrement dit, jusqu'au 18 mars, nous avons fait des réaffectations, mais en engageant la responsabilité pénale de nos mandants.

En ce qui concerne nos relations avec les institutions, nous avons envoyé une solution clés en main à l'ARS. La difficulté était qu'on avait besoin de compétences dans les services, mais que les institutions ont beaucoup de mal à connaître les compétences de chaque médecin, ou de chaque interne. Certes, pour les internes d'anesthésie-réanimation et les internes intensivistes, c'est écrit dans leur diplôme qu'ils savent faire de la réanimation. Mais quid des autres ? Un interne en cardiologie, ça passe en réanimation. Un interne en hépato-gastro-entérologie, ça passe en réanimation. Il faut qu'ils soient encadrés, mais ils savent faire. Même chose pour la gestion des urgences, même si la majorité des internes y sont passés. Ni le CHU ni l'ARS ne connaissent le détail des compétences de chaque interne. Au fond, ceux qui connaissent le mieux leurs compétences, ce sont les internes eux-mêmes. Nous leur avons donc demandé de nous les signaler, pour mieux les répartir.

Il n'est pas difficile de changer des internes de services dans les hôpitaux, puisqu'un interne est financé par l'ARS, qui donne à l'hôpital l'argent nécessaire pour le rémunérer. Ce qui est très compliqué, c'est de changer un interne d'hôpital. Nous avons dû créer un système de validation avec les directions des affaires médicales des hôpitaux, les coordonnateurs, l'ARS, pour chaque interne qui changeait d'hôpital... Ce qui a créé le plus de problèmes, c'est que la direction générale de l'offre de soins (DGOS) a mis en place une foire aux questions pour aider les acteurs du terrain dans la gestion des étudiants en santé et des internes, mais sans trancher la question de savoir qui devait payer un interne. Un interne est affecté dans un hôpital pendant six mois. C'est l'hôpital dans lequel il est affecté qui reçoit pendant six mois l'argent pour le rémunérer. S'il change d'hôpital au milieu de cette période, son ancien hôpital continue à toucher cet argent, et le nouvel hôpital ne touche rien. J'ai connu des situations où aucun des deux hôpitaux ne voulait payer l'interne... Et, jusqu'au mois d'août, j'ai géré avec la direction des affaires médicales de tous les hôpitaux d'Île-de-France la situation des internes qui n'avaient pas été payés pendant deux mois. Ces internes m'ont déjà dit qu'en cas de deuxième vague ils ne viendraient pas aider !

Des risques psychosociaux particuliers pèsent sur les internes et une psychopathologie relativement importante les concerne. L'enquête faite à la suite de la crise a montré une aggravation de l'ensemble des symptômes d'anxiété ou de dépression, accompagnée de symptomatologies traumatiques. Nous avons triplé les effectifs des structures de soutien psychique et moral aux internes. Il s'agit non seulement de les soutenir, mais aussi de les orienter auprès de psychiatres ou de psychologues, et de répondre à tous les appels d'internes ayant besoin d'un soutien psychique.

L'impact de la crise sur la formation des médecins a été multiple. Les blocs chirurgicaux ont été fermés. Les opérations non urgentes ont été annulées. Comment, dès lors, former des internes en chirurgie ? Ils ont été envoyés dans les services de réanimation pour retourner les malades, ou faire ce qu'ils pouvaient dans les services de médecine ou d'urgence. Les internes en chirurgie sont donc moins bien formés parce qu'ils n'ont pas fait de bloc pendant trois, quatre ou cinq mois. En Île-de-France, il s'agit parfois de terrains de stage très spécifiques et ultraspécialisés, sur lequel des internes d'autres régions viennent aussi se former. Il en va de même des internes qui se formaient à la recherche. Tous les laboratoires ont été fermés. Pour ma part, j'étais en laboratoire d'analyse statistique, et ai pu travailler chez moi. Mais pour tous les internes dont la recherche impliquait de faire des manipulations...

La moitié du financement des postes d'internes est versée par les ARS, sur une sous-enveloppe de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), et l'autre moitié est financée par l'hôpital lui-même, sur la tarification à l'activité (T2A). Je pense que c'est la partie liée à la T2A qui a entraîné des conflits entre les différents hôpitaux, et le fait que le ministère de la santé, malgré nos demandes répétées, ait mis si longtemps à trancher sur qui devait être le payeur : nous voulions que ce soit l'établissement d'origine qui paie dans tous les cas, mais les vieilles logiques budgétaires ont continué à fonctionner. Nous avons demandé, dans le Ségur de la santé - et nous avons obtenu un engagement - que les internes ne soient plus payés par de la T2A, mais uniquement sur des sous-enveloppes de l'Ondam : la formation des médecins ne doit pas reposer sur la T2A. Nous espérons que cet engagement sera rapidement tenu.

Du point de vue psychologique, pour les internes, la priorité est la formation. Ils sont très dévoués aux soins du patient. Beaucoup d'internes nous ont fait part de situations d'anxiété, non pas tant par peur de la maladie, mais par peur de se retrouver dans un service qu'ils ne connaissent pas, sans avoir accès à du matériel de protection, et de craindre de contaminer leur famille ensuite. Cela a occasionné une détresse psychologique intense, avec ensuite des situations de stress post-traumatique.

Enfin, la formation de tous les internes a été impactée, puisque tout le monde s'est retrouvé déplacé, pour faire une autre tâche, qui n'est pas celle pour laquelle la formation était prévue. Sur la prise en charge du Covid, 46 % des internes ont déclaré avoir une mauvaise formation à la prévention du risque de contamination et à la prise en charge des patients pendant la crise ; 60 % des internes se sont formés eux-mêmes ! Nous avons mis en place une plateforme de formation numérique pour pallier ce manque, mais la qualité de la formation en temps de crise n'a pas été au rendez-vous.

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