Sur le découragement ou le décrochage des internes en médecine, nous n'avons pas de données, au-delà de cas individuels que nous connaissons. Un des premiers facteurs a été l'aspect financier : certains internes n'ont pas été payés... Déjà, en temps normal, la question financière entraîne le décrochage d'un certain nombre d'internes. Avec 1 800 euros net, quand on a vingt-cinq ans et une famille, à Paris, on n'y arrive pas toujours. Certains internes préfèrent donc prendre un boulot d'infirmier ou d'aide-soignant, voire changer de voie. Pis, beaucoup d'internes ont eu le sentiment qu'ils étaient dangereux pour leur famille. Certains ne rentraient plus chez eux, allaient à l'hôtel, par peur de contaminer leur famille. Voilà qui peut être démotivant !
Mais nous avons très peu de données sur le décrochage. L'Ordre national des médecins avait fait état d'une statistique de 20 % des étudiants qui décrocheraient entre le début et la fin de leurs études. Actuellement, il n'y a pas de suivi des étudiants en médecine entre la première et la dernière année. En l'absence de statistiques, on est incapable de nous dire combien il y a de suicides, d'arrêts maladie, etc. Il y a une pénurie de médecins, mais si on ne connaît pas les statistiques du décrochage et ses causes, on ne pourra pas résoudre cette question. C'est un verre qui se remplit, et qui fuit. Deux solutions : boucher la fuite ou accélérer le remplissage. Sans statistiques sur les fuites, on ne pourra rien faire. Pour ce qui est d'augmenter le remplissage, les capacités de formations sont largement saturées, dans quasiment toutes les subdivisions et toutes les spécialités, notamment en anesthésie-réanimation. On ne voit pas comment on pourrait former plus d'internes. Cela demanderait, en tout cas, davantage de moyens universitaires.
Enfin, je suis désolé, nous n'avons pas compté nos heures de travail pendant cette période. Sans doute ont-elles dépassé la norme. D'un autre côté, certains internes, dans certaines spécialités, se sont retrouvés complètement à l'arrêt, sans la capacité d'aider d'autres personnes. En 2019, notre étude sur le temps de travail a abouti à un chiffrage de 56 heures hebdomadaires en moyenne, et a montré que 10 % des internes font plus de 79 heures par semaine, notamment en chirurgie. Elle a révélé aussi que le repos de sécurité est de moins en moins respecté : un tiers des internes dit ne pas prendre son repos de sécurité systématiquement après une garde de 24 heures. En 2012, nous avions déjà fait une enquête, qui révélait un temps de travail exorbitant. Du coup, la Commission européenne s'était autosaisie et avait demandé à modifier le décret sur le temps de travail. Le décret avait été modifié, mais le problème est que notre temps de travail n'est pas défini en heures, mais en demi-journées ! Si je travaille la nuit pendant quatorze heures d'affilée, cela compte pour deux demi-journées ! Et la demi-journée n'est ni définie ni bornée... Bref, personne n'arrive à faire respecter ce texte, même si le ministre annonce des sanctions contre les hôpitaux qui ne le respectent pas.
Nous demandons davantage de contrôles. Les services des ressources humaines sont aussi en déficit de personnel et n'arrivent pas à assurer leurs fonctions essentielles, notamment le respect des conditions de travail et la prévention des risques psychosociaux. C'est ce qui explique également que ces services ne peuvent pas gérer les capacités sanitaires en cas de crise.