Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Réunion du 9 novembre 2020 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2021 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe :

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la sécurité sociale connaîtra, en 2020, le plus lourd déficit de son histoire et de très loin : au moins 49 milliards d’euros pour 429, 8 milliards de dépenses du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Ces chiffres donnent le vertige ! Mais encore une fois, ils traduisent l’intensité de la crise sanitaire, économique, financière et sociale due à l’épidémie de covid-19, qui a bouleversé notre pays et le monde entier. Heureusement, la sécurité sociale a joué à plein son rôle de filet de sécurité pour nos concitoyens, mais à quel prix !

Il y a deux ans à peine, nous saluions le retour à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale. Hélas, cette année, l’examen du PLFSS pour 2021 n’est guère réjouissant !

Certes, les premiers articles nous rappellent que la sécurité sociale a enregistré un léger déficit de 1, 9 milliard d’euros sur le périmètre du régime général et du FSV, pour un montant de dépenses de 404, 8 milliards d’euros en 2019. Si le retour à l’équilibre n’a pas été atteint, c’est en raison des mesures de non-compensation adoptées ces deux dernières années contre notre gré. Elles ont coûté 4, 3 milliards d’euros à la sécurité sociale, soit bien plus que son déficit. Nous y reviendrons.

Cette année 2020, face à la crise et à son évolution permanente, les incertitudes sont majeures. Le Gouvernement a déjà révisé les tableaux d’équilibre pour 2020 et pour 2021 à l’Assemblée nationale. Nous sommes de nouveau saisis d’une mesure d’ajustement de 800 millions d’euros par le Gouvernement, pour tenir compte des effets du nouveau confinement.

Toutefois, quelques constats ressortent clairement.

L’ensemble des branches a subi une très forte baisse des recettes, principalement sous l’effet de la chute de l’activité et de la très forte contraction de la masse salariale du secteur privé. Cette baisse est de plus de 32 milliards d’euros par rapport à la prévision de la LFSS pour 2020, malgré une recette exceptionnelle de 5 milliards d’euros provenant des industries électriques et gazières.

Face à ces baisses de recettes, les dépenses de la plupart des branches sont restées relativement conformes à la prévision pour 2020, à la notable exception de la branche maladie.

En effet, les dépenses relevant de l’Ondam ont bondi de 12, 5 milliards d’euros par rapport à la prévision de l’année dernière. Il s’agit bien sûr avant tout des surcoûts liés à la crise du covid-19 – environ 10, 5 milliards d’euros nets – et des premières mesures du Ségur de la santé, qui présenteront, elles, un caractère pérenne et dont le coût en 2020 est estimé à 3, 4 milliards d’euros.

Au total, l’Ondam devrait passer en un an de 200, 2 milliards d’euros en 2019 à 218, 9 milliards d’euros en 2020 : plus de 18 milliards d’euros d’augmentation, soit 9 %.

Par ailleurs, la branche vieillesse, dont les dépenses devraient s’élever à 140, 6 milliards d’euros sur le périmètre du régime général, connaîtrait un déficit de 7, 8 milliards d’euros.

Pour 2021, un fort rebond est attendu, qui devrait améliorer le niveau des recettes, mais les incertitudes sont très fortes. Tout dépendra, bien sûr, de l’évolution de l’épidémie et de notre capacité à remettre l’économie sur les rails.

En toute hypothèse, le déficit du régime général et du FSV devrait se situer à 27, 9 milliards d’euros selon les prévisions actualisées du Gouvernement, pour un montant total de dépenses de 443, 7 milliards d’euros.

En particulier, alors que les autres branches, la famille et les accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), devraient se redresser, les branches maladie et vieillesse présenteraient toujours un solde très dégradé : leur déficit serait respectivement de 19, 7 milliards d’euros et de 6, 4 milliards d’euros.

Face à cela, messieurs les ministres, je n’ai pas trouvé normal que nous ne soyons pas saisis d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale cette année, au vu de l’ampleur des révisions qui ont été opérées. Pour autant, nous avons approuvé majoritairement la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, dite « autonomie », opportunément annexée à la loi organique sur la dette sociale du 7 août dernier et dont on attend impatiemment la loi constitutive dite « loi Autonomie et grand âge ».

Sur le fond, la commission ne propose pas au Sénat de remettre en cause ces décisions : elle préconise ainsi l’adoption des articles essentiels de ce PLFSS pour 2021, aussi bien ceux qui ratifient les décisions prises en urgence en 2020 que ceux qui approuvent les différents tableaux d’équilibre.

Messieurs les ministres, le principal point de divergence de la commission avec le Gouvernement, sur ce PLFSS, vient de la trajectoire des comptes sociaux après la sortie de la crise actuelle.

Ainsi, l’annexe B du projet de loi, qui trace des perspectives financières jusqu’en 2024, prévoit à cette échéance un déficit de la sécurité sociale quasiment stabilisé à un niveau très lourd : plus de 20 milliards d’euros chaque année, malgré des hypothèses de croissance du PIB et de la masse salariale relativement optimistes. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, qu’un tel niveau ne serait évidemment pas supportable pour la sécurité sociale.

En effet, dès 2024, les déficits cumulés dépasseraient de 50 milliards d’euros le plafond des transferts que nous avons autorisés à la Cades. Pourtant, le montant total des emprunts de la caisse devrait passer de 260 à 396 milliards d’euros d’ici à 2024, dont une provision de 92 milliards d’euros pour couvrir les déficits de la période allant de 2020 à 2023, qui devrait se révéler insuffisante. Autant dire que la dette deviendrait vite perpétuelle, ce qui pose d’évidents problèmes d’équité entre générations et de soutenabilité de notre modèle social.

Je crois donc qu’il importe de préciser, dès à présent, que, quand notre pays sera sorti de la crise, nous devrons, comme après 2010, reprendre la voie de la recherche de l’équilibre des comptes sociaux. Vous l’avez d’ailleurs dit, messieurs les ministres.

Pour y parvenir, nous devrons tout d’abord partir d’un déficit réel des comptes sociaux. La sécurité sociale doit, certes, payer ses dettes, mais elle ne doit payer que ses dettes. Ce serait céder à la facilité intellectuelle que de répéter que tout vient de « la même poche », qu’il s’agisse de l’État, de la sécurité sociale ou des collectivités territoriales. Les budgets de l’État et de la sécurité sociale ne répondent pas à la même logique, n’ont pas les mêmes contraintes et ne sont donc pas interchangeables.

Dans cet esprit, je formulerai, au nom de la commission des affaires sociales, des propositions visant à ce que l’État compense un certain nombre de charges, qui devraient être les siennes, et qui n’ont été transmises que par commodité à la sécurité sociale. Je pense, en particulier, à l’agence Santé publique France, dont le budget est passé de 150 millions à 4, 8 milliards d’euros, dès la première année d’un transfert que nous avions refusé l’année dernière.

D’autres propositions auront pour objet la compensation des pertes de recettes, qui résultent d’exonérations et de réductions intervenues depuis deux ans sans contrepartie, sur l’initiative du Gouvernement.

Je devine que c’est également dans cet esprit que Corinne Imbert abordera la question du financement par la Cades, des 13 milliards d’euros d’investissements hospitaliers, comme le prévoit l’article 27 de ce projet de loi, alors même que ce n’est pas le rôle de cette caisse.

Pour autant, mes chers collègues, un tel réajustement ne nous exonérerait pas de devoir prendre des décisions difficiles, pour maîtriser à moyen terme l’évolution des dépenses des différentes branches.

Les branches vieillesse et maladie, dont les déficits prévisionnels sont les plus lourds, seront principalement concernées, car il faudra, d’une part, supporter les conséquences financières du Ségur de la santé, et, d’autre part, rétablir l’équilibre en matière de retraites, en concertation avec les partenaires sociaux, comme René-Paul Savary nous le rappellera.

Messieurs les ministres, je tiens à vous livrer, sans attendre, quelques pistes que vous connaissez certainement déjà, mais dont le Gouvernement, me semble-t-il, ne parle que trop timidement.

Ainsi, le Sénat propose, depuis longtemps, de réduire les 25 % d’actes médicaux inutiles et redondants, et dont personne ne conteste le pourcentage. Nous attendons aussi la généralisation du dossier médical partagé (DMP), prévue pour 2022. Enfin, la Cour des comptes a récemment rendu son étude sur la fraude aux prestations sociales : ce PLFSS doit marquer l’intensification de la lutte contre les erreurs et les délits.

Nous veillerons pour notre part à ce que chaque caisse de sécurité sociale estime, dès l’année prochaine, le montant de cette fraude et mette en œuvre les moyens d’y remédier.

Il nous faudra sans doute trouver d’autres sources de financement qui n’aggravent pas la charge sur le travail, en mettant à contribution tous les producteurs de richesses sur notre sol.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, telles sont les perspectives auxquelles nous ne pourrons nous soustraire très longtemps, pas plus que nous ne saurions négliger la réorganisation des soins et celle de la gouvernance de la sécurité sociale, qui ne relèvent pas d’une loi de financement de la sécurité sociale, mais dont la crise souligne ô combien l’urgence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion